HOT-ICU refroidit les believers de l’oxygénation restrictive

24/06/2021
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Lower or Higher Oxygenation Targets for Acute Hypoxemic Respiratory Failure.
Schjørring OL, Klitgaard TL, Perner A, et al.:

N Engl J Med 2021

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Question évaluée

Chez les patients hypoxémiques en réanimation, une stratégie d’oxygénation restrictive permet-elle de diminuer la mortalité à J90 en comparaison à une stratégie plus libérale ? 

Population étudiée

Critères d’inclusion

  • Adultes admis en réanimation pour insuffisance respiratoire aigüe hypoxémique depuis moins de 12h
  • Avec une durée d’oxygénothérapie attendue supérieure à 24h
  • Et un débit d’oxygène au masque haute concentration ≥ 10 L/min ou une FiO2 ≥ 50% si oxygénothérapie nasale haut débit, ventilation non invasive ou intubation

Les patients sous oxygénothérapie longue durée n’étaient pas inclus.

Méthode
  • Il s’agit d’un essai randomisé contrôlé, multicentrique mené en Europe du nord.
  • La randomisation était stratifiée sur 3 paramètres : le centre, la présence d’une BPCO, et la présence d’une hémopathie maligne.
  • L’intervention consistait à moduler la FiO2 pour viser dans le groupe « oxygénation basse » une PaO2 cible de 60 (± 7,5) mmHg, et dans le groupe « oxygénation haute », une PaO2 cible de 90 (± 7,5) mmHg.
  • L’intervention était poursuivie jusqu’à 90 jours après la randomisation. Entre les gaz du sang, dont la fréquence n’était pas imposée, la SpO2 était utilisée pour le maintien dans le bras de traitement (sur la base d’une correspondance PaO2-SpO2).
  • Les modalités d’oxygénation et les paramètres ventilatoires était laissés à la discrétion des cliniciens.
  • Le critère principal de jugement était la mortalité à J90.
  • L’hypothèse statistique était une réduction de 5% de la mortalité à J90 en faveur du groupe « oxygénation basse » (interventionnel), avec une mortalité dans le groupe « oxygénation haute » (contrôle) attendue de 25%.
Résultats essentiels
  • 2928 patients ont été inclus. 58% des patients étaient intubés à l’inclusion. Le SOFA médian était à 9. Le motif d’admission était une pneumonie dans plus de la moitié des cas, un arrêt cardiaque dans 11 % des cas et un SDRA dans 13 % des cas.
  • Les PaO2 médiane était significativement plus basses pendant toute la durée de l’intervention dans le groupe « oxygénation basse » (70,8 (IQR 66,6–76,5) mmHg contre 93,3 (IQR 87,1–98,7) mmHg), de même que la SaO2 et la FiO2. Il n’y avait pas de différence de recours à l’intubation, au décubitus ventral et à l’ECMO entre les groupes.
  • A J90, il n’y avait pas de différence de mortalité entre les groupes « oxygénation basse » et « oxygénation haute » (42,9% contre 42,4%, risk ratio, 1.02; intervalle de confiance à 95%, 0,94 – 1,11; P = 0,64). Il n’y avait pas non plus de différence entre les groupes concernant la survie à J90 sans support de réanimation (ventilation, épuration extra-rénale et amines), la survenue d’effets indésirables graves, et la survenue d’ischémie mésentérique aigue.
Commentaires
  • En 2016, l’essai monocentrique italien OXYGEN-ICU rapportait une diminution de la mortalité lorsqu’une stratégie d’oxygénation restrictive était appliquée en réanimation (2). Les résultats surprenants de cet essai interrompu prématurément ont conduit à poursuivre la recherche sur cette thématique. Depuis, trois essais multicentriques ont évalué l’intérêt d’une stratégie d’oxygénation restrictive en réanimation. L’essai HOT-ICU est le dernier publié et le plus grand par l’effectif. Comme les essais ROX-ICU et LOCO2, HOT-ICU n’a pas démontré de bénéfice d’une stratégie restrictive d’oxygénation (1, 3, 4)(Tableau 1).
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Tableau 1 : essais randomisés comparant oxygénation restrictive et libérale en réanimation

  • HOT-ICU et LOCO2 partagent l’inclusion de patients en insuffisance respiratoire aigüe, et ont des cibles d’oxygénation très proches. Toutefois, seulement 13% des patients de HOT-ICU remplissaient à l’inclusion les critères de SDRA et seulement 70% ont été intubés. A la différence de LOCO2, la gestion des paramètres de ventilation (PEP, décubitus ventral) était laissée à l’appréciation des cliniciens. Les traitements de recours comme le décubitus ventral et l’ECMO étaient très peu utilisés (5,7% et 0,9%).
Points forts
  • Le design est optimal pour répondre à la question posée : essai randomisé contrôlé international de très grand effectif
  • L’intervention est simple et pragmatique : modulation de la FiO2.
Points faibles
  • La population est très hétérogène, composée de patients admis pour un arrêt cardiaque, traumatisme crânien, et de patients non intubés.
  • Dans le groupe « oxygénation basse », la PaO2 médiane observée était supérieure de 10 mmHg environ à celle visée, ce qui a pu aboutir à une stratégie « moins restrictive » que prévu.
  • L’absence de protocole de ventilation a pu favoriser la possibilité d’une prise en charge ventilatoire hétérogène entre les centres.
  • A 10 jours, il ne reste plus que 400 malades dans chaque bras dont les données d’oxygénation sont analysées. Il serait intéressant de savoir comment évolue ce nombre sur les 10 premiers jours.
  • La mortalité dans les 2 groupes est élevée (plus de 40%) alors que seulement 70% des malades sont intubés. L’analyse statistique était basée sur une mortalité attendue dans le groupe témoin de 25%. L’effet de la stratégie d’exposition a pu être masquée par cette surmortalité inattendue.
  • Dans l’analyse en sous-groupes, la mortalité des malades avec choc ou ventilation invasive est numériquement supérieure dans le bras oxygénation basse, sans être significative. Dans l’étude ancillaire ROX-ICU (5), les patients septiques avaient une mortalité plus élevée (différence de 7%) dans le bras oxygénation basse. Dans l’étude LOCO2 il existait un risque accru d’ischémie mésentérique aigue dans le bras oxygénation basse, ce qui n’est pas retrouvé dans l’étude commentée ici.
Implications et conclusions

Il ne faut probablement pas viser une cible d’oxygénation restrictive (60 mmHg) dans le but de diminuer la mortalité des patients de réanimation avec une insuffisance respiratoire aigüe hypoxémique. En pratique quotidienne, une cible d’oxygénation correspondant à la physiologie (70-100 mmHg) semble raisonnable.

Une étude (MEGAROX) portant sur plusieurs milliers de patients de réanimation est actuellement en cours pour évaluer l’effet du niveau d’oxygénation sur le pronostic, en fonction de la pathologie. Il est possible que les seuils d’oxygénation puissent être différents selon la pathologie, la sévérité et le délai de mise en œuvre.  

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Hadrien Winiszewski, PHU et le Pr Gilles Capellier, PUPH, service de réanimation médicale, CHU Besançon.

Hadrien Winiszewski déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.
Gilles Capellier déclare les liens suivants :

  • BAXTER : membre de comité médical, indemnité et remboursement de frais (conférences, réunions de travail)
  • ASTEN : prise en charge de frais de congrès, soutien recherche
  • ARCHEON : membre de comité médical,  indemnité et remboursement de frais

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (gilles.capellier@univ-fcomte.fr) à la CERC.

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Références

  1. Acute Hypoxemic Respiratory Failure. N Engl J Med 2021;
  2. Girardis M, Busani S, Damiani E, et al.: Effect of Conservative vs Conventional Oxygen Therapy on Mortality Among Patients in an Intensive Care Unit: The Oxygen-ICU Randomized Clinical Trial. JAMA 2016; 316:1583–1589
  3. Barrot L, Asfar P, Mauny F, et al.: Liberal or Conservative Oxygen Therapy for Acute Respiratory Distress Syndrome. N Engl J Med 2020; 382:999–1008
  4. ICU-ROX Investigators and the Australian and New Zealand Intensive Care Society Clinical Trials Group, Mackle D, Bellomo R, et al.: Conservative Oxygen Therapy during Mechanical Ventilation in the ICU. N Engl J Med 2019;
  5. Young P, Mackle D, Bellomo R, et al.: Conservative oxygen therapy for mechanically ventilated adults with sepsis: a post hoc analysis of data from the intensive care unit randomized trial comparing two approaches to oxygen therapy (ICU-ROX). Intensive Care Med 2019;
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON