Les bétabloquants sont-ils délétères dans l’état de choc septique avec tachycardie ?

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Landiolol and Organ Failure in Patients with Septic Shock. The STRESS-L Randomized Clinical Trial,

Tony Whitehouse, MD & col; for the STRESS-L Collaborators,

JAMA. 2023;330:1641-1652.

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Question évaluée

Dans une étude ancienne publiée par Parker et al., une fréquence cardiaque supérieure à 95/min chez des patients en état de choc septique semblait s’accompagner d’une mortalité plus élevée que chez ceux avec une fréquence cardiaque inférieure à 95/min (1). Dans cette même étude, une diminution de la fréquence cardiaque s’accompagnait d’une meilleure survie. Depuis, des études ont démontré que la présence d’une dysfonction diastolique du ventricule gauche est associée à une mortalité plus élevée au cours du sepsis (2). Dans deux études récentes de grande échelle sur registre, les patients en choc septique ayant une fraction d’éjection du ventricule gauche (FeVG) anormale (basse ou au contraire élevée) présentaient une mortalité plus importante en comparaison aux patients dont la FeVG restait normale (3,4). Enfin, une étude de Morelli et al utilisant de l’esmolol (bétabloquant administré par voie intraveineuse et d’action rapide) dans les états de chocs septiques avec une fréquence cardiaque supérieure ou égale à 95/min démontrait une diminution significative de la mortalité (5). Ce résultat a depuis été confirmé par des méta-analyses (6,7). Néanmoins cette étude présentait de nombreuses limites, avec notamment une mortalité importante et inhabituelle (80% à J28 dans le groupe controle). Toutes ces observations ont conduit Whitehouse et al. à évaluer si l’utilisation d’un bétabloquant de courte durée d’action, le landiolol, permettrait d’améliorer les dysfonctions d’organes chez les patients en état de choc septique avec une tachycardie supérieure ou égale à 95/min.

Type d’étude

Etude multicentrique randomisée ouverte réalisée au Royaume-Uni

Population étudiée

Patients adultes en état de choc septique selon la définition de « sepsis-3 » (sous noradrénaline à 0,1 µg/kg/min ou plus depuis plus de 24h et moins de 72h) avec une fréquence cardiaque supérieure ou égale à 95/min et un remplissage vasculaire adéquat.

Méthode

Cette étude compare l’effet d’un bétabloquant intraveineux de courte durée d’action, le landiolol, à un placebo. Le traitement par landiolol était débuté à la dose de 1 µg/kg/min en seringue électrique puis augmenté par pallier de 1 µg/kg/min toutes les 15 minutes jusqu’à obtenir une fréquence cardiaque comprise entre 80 et 94/min. Le traitement était stoppé à l’arrêt des vasopresseurs ou si la fréquence cardiaque était inférieure à 80/min. Le critère principal de jugement était le score SOFA moyen des 14 jours suivants l’inclusion des patients dans l’étude.

Résultats essentiels 

L’étude a été interrompue prématurément par le sponsor en raison de l’absence d’effet favorable du landiolol et d’un possible effet délétère.

Sur 4137 patients screenés, 348 étaient potentiellement incluables et seulement 126 patients ont été finalement inclus (63 dans chaque groupes). Les patients avaient à l’inclusion environ 55 ans et il existait une légère prédominance d’hommes. La majorité des patients présentait une pneumopathie aiguë communautaire. La fréquence cardiaque moyenne était de 110-115/min et 11-13% des patients étaient en fibrillation auriculaire. Les patients recevaient une dose de noradrénaline d’environ 0,37 µg/kg/min et avaient un score SOFA à 10.

Sur le critère principal de jugement aucune différence n’était retrouvée entre les deux groupes (score SOFA à 8,8 dans le groupe sous landiolol et 8,1 dans le groupe témoin ; p=0,24).

Parmi les critères de jugement secondaires, la mortalité à 28 jours était de 37.1% dans le groupe sous landiolol contre 25.4% dans le groupe témoin (p=0,16). La fréquence cardiaque et la pression artérielle étaient plus basses dans le groupe sous landiolol, alors que le lactate et la dose de noradrénaline tendaient à être plus élevés dans ce même groupe. La proportion de patient présentant des effets indésirables était similaire entre les deux groupes (17,5% dans le groupe sous landiolol et 12,7% dans le groupe témoin, p=0,8). La proportion de patient ayant présenté un évènement indésirable était similaire dans les deux groupes. Cependant, des effets secondaires graves étaient retrouvés plus fréquemment dans le groupe sous landiolol (25,4% contre 6,4%), à savoir dans le groupe landiolol étaient rapportés : 4 hypotensions, 3 bradycardies ou asystolie, un infarctus du myocarde et une insuffisance cardiaque ; et dans le groupe témoin 5 bradycardies et 5 accès de fibrillation auriculaire non observées dans le groupe sous landiolol.

Commentaires

Dans cette étude incluant des patients adultes en état de choc septique et présentant une fréquence cardiaque supérieure à 95 battements par minutes, l’effet du landiolol visant à réduire la fréquence cardiaque entre 80 et 94 battements par minutes n’a pas démonté d’amélioration du score SOFA moyen.

Les critères secondaires, notamment la mortalité des patients sous landiolol, ne différaient pas de celle du groupe témoin, malgré une incidence accrue d’effets secondaires graves.

Ces résultats sont en contradiction avec ceux liés à l’utilisation de l’esmolol, un autre bétabloquant intraveineux d’action rapide (5).

Cette étude présente plusieurs limites qui doivent être soulignées.

D’une part cette étude a été arrêtée précocement sans argument statistique et manque donc cruellement de puissance pour conclure avec certitude à l’absence de bénéfice du landiolol.

D’autre part, aucune analyse hémodynamique ou échocardiographique n’a été effectuée avant l’inclusion, faisant ainsi suspecter l’inclusion de patients présentant une myocardiopathie septique sévère. Chez ces patients, l’administration de bétabloquants expose au risque de dégradation sévère de la fonction cardiaque.

Enfin, aucun suivi hémodynamique n’a été réalisé afin d’évaluer la réponse au traitement sur le plan hémodynamique et d’expliquer l’augmentation des effets secondaires graves.

Au final, cette étude présente des similitudes méthodologiques avec l’étude de Gordan et al publié en 2016 évaluant l’administration de lévosimendan un agent inotrope, dans le choc septique. Cet essai incluait tous les patients en choc septique sans évaluation de la fonction ventriculaire gauche et exposait les patients au risque d’augmenter la contractilité chez des patients déjà hyperkinétiques, avec risque majeur d’obstruction intra ventriculaire gauche (8).

Ainsi, il serait plus judicieux de ne plus réaliser de telles études, incluant des patients très hétérogènes, non évalués préalablement échocardiographiquement, qui peuvent conclurent à tort à l’inefficacité d’un traitement. En effet, l’administration intraveineuse de bétabloquants d’action rapide pourrait être d’une grande utilité dans un groupe particulier de patients en choc septique avec hyperkinésie ventriculaire gauche pour lesquels la mortalité est très élevée. Dans tous les cas un suivi hémodynamique est indispensable lors de l’utilisation des béta bloquants en particulier par échocardiographie avec mesure du débit cardiaque et suivi de la fonction systolique ventriculaire gauche.

Points forts

Il s’agit d’une étude prospective randomisée qui cherche à confirmer les résultats de l’étude utilisant l’esmolol publié par Morelli et al. (5) qui avaient montré  que l’esmolol réduisait la mortalité chez les patients en choc septique avec tachycardie.

Une analyse très complète des patients et de leur suivi a été faite.

Il s’agit d’une étude pragmatique analysant l’effet des béta bloquants non seulement sur la fréquence cardiaque mais probablement aussi sur les effets pléiotropes de ces molécules.

Points faibles

L’étude a été arrêtée sans aucun argument statistique solide, qui de ce fait manque de puissance pour arriver à une conclusion.

De plus, beaucoup de centres n’avaient probablement pas l’habitude d’utiliser les bétabloquants intraveineux.

L’étude a inclus tous les patients avec fréquence cardiaque élevée sans tenir compte du profile hémodynamique.

Aucune évaluation précise de l’état hémodynamique des patients n’a été faite dans cette étude. Par exemple, nous n’avons pas de donnée concernant la FeVG ou le débit cardiaque de départ ou au cours du suivi.

Les patients présentant une myocardiopathie septique et/ou une FeVG altérée et/ou un débit cardiaque abaissé ont pu être inclus, avec un risque de diminuer davantage la fonction cardiaque sous landiolol. En effet, diminuer la fréquence cardiaque de ces patients pourrait aggraver significativement leur état hémodynamique.

La fréquence cardiaque cible sous landiolol était de 80-94/min. Cette réduction importante pourrait être responsable d’une chute importante du débit cardiaque et la pression artérielle, surtout pour les patients les plus tachycardes à l’inclusion. Ceci pourrait partiellement expliquer les résultats de l’étude.

Le critère principal de jugement (le score SOFA moyen) n’est probablement pas un bon reflet de l’effet d’un traitement chez des patients en état de choc septique. En regardant l’évolution du score SOFA, on remarque que les deux courbes semblent commencer à se séparer (en défaveur du landiolol) seulement à partir du 7ème jour, au moment où habituellement l’état ce choc septique est contrôlé.

Implications et conclusions

L’utilisation d’un bétabloquant par voie intraveineuse de courte durée d’action chez des patients tout venant en état de choc septique et avec fréquence cardiaque supérieure ou égale à 95/min ne s’accompagne d’aucune amélioration du score SOFA moyen sur 14 jours. Au contraire, l’utilisation de landiolol chez ces patients non sélectionnés et sans analyse échocardiographique, a entrainé une augmentation du nombre d’effets secondaires graves. L’inclusion dans l’étude de patients avec une dysfonction ventriculaire gauche sévère préalable ou en rapport avec le sepsis (cardiomyopathie septique) pourrait en partie expliquer ces résultats. En effet, chez ces patients, une baisse de la fréquence cardiaque peut-être très délétère.

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RÉFÉRENCES

  1. Parker M, Shelhamer J, Natanson C, Alling D, Parrillo J. Serial cardiovascular variables in survivors and nonsurvivors of human septic shock: heart rate as an early predictor of prognosis. Crit Care Med. 1987;15:923-9.
  2. Sanfilippo F, Corredor C, Fletcher N, Landesberg G, Benedetto U, Foex P, Cecconi M. Diastolic dysfunction and mortality in septic patients: a systematic review and meta-analysis. Intensive Care Med. 2015;41:1004-13.
  3. Chawla S, Sato R, Duggal A, Alwakeel M, Hasegawa D, Alayan D, Collier P, Sanfilippo F, Lanspa M, Dugar S. Correlation between tissue Doppler-derived left ventricular systolic velocity (S') and left ventricle ejection fraction in sepsis and septic shock: a retrospective cohort study.J Intensive Care. 2023 Jul 3;11(1):28.
  4. Dugar S, Sato R, Chawla S, You JY, Wang X, Grimm R, Collier P, Lanspa M, Duggal A. Is Left Ventricular Systolic Dysfunction Associated With Increased Mortality Among Patients With Sepsis and Septic Shock? Chest. 2023 Jun;163(6):1437-1447.
  5. Morelli A, Ertmer C, Westphal M, Rehberg S, Kampmeier T, Ligges S, Orecchioni A, D'Egidio A, D'Ippoliti F, Raffone C, Venditti M, Guarracino F, Girardis M, Tritapepe L, Pietropaoli P, Mebazaa A, Singer M. Effect of heart rate control with esmolol on hemodynamic and clinical outcomes in patients with septic shock: a randomized clinical trial. JAMA. 2013;310:1683-91.
  6. Sanfilippo F, Santonocito C, Morelli A, Foex P. Beta-blocker use in severe sepsis and septic shock: a systematic review. Curr Med Res Opin. 2015;31:1817-25.
  7. Hasegawa D, Sato R, Prasitlumkum N, Nishida K, Takahashi K, Yatabe T, Nishida O. Effect of Ultrashort-Acting β-Blockers on Mortality in Patients With Sepsis With Persistent Tachycardia Despite Initial Resuscitation: A Systematic Review and Meta-analysis of Randomized Controlled Trials. Chest. 2021;159:2289-2300.
  8. Gordon AC, Perkins GD, Singer M, McAuley DF, Orme RM, Santhakumaran S, Mason AJ, Cross M, Al-Beidh F, Best-Lane J, Brealey D, Nutt CL, McNamee JJ, Reschreiter H, Breen A, Liu KD, Ashby D. Levosimendan for the Prevention of Acute Organ Dysfunction in Sepsis. N Engl J Med. 2016;375:1638-1648
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Commenté par Yoann Zerbib, Clément Brault, Julien Maizel et Michel Slama, Service de médecine intensive-réanimation, hôpital Sud, Amiens 80054.

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