Comment augmenter la visibilité des candidatures féminines dans les métiers majoritairement masculins ?

Image
Article NHB
Texte

 

A longer shortlist increases the consideration of female candidates in male-dominant domains
Lucas BJ, Berry Z, Giurge LM et al
Nat Hum Behav 5, 736–742 (2021).

Texte

Question évaluée

Une shortlist plus longue de candidates à un poste dans un domaine à prédominance masculine permet-elle d’augmenter le nombre de candidatures féminines pressenties ?

Type d’étude

Il s’agit d’une publication des résultats de 10 études observationnelles prospectives.

Populations étudiées

Ces études ont été réalisées au sein de diverses populations (étudiant.es ; volontaires via un site internet). Au total, 5741 personnes ont participé à cette étude.

Méthode

Dans chacune des 10 études, il a été comparé le ratio femme/homme entre une shortlist informelle de 3 candidat.es pour un rôle/poste dans un domaine à prédominance masculine versus une shortlist à 6 candidat.es. Dans les 8 premières sous-études (1a à 4), les participant.es devaient d’abord proposer une shortlist de 3 candidat.es puis l’élargir dans un second temps à 6 candidat.es (design intra-sujet). Dans les 2 dernières études (5a et 5b), les répondant.es étaient tiré.es au sort pour donner 3 ou 6 candidat.es (design inter-sujet).

  • Etude 1 (1a, 1b et 1c) : les personnes interrogées devaient produire une shortlist de 3 candidat.es pour une proposition de poste dans un domaine « typiquement masculin » (acteur.ice dans un film d’action), puis d’élargir cette shortlist à 6 candidat.es. Le nombre de femmes citées à chaque période (3 puis 6 noms) était évalué. 
  • Etude 2 (2a et 2b) : la même démarche était réalisée dans un contexte de recrutement (recherche de candidat.es pour le poste de Président Directeur Général d’une start-up de technologie).
  • Etude 3 (3a et 3b) : les personnes testées devaient citer des « role models » pour leurs enfants. Une comparaison était réalisée entre les réponses chez les parents d’enfants filles et garçons afin d’évaluer l’hypothèse selon laquelle l’augmentation du nombre de réponses demandées contribue à la déviation de celles-ci par rapport au prototype.
  • Etude 4 : la même question était posée qu’à l’étude 2 mais en comparant une liste de 3 candidat.es élargie à 6 candidat.es versus une liste de 6 candidat.es d’emblée, afin de tester l’hypothèse selon laquelle le nombre plus élevé de candidates féminines était lié au fait de générer deux listes et non pas au nombre de propositions.
  • Etude 5 (5a et 5b) : les personnes interrogées devaient lister des candidat.es pour un poste « typiquement masculin » (héros/héroïne de film d’action pour 5a, employé.e d’une industrie technologique pour 5b). Les répondant.es étaient tiré.es au sort pour donner 3 ou 6 candidat.es. La proportion de femmes citées dans les deux cas était mesurée en valeur absolue et en proportion. Par ailleurs, les participant.es devaient citer la personne parmi leur nominé.es la plus susceptible d’être sélectionné.e afin d’évaluer si l’augmentation du nombre de femmes dans les réponses augmentait le nombre de femmes sélectionnées.
Résultats essentiels

Ces différents travaux mettent en évidence les points suivants :

  • Etude 1 : augmenter le nombre de candidat.es de 3 à 6 dans une shortlist pour des rôles « typiquement masculins » augmente significativement le ratio de femmes citées.
  • Etude 2 : ce résultat est retrouvé dans un contexte professionnel.
  • Etude 3 : La proportion de femmes citées comme role models augmente entre le temps 1 et le temps 2 pour les parents d’un garçon, alors que pour les parents d’une fille, elle est plus faible au temps 2 qu’au temps 1. L’effet de « shortlist plus longue » est significativement atténué pour les parents d’une fille par rapport aux parents d’un garçon. L’étude 3 trouve donc, dans un domaine différent des précédents (role model au lieu de rôle dans le cinéma ou d’emploi dans le domaine de la technologie), d’autres preuves de l’effet de « shortlist plus longue » sur l’augmentation du nombre de femmes citées, via un mécanisme de « déviation du prototype de genre ».
  • Etude 4 : le nombre de femmes citées est aussi important quand il s’agit d’une shortlist de 6 personnes ou d’une shortlist de 3 personnes que l’on augmente ensuite à 6 personnes, suggérant que l’augmentation du nombre de femmes citées est bel et bien lié au nombre de candidat.es demandé.es et non pas au phénomène de « changement de tâche ».
  • Etude 5 : l’augmentation du nombre de candidat.es pour une shortlist augmente le nombre absolu et relatif de femmes citées ainsi que le nombre de femmes sélectionnées comme candidat.e idéal.e à l’issue de la création de cette shortlist.
Commentaires

L’obtention d’une réelle égalité femmes-hommes passe par l’amélioration des conditions de travail de celles-ci et notamment par l’obtention de l’égalité dans l’accès aux postes à pourvoir. Or, les candidat.es pour ceux-ci sont souvent sélectionné.es de manière informelle, et dans ce cadre la discrimination envers les femmes peut se faire de manière inconsciente (concept de « biais de genre de deuxième génération ») : il vient plus à l’esprit des recruteur.euses des noms d’hommes que de femmes dans les domaines « typiquement masculin ».

Cet article propose, teste et valide une hypothèse simple afin de favoriser l’accès des femmes à ces postes : l’effort de générer une shortlist informelle de taille plus conséquente (ici 6 candidat.es au lieu de 3) permettrait de penser à plus de femmes, et d’en sélectionner plus.

Les études proposées dans cet article démontrent simplement l’efficacité de cette hypothèse, tout en testant les éléments expliquant ces résultats (ceux-ci sont liés directement au nombre de candidat.es proposé.es, l’augmentation de celui-ci entraînant une plus grande facilité à « sortir » du stéréotype de genre pour le poste concerné, concept probablement généralisable à la diversification des profils dans d’autres domaines que le genre).

L’intérêt de ce travail peut aisément s’imaginer dans le champ de la médecine où l’on sait l’importance du « réseau » dans la recherche de candidat.es pour un emploi, et où les disparités femmes-hommes sont encore extrêmement importantes. Les résistances aux quotas ou à la parité « forcée » sont encore nombreuses, aussi cette méthode simple pourrait facilement participer à l’amélioration de cette problématique. Elle permet en outre de mettre en évidence de manière objective les biais inconscients qui régissent nos choix et leurs effets concrets.

Points forts

Une étude prouvant l’efficacité d’une méthode simple utilisée afin d’augmenter le nombre de femmes pressenties pour un poste dans un domaine « typiquement » masculin.

Points faibles

Son application en pratique n’est pas si simple : censée lutter contre les biais inconscients, elle nécessite quand même une certaine conscience du problème pour qu’un.e recruteur.se la mette en place.

Par ailleurs, cette étude ne cible pas spécifiquement le milieu médical, ni le milieu du travail français, pouvant différer des milieux étudiés par certaines habitudes et pratiques.

Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Olfa Hamzaoui, Service de Réanimation Polyvalente, Hôpital Antoine Béclère, Hôpitaux Paris-Saclay, et Julien Le Marec, Service de Médecine intensive-Réanimation Eole, Pitié-Salpêtrière.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (olfa.hamzaoui@aphp.fr) et/ou à la CERC.

Texte

CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ