Fortes doses de vitamine C dans le sepsis ?

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Intravenous Vitamin C in Adults with Sepsis in the Intensive Care Unit
François Lamontagne, Marie-Hélène Masse, Julie Menard et al.
N Engl J Med 2022; 386:2387-2398. DOI: 10.1056/NEJMoa2200644

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Question évaluée

La perfusion intraveineuse de vitamine C à fortes doses réduit-elle la mortalité ou les défaillances d’organes persistantes des patients septiques sous vasopresseurs à 28 jours ?

Type d’étude

Essai contrôlé randomisé en double aveugle

Population étudiée

Patients adultes admis en réanimation depuis moins de 24 heures pour état infectieux grave avec dépendance aux vasopresseurs.

Méthodes

Dans cette étude multicentrique internationale étaient évalués chez des patients avec état infectieux grave et dépendance aux vasopresseurs les effets de fortes doses de vitamine C contre placebo. La randomisation 1 : 1 était réalisée de façon centralisée et informatisée, avec stratification par centre. Tout le personnel en charge des patients était en aveugle du traitement administré.

Dans le groupe interventionnel : perfusion IVL (30 à 60 minutes) de vitamine C (50 mg/kg) 4 fois par jour pendant 4 jours.

Dans le groupe placebo : perfusion de soluté (G5 ou NaCl 0,9%), 4 fois par jour pendant 4 jours.

Le reste de la prise en charge était laissée à la libre décision du clinicien en charge du patient, notamment la prescription de corticoïdes et de thiamine.

Le critère de jugement principal était composite, combinant mortalité et dysfonction d’organes (EER, VM, amines vasopressives) à J28.

Les critères de jugement secondaires étaient :

  •  Nombre de jours sans dysfonction d’organes, mortalité à J28 et 6 mois, score de qualité de vie à 6 mois, SOFA à J2, J3, J4, J7, J10, J28 et dosages de biomarqueurs à J3 et J7 (évaluant 3 axes portant sur l’inflammation, l’hypoxie et l’agression endothéliale).
  •  Évaluation de la tolérance avec insuffisance rénale aiguë KDIGO3, hémolyse et hypoglycémie.
Analyses statistiques

Les auteurs ont estimé la survenue du critère de jugement principal à J28 dans la population d’intérêt à 50% et ont fait l’hypothèse d’une diminution de 10% dans le groupe traité par vitamine C. Avec une puissance à 80% et un risque a de 5%, le nombre de patients à inclure a été évalué à 385, arrondi à 400 en incluant les exclusions/perdus de vue potentiels. L’analyse a été réalisée en intention de traiter avec de multiples analyses secondaires ajustées sur l’âge, le sexe, le score APACHEII, l’association avec les glucocorticoïdes et le délai d’admission. Les analyses en sous-groupes ont été décidées a priori selon l’âge, le sexe, le score de fragilité, la gravité de la maladie, la présence d’un choc septique répondant à la définition de Sepsis-3, la présence d’une carence en vitamine C ou d’une maladie à COVID-19.

Principaux résultats

872 patients ont été inclus dans 35 réanimations médico-chirurgicales au Canada, en Nouvelle Zélande et en France de novembre 2018 à juillet 2021. Les deux groupes étaient comparables et correspondaient à nos patients de Médecine intensive-Réanimation (80% d’admission pour cause médicale) avec un score APACHE II médian à 24 et un score SOFA médian à 10 à l’admission. Le poumon (approximativement 30% des cas) et l’appareil digestif (approximativement 30% des cas) étaient les deux principales portes d’entrée infectieuse. Seuls 60% des patients répondaient à la définition Sepsis 3 du choc septique1.

Au cours du séjour, environ 60% des patient recevaient des glucocorticoïdes et 25% de la thiamine. L’adhérence au protocole était excellente car seulement 12 patients n’ont reçu aucune dose (décès avant la randomisation et retrait de consentement) et près de 97% des patients ont reçu plus de 90% de la dose prévue. La durée médiane de séjour était de 6 jours en réanimation et 16 jours à l’hôpital.

Les auteurs ont mis en évidence une différence significative sur le critère de jugement principal : 44,5% des patients du groupe Vitamine C étaient décédés ou gardaient une dysfonction d’organe à J28 contre 38,5% dans le groupe placebo (RR : 1,21 (IC95% [1,04-1,4]). Il n’y avait aucune différence significative concernant les critères de jugement secondaire.

La perfusion de vitamine C a été globalement très bien tolérée avec seulement un évènement anaphylactique dont la gravité n’a pas été décrite et un épisode d’hypoglycémie non directement imputable à la perfusion de vitamine C. En effet, cette hypoglycémie a été induite par l’administration d’insuline sur une fausse hyperglycémie, phénomène décrit2–4 avec certains lecteurs de glycémie capillaire lors des perfusions de haute dose de vitamine ayant abouti à une modification du protocole des surveillances des glycémies.

Commentaires
Points forts
  • Question clinique pertinente avec l’évaluation d’un traitement pour une pathologie grave et fréquente
  • Méthodologie de grande qualité avec un essai clinique multicentrique international randomisé en double aveugle
  • Population incluse représentative des patients de réanimation en France
  • Adhésion au protocole thérapeutique excellente
  • Analyse en intention de traiter
Points faibles
  • Seulement 60% de patients répondant à la nouvelle définition du choc septique (Sepsis-3)
  • Critère de jugement composite avec un critère solide (mortalité) et un critère moins relevant cliniquement à J28
Implications et conclusions

Cette étude de haut niveau méthodologique était attendue afin de pouvoir trancher sur l’intérêt thérapeutique de la vitamine C dans le choc septique. Les résultats sont une « douche froide » pour ceux qui croyaient aux vertus de cette vitaminothérapie. Les résultats sont différents de ceux des précédentes études qui ne retrouvaient soit aucun effet de la vitamine C sur la mortalité5–7 soit une amélioration8. Un autre travail rapportait un bénéfice de la vitamine C sur la durée d’administration des vasopresseurs9. Les différences entre ses études, en dehors des doses, sont principalement liée à la population étudiée. A titre d’exemple dans l’étude CITRIS-ALI, les patients inclus avaient tous une atteinte pulmonaire sévère8. Un travail physiopathologique récent a mis en évidence un effet bénéfique de la vitamine C sur la réactivité endothéliale et la perfusion tissulaire au cours du choc septique. Ces données suggèrent que chez les patients en choc septique avec une hypoperfusion tissulaire persistante malgré la réanimation initiale, la vitamine C pourrait être bénéfique10. Cette hypothèse doit bien entendu être validée dans le futur.

Un autre élément mis en avant pour expliquer cette surmortalité est liée au protocole d’administration de la vitamine C. Il a été rapporté qu’en cas de schéma thérapeutique discontinue, il existe un rebond à l’arrêt de la perfusion de vitamine C avec des taux plasmatiques et urinaires inférieurs qui s’effondrent11,12. La durée d’administration limitée à 4 jours questionne également. D’ailleurs, une analyse post-hoc de LOVIT a montré que la surmortalité dans le groupe traité par vitamine C apparaissait significativement entre J5 et J7 après le début de l’étude, après l’arrêt de cette perfusion13. De plus, on ne peut pas exclure une variabilité d’effet en fonction de l’utilisation seule de la vitamine C ou en association avec la thiamine (25%) et/ou les corticoïdes (65%), même si les analyses en sous-groupe ne retrouvent pas de différence.

En conclusion, cette étude de très bonne qualité méthodologique montre que l’utilisation de la vitamine C chez des patients septiques sous vasopresseurs est plutôt délétère. Son utilisation sous d’autres modalités d’administration ou dans d’autres populations sélectionnées devra être testée avant de l’exclure définitivement de notre arsenal thérapeutique.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Jean-Rémi Lavillegrand, Service de médecine intensive-Réanimation, Hôpital H Mondor, Créteil et Hafid Ait-OufellaService de médecine intensive-Réanimation, Hôpital Saint-Antoine, Paris.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (hafid.aitoufella@aphp.fr) et à la CERC.

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Références

  1. Singer, M. et al. The Third International Consensus Definitions for Sepsis and Septic Shock (Sepsis-3). JAMA 315, 801 (2016).

  2. Lachance, O. et al. High-dose vitamin-C induced prolonged factitious hyperglycemia in a peritoneal dialysis patient: a case report. J. Med. Case Reports 15, 1–4 (2021).

  3. Kahn, S. A. & Lentz, C. W. Fictitious hyperglycemia: point-of-care glucose measurement is inaccurate during high-dose vitamin C infusion for burn shock resuscitation. J. Burn Care Res. Off. Publ. Am. Burn Assoc.36, e67-71 (2015).

  4. Kim, S. K. et al. Spurious elevation of glucose concentration during administration of high dose of ascorbic acid in a patient with type 2 diabetes on hemodialysis. Yonsei Med. J. 54, 1289–1292 (2013).

  5. Sevransky, J. E. et al. Effect of Vitamin C, Thiamine, and Hydrocortisone on Ventilator- and Vasopressor-Free Days in Patients With Sepsis: The VICTAS Randomized Clinical Trial. JAMA 325, 742–750 (2021).

  6. Moskowitz, A. et al. Effect of Ascorbic Acid, Corticosteroids, and Thiamine on Organ Injury in Septic Shock: The ACTS Randomized Clinical Trial. JAMA 324, 642–650 (2020).

  7. Hwang, S. Y. et al. Combination therapy of vitamin C and thiamine for septic shock: a multi-centre, double-blinded randomized, controlled study. Intensive Care Med. 46, 2015–2025 (2020).

  8. Fowler, A. A. et al. Effect of Vitamin C Infusion on Organ Failure and Biomarkers of Inflammation and Vascular Injury in Patients With Sepsis and Severe Acute Respiratory Failure: The CITRIS-ALI Randomized Clinical Trial. JAMA 322, 1261 (2019).

  9. Iglesias, J. et al. Outcomes of Metabolic Resuscitation Using Ascorbic Acid, Thiamine, and Glucocorticoids in the Early Treatment of Sepsis: The ORANGES Trial. Chest 158, 164–173 (2020).

  10. Lavillegrand, J.-R. et al. Vitamin C improves microvascular reactivity and peripheral tissue perfusion in septic shock patients. Crit. Care Lond. Engl. 26, 25 (2022).

  11. Tsao, C. S. & Salimi, S. L. Evidence of rebound effect with ascorbic acid. Med. Hypotheses 13, 303–310 (1984).

  12. Omaye, S. T., Skala, J. H. & Jacob, R. A. Plasma ascorbic acid in adult males: effects of depletion and supplementation. Am. J. Clin. Nutr. 44, 257–264 (1986).

  13. Hemilä, H. & Chalker, E. Abrupt termination of vitamin C from ICU patients may increase mortality: secondary analysis of the LOVIT trial. Eur. J. Clin. Nutr. (2022) doi:10.1038/s41430-022-01254-8.