Les patient·es COVID-19 admis·es en réanimation ont-ils un impact sur la charge en soins des infirmier·es ?

25/02/2022
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Article ICCN
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Impact of COVID-19 on nursing time in intensive care units in Belgium,
A. Bruyneel, Maria-Cécillia Gallani, Jérôme Tack et al.
Intensive & Critical Care Nursing, https://doi.org/10.1016/j.iccn.2020.102967

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Question évaluée

Évaluer le ratio infirmier.e:patient (I:P) requis pour la prise en charge en soins infirmiers chez les patients atteints de la COVID-19 et identifier les facteurs influençant la charge en soins dans ce contexte.

Type d’étude

Etude observationnelle rétrospective multicentrique

Population étudiée

Patients issus de 5 réanimations polyvalentes dans 3 hôpitaux belges francophones.

Tous les patients admis dans les services participants entre le 2 Septembre 2019 et le 16 Mars 2020 étaient inclus dans le groupe « patients non COVID-19 ». Tous les patients admis dans les mêmes centres entre le 16 Mars 2020 et le 17 Mai 2020 et présentant un test PCR SARS-CoV-2 positif étaient inclus dans le groupe « patients COVID-19 ».

Méthode

Cette étude rétrospective visait à évaluer la charge en soins infirmiers entre 2 groupes de patients admis en réanimation, « non COVID-19 » et « COVID-19 ».

Le critère d’évaluation était l’échelle d’évaluation de la charge en soins infirmiers, le Nursing Activities Score (NAS).

Le NAS est un outil utilisé en routine dans les réanimations concernées par l’étude depuis plusieurs années. Ce score, validé depuis 2003 (Miranda et al., 2003) a été traduit en français et validé pour son utilisation en Belgique en 2018 (Bruyneel et al., 2018).

Le NAS permet ainsi d’évaluer, le temps infirmier nécessaire pour prodiguer les soins à un patient. Ce score est mesuré par chaque équipe ou, au minimum, une fois par 24h. Le NAS est  exprimé en pourcentage (100% = 1 infirmier nécessaire pour 1 patient).

Les variables quantitatives sont exprimées en moyennes et écart-types, ou en médiane et intervalles interquartiles. Les variables ont été comparées à l'aide des tests de Mann-Whitney et de Kruskal-Wallis. Les données catégorielles ont été décrites sous forme d’effectifs et de pourcentages, et comparées à l'aide du test de Chi 2 ou du test exact de Fisher.

La corrélation entre le score NAS et l’âge, la durée de séjour, l’IMC, les scores de gravité SAPS 3 et Apache II a été testée (rho de Spearman).

Une analyse multivariée par régression logistique a été réalisée pour déterminer les facteurs indépendamment associés à un score plus élevé de charge en soins

Résultats essentiels

1604 patients non COVID-19 ont été inclus entre Septembre 2019 et Mars 2020, pour lesquels 5453 scores NAS ont été mesurés.

95 patients COVID-19 ont été inclus entre Mars et Mai 2020. 905 scores NAS ont été mesurés pour ce second groupe.

Le score NAS moyen était significativement plus élevé pour les patients du groupe COVID-19 comparativement aux patients du groupe non COVID (92.0 ± 16.1 vs 71.7 ± 18.2, p < 0.0001) avec notamment un score plus élevé à l’admission en réanimation.

Plus de 50 % des scores NAS du groupe COVID-19 se situaient entre 76 et 100% avec 30 % des scores au-delà de 100 % impliquant de ce fait la nécessité de plus d’une infirmière par patient.

Dans le groupe non COVID-19, 49% des scores NAS se situaient entre 51 et 75%, notamment pour les items de surveillance clinique, de mobilisation et de soins d’hygiène.

Les types d’activités infirmières différaient dans les deux groupes. Le groupe COVID-19 nécessitait plus de temps pour la surveillance, les mobilisations et les soins d’hygiène.

En analyse multivariée, les facteurs étaient indépendamment associés à un score NAS plus élevé étaient les suivants :

  • Dans le groupe COVID-19,  la présence d’une hémofiltration (OR = 10,27, IC à 95%: 2,42–20,58), un score Apache II> 14 (OR = 6,37, IC à 95%: 1,78–31,78) et la mortalité des patients (OR = 3,34, IC à 95%: 1,56–7,31).
  • Dans le groupe non COVID-19, l’indice de masse corporelle élevé (>30Kg/m2) (OR = 1,31, IC à 95%: 1,08–1,60), la présence d’une hémofiltration (OR = 5,79, IC à 95%: 3,76–8,91), un score SAPS 3> 46 (OR = 1,82, IC à 95%: 1,44–2,32), un score  APACHE II> 14 (OR = 2,65, IC à 95%: 1,97–3,56) et la ventilation mécanique (OR = 3,89, IC à 95%: 3,05–4,97).

Au final, sur la population globale de patients, le diagnostic de COVID-19 était un marqueur prédictif d’un score NAS plus élevé (OR = 4.84, 95% CI: 3.63–6.42).

Commentaires

Bien que dans le tableau descriptif de la population, il n’est pas noté de différence de score prédictif de mortalité (SAPS 3) entre les deux groupes, les patients des deux groupes correspondent à des populations différentes. Cette différence s’illustre particulièrement sur les durées de séjour et de ventilation. La durée médiane de ventilation était  de 11 jours dans le groupe COVID-19 versus 2 jours dans le groupe non COVID-19 (p<0.0001). La durée médiane de séjour en réanimation était de 9 jours dans le groupe COVID-19 versus 2 jours dans le groupe non COVID-19 (p<0.0001). Ceci s’explique en partie par la part importante (25%) de patients admis en réanimation en surveillance post-opératoire dans le groupe non- COVID-19. La mortalité est également différente entre les 2 groupes, 29% dans le groupe COVID-19 versus 11% dans le groupe non COVID-19 (p<0.0001).

Le groupe non COVID-19 était constitué d’une grande proportion de patients admis pour un suivi post-opératoire, alors que les patients du second groupe sont tous admis pour des défaillances liées au COVID-19. Il est probable que les patients de la première cohorte aient bénéficié de chirurgie carcinologique. Ce critère impacte fortement la mortalité à moyen terme et impacte aussi fortement le score SAPS 3 sans que le pronostic de ces patients soit forcément engagé à court terme (décès en réanimation). A contrario, pour les patients admis pour COVID-19, le SAPS 3 révélait leur état critique à l’admission.

Le temps infirmier nécessaire sur les critères d’hygiène pour les patients du groupe COVID-19 pourrait surprendre mais s’explique par le temps nécessaire pour revêtir les équipements de protection individuelle (EPI). Cet acte fait partie de l’item « hygiène » du NAS. Les temps plus élevés de mobilisation pour les patients COVID-19 s’expliquent par la nécessité de mettre les patients en décubitus ventral (DV) et le nombre de soignants nécessaires pour cette procédure.

Points forts
  • Étude multicentrique.
  • Le score NAS est utilisé au sein des réanimations de l’étude depuis plusieurs années. Ce score est pratiqué en routine par les infirmiers et incrémenté dans une base de données de manière systématique.
Points faibles
  • La répartition des patients entre les deux groupes est déséquilibrée, 95 patients dans le groupe COVID-19, 1604 dans le groupe non COVID-19.
  • Les mesures du NAS pour les patients COVID-19 ont été faites au commencement de la crise en Europe. La prise en charge de ces patients et notamment des précautions nécessaires étaient encore incertaines. Sur cette période de la crise, les soignants avaient tendance à se surprotéger. Ceci a fait probablement augmenter le temps infirmier nécessaire à la prise en charge des patients atteints de COVID-19. A présent, le COVID-19 est mieux connu et les procédures sont davantage standardisées et certainement moins chronophages pour les soignants.
Implications et conclusions

Malgré la période de l’étude (commencement de la crise COVID-19), le score NAS montre bien une charge en soins plus importante dans le groupe COVID-19, notamment sur les activités de mobilisations (DV) et d’hygiène en lien avec les EPI.

Ces chiffres ne sont exploitables que dans leur contexte, à cette période-là, pour les réanimations de l’étude. Ils reflètent les changements majeurs qu’ont vécus les soignants de réanimation au moment de la crise du COVID-19 et le bouleversement de leur quotidien professionnel.

Une étude à plus grande échelle comparant un groupe de patients non COVID-19 versus un groupe COVID-19 en 2021 serait intéressante à mener. Les équipes de soins connaissent mieux cette prise en charge et les groupes seraient ainsi plus comparables.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Carole Haubertin, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU d'Angers, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (carole.haubertin@chu-angers.fr) ou à la CERC.

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Références

  1. Traduction sémantique en français et implémentation du Nursing Activities Score en Belgique.
    Bruyneel, A., Guerra, C., Tack, J., Droguet, M., Maes, J., & Miranda, D. R. (2018).
    Médecine Intensive Réanimation, 27(3), 260‑272. https://doi.org/10.3166/rea-2018-0029
  2. Nursing activities score.
    Miranda, D. R., Nap, R., de Rijk, A., Schaufeli, W., Iapichino, G., & Group,  the members of the T. W. (2003).
    Critical Care Medicine, 31(2), 374–382. https://doi.org/10.1097/01.CCM.0000045567.78801.CC
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ