Sédation et curares au cours du SDRA : juste ce qu’il faut…

25/11/2021
Auteur(s)
Image
Article CCM
Texte

Optimal Sedation in Patients Who Receive Neuromuscular Blocking Agent Infusions for Treatment of Acute Respiratory Distress Syndrome-A Retrospective Cohort Study From a New England Health Care Network
Karuna Wongtangman, Stephanie D Grabitz, Maximilian Hammer, Luca J Wachtendorf, Xinling Xu, Maximilian S Schaefer, Philipp Fassbender, Peter Santer, Elias Baedorf Kassis, Daniel Talmor, Matthias Eikermann, SICU Optimal Mobilization Team (SOMT) Group
Crit Care Med 2021 Jul 1;49(7):1137-1148. doi: 10.1097/CCM.0000000000004951.

Texte

Question évaluée

La sédation profonde prolongée est-elle responsable d’effets délétères chez les patients recevant une curarisation continue au cours du SDRA ?

Type d’étude

Etude de cohorte observationnelle rétrospective.

Population étudiée

Patients en SDRA (définition de Berlin) sous ventilation mécanique (VM) invasive dans 7 unités de réanimation à Boston (USA) de 2008 à 2018. Exclusion des patients à haut risque d’OAP ou d’excès de remplissage vasculaire.

Méthodes

Comparaison des patients recevant ou non une perfusion continue de curares au cours de leur évolution (uniquement le 1ier épisode de SDRA). L’objectif principal de l’étude est d’évaluer le rôle de la sédation profonde et prolongée et son association à d’éventuels effets délétères de la curarisation continue.

La méthodologie utilisée est une analyse de médiation dans laquelle on considère l’effet de l’exposition au traitement (les curares) sur la mortalité hospitalière en tenant compte d’une variable de médiation (la proportion de sédation profonde prolongée). Les auteurs testent ainsi successivement 3 hypothèses :

  • L’utilisation des curares est associée à un sur-risque de mortalité ajustée (sans tenir compte de l’effet confondant de la sédation).
  • Cette association est gommée lorsque l’on tient compte de l’effet confondant de la sédation profonde prolongée.
  • La sédation profonde prolongée est elle-même associée à la mortalité.

Les auteurs définissaient la sédation profonde comme un score journalier moyen de RASS (Richmond Agitation and Sedation Scale) ≤-2 ou un score SAS (Riker Sedation Agitation Scale) ≤ 2. Le nombre de jours avec une sédation profonde rapporté au nombre de jours sous VM au cours de la 1ière semaine du SDRA permettait de définir un ratio de sédation profonde, les patients étant séparés entre sédation légère et profonde en prenant la médiane comme cut-off.

Les objectifs secondaires étaient de déterminer les effets des curares (médiés par la sédation profonde) sur l’utilisation de vasopresseurs, la durée de VM et de séjour en réanimation.

L’analyse a été faite sur l’ensemble de la population (analyses exploratoires) après prise en compte de la sévérité du SDRA via un « 9-point ARDS outcome score » (incluant l’âge, le rapport PaO2/FiO2 et la pression de plateau à l’inclusion)  qui permet d’atténuer le biais lié à une sévérité respiratoire plus importante des patients curarisés.  Une analyse de sous-groupe chez les patients ayant reçu exclusivement une sédation profonde était également réalisée. Dans un second temps (analyse de sensibilité), une analyse matchée via un score de propension (incluant l’âge, et les paramètres ventilatoires initiaux) a été menée ainsi qu’une analyse sur un sous-groupe de patients avec rapport PaO2/FiO2 < 150.

Résultats essentiels

Dans ce travail, 3 419 patients en SDRA ont été inclus, parmi lesquels 577 (16,9%) ont reçu une perfusion continue de curares (majoritairement le cisatracurium). Les auteurs retrouvent une association entre l’utilisation d’une curarisation continue et la mortalité, dans la cohorte entière après intégration du « 9-point ARDS outcome score » (43,5 vs. 32,7% ; p<0,001. Odds ratio ajusté 1,42 (1,18-1,71) ;p<0,01). En analyse de médiation, cette association est totalement médiée par la proportion de sédation profonde (Odds ratio ajusté (aOR) 0,87 (0,71-1,06) ; p=0,18). En d’autres termes, lorsque l’on tient compte du ratio de sédation profonde, cette association curarisation-mortalité n’existe plus.  Il existait au contraire une réduction de la mortalité associée à la curarisation (49% vs 51%; aOR 0,80; (0,63–0,99); p = 0,048) dans le sous-groupe de patients ayant nécessité exclusivement une sédation profonde. Concernant les objectifs secondaires, on observe une diminution du nombre de jours vivants sans VM (–4.8 jours (–6,1 - –3,5); p < 0,001) et en dehors de la réanimation (–4.0 (–5,1 - –2,9) jours; p < 0,001), ces différences étant elles aussi médiées par la proportion de sédation profonde. Les auteurs retrouvent également une augmentation des doses de vasopresseurs dans le groupe curares, cette fois non médiée par la profondeur de la sédation. En analyse matchée, cet effet de médiation du ratio de sédation profonde était également retrouvé, de même que dans le sous-groupe de patients avec PaO2/Fi02 <150.

Commentaires

Cette étude met en exergue le rôle néfaste d’une sédation profonde et prolongée pour les patients curarisés en termes de mortalité , de durée de VM et de séjour en réanimation. Deux résultats méritent d’être soulignés : la durée de curarisation était de 1,8 (±1,9) jours alors que la durée de sédation profonde était de 4,7 ± 2.2 jours soulignant le fait que cette sédation aurait pu être allégée ou arrêtée plus précocement. Par ailleurs, lorsque l’on s’intéresse spécifiquement aux patients qui ont nécessité une sédation lourde, la curarisation est associée à une réduction de la mortalité.

Les auteurs mettent en avant leurs données pour expliquer la différence de résultats entre les études ACURASYS (1) et ROSE (2), les effets néfastes de la sédation profonde et prolongée chez des patients ne le nécessitant pas forcement dans ROSE pouvant expliquer l’absence d’effets bénéfiques des curares (mais, il faut le souligner, ROSE ne retrouvait pas non plus d’augmentation de la mortalité dans le groupe de patients curarisés (2)). On peut ajouter qu’un délai d’inclusion plus court (avant optimisation de la sédation et des réglages du ventilateur), une PEP plus élevée et le faible recours au DV dans ROSE par rapport à ACURASYS sont les autres différences pouvant expliquer les divergences de résultat des 2 études.

Points forts
  • Le nombre important de patients en SDRA inclus.
  • La méthodologie utilisée pour faire émerger le rôle confondant de la sur-sédation (analyse de médiation).
  • L’ajustement sur la sévérité des patients et la ventilation mécanique initiale dans la comparaison matchée permettant d’atténuer le risque de biais.
Points faibles
  • Le caractère rétrospectif ne permet pas de connaitre le détail des paramètres ventilatoires et du management des patients de façon suivie.
  • La mortalité dans le groupe de patients non curarisés (32,7%) inférieure à celle des groupes contrôle d’ACURASYS (1)(40,7%) et ROSE (2)(42,8%) fait craindre une différence de sévérité malgré l’ajustement, jouant en « défaveur » du groupe de patients curarisés.
  • La période d’inclusion large (2008-2019) au cours de laquelle les pratiques ont pu varier, influencées par la publication d’études randomisées contrôlées comme ACURASYS (1) ou PROSEVA  (3).
Implications et conclusions

L’importance de cet article réside dans le message qu’il rappelle : il est probable que l’effet bénéfique des curares chez les patients en SDRA concerne les patients les plus hypoxémiques (rapport PaO2/FiO2<120-150) ou présentant une ventilation mécanique non protectrice, malgré ajustement de la sédation et des paramètres du ventilateur. Dans cette stratégie, le DV apparait comme un élément fondamental de la prise en charge. Après amélioration, et sous couvert d’une réévaluation (pluri)quotidienne, les curares doivent être arrêtés, la sédation interrompue ou au moins allégée et la ventilation spontanée favorisée. C’est précisément ce que rappellent les dernières recommandations de la SRLF (4) et certaines revues récemment publiées sur la place des curares et de la sédation (5). Cette étude se focalise sur le rôle de la sédation au cours de la curarisation. Cet angle de vue est intéressant mais ne peut résumer à lui seul les liens complexes entre curares, SDRA et mortalité.

Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Sami HRAIECH, Service de Médecine Intensive - Réanimation, APHM, CHU Nord.

L'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (sami.hraiech@ap-hm.fr) à la CERC.

Texte

Références

  1. Neuromuscular blockers in early acute respiratory distress syndrome.
    Papazian L, Forel J-M, Gacouin A, Penot-Ragon C, Perrin G, Loundou A, et al.
    N Engl J Med. 16 sept 2010;363(12):1107‑16.
  2. Early Neuromuscular Blockade in the Acute Respiratory Distress Syndrome.
    National Heart, Lung, and Blood Institute PETAL Clinical Trials Network, Moss M, Huang DT, Brower RG, Ferguson ND, Ginde AA, et al.
    N Engl J Med. 23 mai 2019;380(21):1997‑2008.
  3. Prone positioning in severe acute respiratory distress syndrome.
    Guérin C, Reignier J, Richard J-C, Beuret P, Gacouin A, Boulain T, et al.
    N Engl J Med. 6 juin 2013;368(23):2159‑68.
  4. Formal guidelines: management of acute respiratory distress syndrome.
    Papazian L, Aubron C, Brochard L, Chiche J-D, Combes A, Dreyfuss D, et al.
    Ann Intensive Care. 13 juin 2019;9(1):69.
  5. Myorelaxants in ARDS patients.
    Hraiech S, Yoshida T, Annane D, Duggal A, Fanelli V, Gacouin A, et al.
    Intensive Care Med. déc 2020;46(12):2357‑72.
Texte

CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ