Activité EEG Périodiques et/ou Rythmiques ? Il y a plus d’un hic dans les comas post anoxiques !

08/12/2022
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Article NEJM
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Treating Rhythmic and Periodic EEG Patterns in Comatose Survivors of Cardiac Arrest
Ruijter et al.,
N Engl J Med. 2022 Feb 24;386(8):724-734. doi: 10.1056/NEJMoa2115998. PMID: 35196426.

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Question évaluée

Un traitement par anticonvulsivants et sédation à doses progressivement croissantes débuté dans les 3 h après la mise en évidence d’une activité EEG périodique et/ou rythmique (EEG_RPP), chez des patients en coma après un arrêt cardio respiratoire (ACR), en plus d’une prise en charge standard, est-il associé à une diminution du taux d’évolution défavorable à 3 mois (1) ?

Type d’étude

Essai de supériorité, multicentrique, randomisé, contrôlé, en ouvert.

Population étudiée

La population étudiée est celle de patients adultes (âge ≥ 18 ans), en coma post-anoxique (Glasgow Coma Scale < 9), chez qui le monitoring EEG continu (EEGc) mis en place dans les 24h suivant la restauration d’une activité cardiaque spontanée (ROSC) révèle une activité électroencéphalographique de type EEG_RPP avant la 72ème heure de prise en charge.

Sont considérés EEG_RPP: des ondes aigues et/ou pointes ondes et/ou activité rythmique delta, de périodicité > 0,5 Hz, durant au moins 30 minutes si continues, ou durant plus de 5 min à deux reprises sur une période de 60 minutes si discontinues (2, 3).

Méthode

Les patients pris en charge dans l’un des 11 services de réanimation néerlandais ou belge participants et répondant aux critères d’éligibilité ci-dessus étaient randomisés selon un ratio 1:1, par blocs de permutation de 4 à 10, à l’aide d’un serveur en ligne.

Dans le bras contrôle, les patients recevaient une prise en charge standard consistant en un contrôle ciblé de la température à 33°C ou entre 33 et 36°C, pour lequel une sédation était requise.

Dans le bras expérimental, les patients recevaient des traitements anticonvulsivants et une sédation, administrés par voie intraveineuse (IV), dans les 3 heures maximum après la mise en évidence d’un tracé EEG_RPP, à doses rapidement croissantes dans le but de supprimer l’activité EEG_RPP à plus de 90%, pendant 48 heures. Pour cela, les enregistrements EEG étaient relus toutes les 3 heures par un neurologue, un neurophysiologiste, ou un technicien EEG.

Les 3 étapes d’escalade de traitements anticonvulsivants/sédation recommandés associaient systématiquement une sédation (Midazolam/Lorazepam puis Propofol puis Thiopental) et un traitement de fond (Phenytoine puis Levetiracetam ou Acide Valproique). :

A partir du 3ème jour de prise en charge, les patients entraient dans le processus de neuropronostication, selon les recommandations européennes alors en vigueur, à l’exclusion des patterns EEG (4).

Le critère de jugement principal était une évolution défavorable à 3 mois définie par un score Cerebral Performance Category (CPC) à 3, 4 ou 5 (Score variant de 1 à 5, où CPC1 : bonne performance cérébrale, CPC2 : handicap cérébral modéré, CPC3 : handicap cérébral sévère, CPC4 : coma ou état végétatif, et CPC5 : état de mort cérébrale ou décès). Ce dernier était évalué en aveugle du traitement reçu.

Le calcul du nombre de sujets nécessaire de 172 patients était réalisé avec comme objectif de diminuer le taux d’évolution défavorable attendu de 99% à 92%, considérant un risque de première et seconde espèce de 5% et 80%, respectivement. La stratégie d’analyse était en intention de traiter.

Résultats essentiels

Sur les 2528 patients potentiellement incluables entre mai 2014 et janvier 2021, 354 répondaient aux critères d’éligibilité, et 172 étaient finalement inclus dans cette étude dont 88 étaient alloués au bras expérimental et 84 au bras contrôle.

La comparaison des deux bras à la randomisation ne différait pas selon les caractéristiques démographiques, ni celles liées à l’ACR. Tous les patients recevaient un contrôle ciblé de la température : 33°C chez 24% et entre 33-36°C chez 76% des patients.

Le monitoring EEGc était mis en place dans un délai médian de 15 heures et 12 heures après la ROSC, et le délai entre la ROSC et la mise en évidence d’un tracé EEG_RPP était de 36 heures et 33 heures dans le bras expérimental et le bras contrôle, respectivement.

La distribution des différents type EEG_RPP observés était bien balancée entre les deux groupes, avec globalement :

  • Eléments périodiques généralisés (0,5 à 2,5 Hz) : 79%
  • Crises électrographiques (≥2,5 Hz) : 10 %
  • Pattern évolutif (0,5 à 2,5 Hz) : 3 %
  • Autres types de tracés périodiques ou rythmiques (0,5 à 2,5 Hz) : 8%

Tous les patients du bras expérimental recevaient un traitement anticonvulsivant et 99% une sédation, contre 10% et 76% respectivement dans le bras contrôle. Ainsi, l’objectif de 90% de suppression de l’EEG_RPP n’était obtenu pendant 48 heures que chez 56% des patients du bras expérimental et 2% de ceux du bras contrôle. Enfin, l’arrêt des thérapeutiques actives était réalisé chez 77% et 78% des patients, respectivement.

Une évolution défavorable à 3 mois était retrouvée chez 79/88 (90%) des patients du bras expérimental, et 77/84 (92%) des patients du bras contrôle (différence des risques 2 (95%CI, -7 à 11), p=0,68).

Commentaires

La problématique des informations apportées par l’EEG chez les patients en coma post-anoxique prend une place sans cesse croissante depuis l’avènement du monitoring EEGc en réanimation.

Celles-ci sont pronostiques lorsque l’EEG est qualifié de hautement malin (activité de fond supprimée avec ou sans figures périodiques surajoutées, ou encore de type burst-suppression)(5), désormais considéré comme un des éléments de pronostication défavorable (6). Elles sont également thérapeutiques lorsque l’EEG met en évidence une activité rythmique répondant aux critères de crise/état de mal épileptique électrographique (pattern évolutif avec organisation critique quelle que soit la fréquence ou décharges >2,5 Hz) (7), situation pouvant être désormais considérée comme potentiellement réversible après traitement, et non plus strictement comme un élément décisionnel pronostique (8).

Points forts

Il s’agit ici du seul essai randomisé contrôlé ciblant la population de patients en coma post-anoxique chez qui une intervention thérapeutique est guidée par les données EEGc. La prise en charge thérapeutique est standardisée et fait preuve de pragmatisme en adaptant les recommandations habituelles de prise en charge de l’état de mal épileptique au contexte post-anoxique. De manière intéressante, le sous-groupe de patients présentant une activité EEG épileptique (13% de l’effectif inclus) présente une évolution favorable à 3 mois dans 3/11 (27%) des cas du bras expérimental versus 0/11 dans le bras contrôle (p>0.05) .

Points faibles

L’inclusion de patients avec une activité paroxystique périodique <2.5 Hz, non épileptique, et de patients avec des crises électrographiques constitue un ensemble extrêmement hétérogène qui est discutable sur le plan nosologique, mais aussi sur l’intérêt potentiel d’un traitement antiépileptique. L’administration de traitements anticonvulsivants chez les patients avec une activité périodique <2,5Hz est ici très expérimental et s’apparente à une stratégie prophylactique. Par ailleurs, seul 10 à 13% de l’effectif inclus correspond à des patients présentant de véritables crises électrographiques, faisant ainsi perdre l’intérêt de la stratégie évaluée, l’essai n’étant pas dimensionné pour conclure sur l’intérêt d’une stratégie de traitement agressive dans cette situation.

Implications et conclusions

L’implication majeure de ce travail est qu’elle confirme la futilité d’une prise en charge thérapeutique anticonvulsivante prophylactique chez les patients en coma post-anoxique et présentant une activité cérébrale périodique de fréquence < 2.5 Hz. Indirectement, cette étude apporte de nouveaux arguments en faveur du traitement des états de mal épileptique électroencéphalographiques post-anoxiques, bien que le niveau de preuve de cette information reste faible.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Stéphane LEGRIEL, Service de Réanimation Médico-Chirurgicale et Unité de Surveillance Continue, Centre Hospitalier de Versailles, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (slegriel@ch-versailles.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. Treating Rhythmic and Periodic EEG Patterns in Comatose Survivors of Cardiac Arrest.
    Ruijter BJ, Keijzer HM, Tjepkema-Cloostermans MC, et al.
    N Engl J Med 2022;386(8):724-734.
  2. The ACNS subcommittee on research terminology for continuous EEG monitoring: proposed standardized terminology for rhythmic and periodic EEG patterns encountered in critically ill patients.
    Hirsch LJ, Brenner RP, Drislane FW, et al.
    J Clin Neurophysiol 2005;22(2):128-135.
  3. Definition and Classification of Periodic and Rhythmic Patterns.
    Maciel CB, Hirsch LJ.
    J Clin Neurophysiol 2018;35(3):179-188.
  4. Prognostication in comatose survivors of cardiac arrest: an advisory statement from the European Resuscitation Council and the European Society of Intensive Care Medicine.
    Sandroni C, Cariou A, Cavallaro F, et al.
    Resuscitation 2014;85(12):1779-1789.
  5. Standardized EEG interpretation accurately predicts prognosis after cardiac arrest.
    Westhall E, Rossetti AO, van Rootselaar AF, et al.
    Neurology 2016;86(16):1482-1490.
  6. European Resuscitation Council and European Society of Intensive Care Medicine Guidelines 2021: Post-resuscitation care.
    Nolan JP, Sandroni C, Bottiger BW, et al.
    Resuscitation 2021;161:220-269.
  7. American Clinical Neurophysiology Society's Standardized Critical Care EEG Terminology: 2021 Version.
    Hirsch LJ, Fong MWK, Leitinger M, et al.
    J Clin Neurophysiol 2021;38(1):1-29.
  8. Neurologic outcome of postanoxic refractory status epilepticus after aggressive treatment.
    Beretta S, Coppo A, Bianchi E, et al.
    Neurology 2018;91(23):e2153-e2162.
Texte

CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI