« Apprends le silence et tu apprendras à entendre »*

22/03/2018
Image
reactu-apprendre le silence
Texte

Insights into the Problem of Alarm Fatigue with Physiologic Monitor Devices: A Comprehensive Observational Study of Consecutive Intensive Care Unit Patients.
Babara J. Drew, Patricia Harris, Jessica K. Zègre-Hemsey, Daniel Schindler, Rebeca Salas-Boni, Yong Bai, Adelita Tinoco, Quan Ding, Xiao Hu
PLoS One. 2014 Oct 22;9(10)

Texte

* Citation de Franck Patrick HERBERT

Texte

Question évaluée

L’étude vise à identifier la cause des alarmes excessives, en particulier des fausses alarmes et tenter d’émettre des conseils pour résoudre le problème de l’«alarm fatigue» ou fatigabilité des soignants liée à l’alarme.

Type d’étude

Etude observationnelle prospective sur 1 mois dans les 5 services de réanimation (77 lits) de l’hôpital de San Francisco.

Population étudiée

Tous les patients hospitalisés dans ces 5 unités pendant la durée de l’étude.

Introduction 

Les moniteurs de surveillance entrainent une « cacophonie » d’alarmes, une pollution visuelle pour les soignants et impactent leur concentration. D’une part cette surcharge sensorielle peut participer à un retard de prise en charge des patients présentant une détresse vitale réelle (l’alarme vitale adéquate étant « noyée » dans un bruit d’alarme inadéquate et rendant celle-ci ineffective). D’autre part, cette surcharge sensorielle participe à la dégradation de l’attention des personnels travaillant en réanimation influant leur fatigue (concept anglo-saxon d’«alarm fatigue»).

Critère(s) d’inclusion

Tous patients adultes traités dans les 5 unités de soins intensifs (USI), (médicale-chirurgicale, cardiaque et neurologique) ont été inclus dans l’étude.

Critère(s) d’exclusion

Aucun patient n’a été exclu de l’étude et de l’analyse.

Méthode

Des chercheurs en sciences infirmières et ingénieurs de l’Université de Californie à San Francisco (UCSF) ont collecté les données des 77 moniteurs de surveillance des 5 réanimations. Ils ont analysé toutes les formes d’ondes physiologiques disponibles (pression artérielle, SpO2, respiration, ECG..) les mesures des signes vitaux, les paramètres d’alarme du clinicien et les différentes alarmes survenues. Les infirmières spécifiquement formées renseignaient en parallèle un protocole d’annotation d’alarmes. Ce protocole se composait de 5 items (asystolie, fibrillation ventriculaire, accélération ventriculaire, tachycardie ventriculaire et les pauses). Une annotation distinguait les « vraies » des « fausses » alarmes.

Objectif principal

Mettre en évidence les causes du nombre excessif d’alarmes en réanimation par jour et par lit sur une période de 31 jours.

Objectif secondaire

Émettre des conseils pour éviter le syndrome «alarm fatigue».

Résultats essentiels

Durant l’étude, 461 patients ont été pris en charge dont 35,8% étaient sous ventilation mécanique. Dix-sept patients (3,7%) ont présenté un arrêt cardiaque ou respiratoire pendant l’étude. La mortalité globale hospitalière était de 7,6%. La surveillance moyenne des patients était de 104,5 heures (Médiane : 52,9 heures). Au cours du temps total de surveillance de 48 173 heures, il y a eu au total 2.558.760 alarmes audibles et inaudibles (message texte visuel) dans les cinq unités. Sur ce total, 1.154.201 étaient des alarmes d’arythmie, 612.927 étaient des indicateurs de signes vitaux et 791.632 étaient des alarmes techniques. Les paramètres par défaut restreignent le nombre d’alarmes qui génèrent une tonalité audible uniquement pour celles qui sont considérées comme importantes sur le plan clinique. Malgré cette restriction, il y avait un total de 381.560 alarmes audibles, pour un « fardeau » d’alarme moyen de 187 alarmes audibles par lit par jour (8 alarmes / heure). Les infirmiers ont annoté six alarmes d’arythmie audibles selon les paramètres par défaut : l’asystolie, la fibrillation ventriculaire, la tachycardie ventriculaire, le rythme ventriculaire accéléré, la pause et la bradycardie ventriculaire. Sur les 461 patients, 250 patients ont généré au moins un des six types d’alarme d’arythmie, soit un total de 12.671 alarmes pour l’annotation.  Concernant l’arythmie ventriculaire : 4.361 alarmes audibles ont été déclenchées, 502 auront été considérées à posteriori comme « vraies » (dont 334 pour un seul patient présentant un orage rythmique).  La recommandation était de ne prendre en compte que les épisodes d’une durée supérieure à 30 secondes : uniquement 12 alarmes étaient supérieures à 30 secondes correspondant à 6 patients dont 3 présentant un ordre de ne pas réanimer.

Commentaires

Cet article est intéressant et original par son approche. En France, l’OMS recommande 45 décibels (dB) en jour et 35 dB la nuit [1]. Parallèlement au volume sonore des alarmes, il est indispensable de s’interroger sur l’efficience de chaque alarme et ses réglages.  Dans la littérature américaine le bruit passe de la 15e place[2] à la 3e place des sources d’inconfort décrites par les patients en USI [3]. Un patient sur 2 se souvient du bruit comme source d’inconfort [4]. Une équipe de soins intensifs d’Atlanta a montré qu’ils ont pu réduire de 502 à 306 (39% ; p<0,01) le nombre d’alarmes sonores par patient et par jour en sensibilisant l’équipe paramédicale à personnaliser leurs alarmes [5].  Une autre équipe attire notre attention sur les alarmes configurées par défaut par les moniteurs, qui ne suffisent pas à réduire de manière significative le nombre d’alarmes par jour et par patients, et qu’il était intéressant pour les équipes paramédicales de se former et s’entrainer régulièrement au réglage des alarmes de suppléance cardiaque [6]. Il est démontré que la qualité du sommeil et le bruit vont de paire [7].

Points forts
  • Cette étude visait à mieux comprendre la cause des alarmes intempestives en particulier les « fausses alarmes ».
  • Aucun patient n’était exclu.
  • À ce jour, il n’y a pas eu de recherche approfondie sur la fréquence, les types et la précision des alarmes de surveillance physiologique collectées dans un contexte «en temps réel» d’une réanimation.
Points faibles
  • L’analyse du bien-fondé des alarmes était réalisée à posteriori avec probablement des éléments cliniques incomplets (évolutivité du patient, charge en soins).
  • Le temps mis pour répondre aux différentes alarmes n’a pas été évalué, ce qui permettrait aussi de diminuer la pollution sonore.
Implications et conclusions

L’alarme, qu’elle soit sonore ou visuelle signale un danger. Cependant lorsqu’elle persiste en bruit de fond, elle est banalisée pouvant engendrer des conséquences graves pour les patients. Dans ces unités on pourrait penser que le bruit incessant des alarmes fait partie du décor et rime avec normal. Mais si le bruit se traduit essentiellement par des alarmes sonores et si l’alarme sonore traduit une insécurité alors le silence traduit-t-il une sécurité ? En d’autres termes, l’absence d’alarme sonore traduit-elle une meilleure sécurité pour le patient ? L’intérêt majeur de la présence des alarmes est de prévenir d’un éventuel danger pour les patients, or un certain nombre de ces alarmes sont fausses ou cliniquement sans pertinence, ce qui participe au risque de leur banalisation. Lorsqu’elles persistent en bruit de fond elles participent également à un épuisement psychologique et un défaut de concentration des soignants par excès d’excitation sensorielle.

Nous pourrions aller plus loin dans la réflexion : Que préfériez-vous ? Passer une journée de travail dans le brouhaha incessant d’un bruit de fond ou travailler dans une ambiance plus silencieuse et être sensibilisé à la moindre alarme pour mettre en sécurité le patient ?  Afin de limiter cela, un réglage personnalisé et affiné des alarmes est préconisé et témoignerait d’un critère de qualité. Leur traitement précoce reflétera une compétence soignante. La conséquence : le silence est un critère du consensus « Mieux vivre la réanimation » pour les patients mais aussi pour les soignants en améliorant aussi la qualité de vie au travail.

Texte

Conflit d'intérêts

Article commenté par  G. Decormeille, infirmier en Médecine Intensive Réanimation, CHU de Toulouse Rangueil, France.

L’ auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (guillaumedecormeille@wanadoo.fr) ou à la CERC.

Texte

Liens utiles

  1. Recommandation de l’Organisation Mondiale de la sante 2007.
  2. Turner JS, Briggs SJ et al. Patient’s recollection of intensive care unit experience. Critical Care Medicine 1990;18(9):966-968.
  3. Rotondi AJ, Chelluri L et al. Patients’ recollections of stressful experiences while receiving prolonged mechanical ventilation in an intensive care unit. Critical Care Medicine 2002;30 (4):746-52.
  4. Pang PS, Suen LK. Stressor in the ICU: a comparison of patient’s and nurse’s perceptions Journal of clinical nursing 2008;17(10):2681-2689.
  5. Brantley A, Collins-Brown S et al. Clinical Trial of an Educational Program to Decrease Monitor Alarms in a Medical Intensive Care Unit. AACN Advanced Critical Care. 2016; 27(3):283‑9.
  6. Sowan AK, Gomez TM et al. Changes in Default Alarm Settings and Standard In-Service are Insufficient to Improve Alarm Fatigue in an Intensive Care Unit: A Pilot Project. JMIR Hum Factors. 2016;3(1).
  7. Krachman SL, D’Alonzo GE et al. Sleep in the intensive care unit. Chest 1995;107(6):1713-20.
Texte

CERC

G. MULLER (Secrétaire)
N. AISSAOUI
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
D. GRIMALDI
S. HRAIECH
G. JACQ
JB. LASCARROU
P. MICHEL
G. PITON
A. YOUSSOUFA