Antibiothérapie prolongée pour les PAVM à Pseudomonas aeruginosa ? Pas si vite !

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Comparison of 8 versus 15 days of antibiotic therapy for Pseudomonas aeruginosa ventilator‑associated pneumonia in adults: a randomized, controlled, open‑label trial.

Bouglé A et al

Intensive Care Med (2022) ; 48 :841-849.

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Question évaluée

Chez les patients adultes traités pour une pneumonie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) due à Pseudomonas aeruginosa, une antibiothérapie de 8 jours est-elle non-inférieure à une antibiothérapie de 15 jours concernant la mortalité et la récidive de PAVM à P. aeruginosa à 90 jours ?

Type d’étude

Etude prospective, multicentrique, randomisée, contrôlée, en ouvert, de non-infériorité.

Population étudiée

Population de 190 patients hospitalisés dans 30 réanimations françaises de juin 2016 à mai 2018, présentant des critères diagnostiques de PAVM (IDSA 2016) avec mise en évidence de P. aeruginosa à taux significatif dans un prélèvement respiratoire par microbiologie conventionnelle, sans immunodépression ni colonisation chronique préexistante à P. aeruginosa.

Méthode

Les patients étaient randomisés pour recevoir une antibiothérapie de 8 ou de 15 jours dans le cadre du traitement de la PAVM. Le critère de jugement principal était un critère composite comprenant la mortalité ou la récidive de PAVM à P. aeruginosa durant le séjour en réanimation et jusqu’à J90. La récidive était diagnostiquée rétrospectivement par 2 experts (3 en cas de désaccord) sur la réapparition ou la persistance de critères diagnostiques de PAVM à 48 h de la fin du traitement, avec culture d’un prélèvement respiratoire positive à P. aeruginosa. Les objectifs secondaires étudiaient la durée de séjour, de ventilation mécanique (VM), d’exposition aux antibiotiques, la survenue d’infections extra-respiratoires et l’acquisition de bactéries multirésistantes (BMR).

Résultats essentiels

Après un arrêt précoce (190 patients inclus sur 600 prévus) pour cause d’inclusions trop lentes, l’essai n’a pas montré la non-infériorité d’une durée d’antibiothérapie de 8 j par rapport à une durée de 15 j, avec une différence non significative d’incidence du critère composite entre les groupes de 9,7 % (IC90% : -1,9 – 21,2 %) dans l’analyse en intention de traiter pour une borne haute de l’IC90% fixée à 10%. Ce résultat semblait principalement lié à une tendance à l’augmentation de l’incidence des récidives de PAVM à P. aeruginosa (différence de 7,9%, IC90% : -0,5 – 16,8%) sans différence significative sur la mortalité (HR = 1,37, IC90% 0,81 – 2,33). Il n’y avait pas de différence significative entre les groupes sur la durée de VM et de séjour en réanimation, ni sur la survenue d’infections extra-respiratoires et l’acquisition de BMR. La durée médiane d’antibiothérapie était bien respectée dans les deux groupes (15 j, IQR 14 – 16 dans le groupe 15 j contre 8 j, IQR 8 – 8,5 dans le groupe 8 j), et entraînait une diminution de l’exposition aux antibiotiques sur le séjour (23 j, IQR 15 – 34 dans le groupe 15 j contre 18 j, IQR 11,5 – 28,5 dans le groupe 8 j).

Commentaires

Il s’agit ici de bien interpréter le résultat de cette étude de non-infériorité : l'intervalle de confiance englobe la marge de non-infériorité, et dans ce cas, nous ne pouvons exclure ni l'infériorité ni la non-infériorité (résultat non concluant), comme rappelé par l’équipe éditoriale d’Intensive Care Medicine (1). Plusieurs points méritent néanmoins d’être discutés autour de cet article. Premièrement, le choix d’une durée de 15 jours comme un groupe « contrôle » reste à justifier. Les auteurs présentent comme rationnel de l’étude un signal d’alerte concernant des récidives plus fréquentes pour les PAVM à bacilles Gram négatif (BGN) non-fermentants dans l’étude PneumA ayant validé la durée de 8 jours d’antibiothérapie pour les PAVM (2), appuyé par une méta-analyse relativement récente (3). Rien ne permet néanmoins de considérer une durée de 15 jours comme un standard de soins, notamment pas les recommandations actuelles tant européennes (4) qu’américaines (5). La question de fond reste cependant indéniablement pertinente. La récidive des PAVM à P. aeruginosa est une réalité prouvée, et serait expliquée par la persistance de la même souche que lors du premier épisode (6), et l’essai PneumA (2) comme d’autres (7) laissent penser que le traitement standard court de 7 à 8 jours pourrait être insuffisant.  Il faut néanmoins observer que les niveaux de récidive dans ces études (40,6% dans l’essai PneumA) sont loin des 17% observés ici, et on est en droit de penser que les efforts d’optimisation de l’utilisation des antibiotiques (optimisations PK/PD, mise à disposition des dosages sériques en routine) durant les 15 ans qui séparent ces deux études participent de cette réduction. Ce point plaiderait d’ailleurs en défaveur d’une exposition prolongée aux antibiotiques.

Points forts
  • Etude prospective multicentrique randomisée
  • Question pertinente
  • Critère de jugement principal pragmatique et pertinent, avec définition claire et stricte de la récidive
  • Objectif secondaire sur l’exposition aux antibiotiques témoignant d’une adhésion au protocole
  • L’analyse de sensibilité post hoc pour écarter une absence de différence qui serait liée à une population initialement plus grave ou présentant plus de comorbidités
Points faibles
  • Manque de puissance lié à un arrêt précoce faute d’inclusions
  • Le choix discutable d’une durée de 15 j comme standard de soins
  • Présentation des résultats de l’analyse en intention de traiter, alors que l’analyse per protocole est la référence pour les études de non-infériorité (qui restent néanmoins similaires et non-significatifs)
  • Utilisation d’un critère composite incluant la mortalité, alors que les estimations récentes de la mortalité attribuable aux PAVM la placent aux alentours de 5% (8), ce qui semble négligeable par rapport au taux attendu de récidive par les auteurs, de l’ordre de 35%, diluant ainsi le résultat pertinent
  • Etude ne permettant pas de répondre à la question posée
Implications et conclusions

Cette étude n’a pas montré la non-infériorité d’une antibiothérapie de 8 jours par rapport à une antibiothérapie de 15 jours pour les PAVM à P. aeruginosa sur un critère composite de mortalité et de récidive à J90. Une étude négative ne peut être le fondement d’un changement quelconque de nos pratiques, mais elle a le mérite de nous rappeler :

  • Que les choix méthodologiques lors de la rédaction d’un protocole clinique impactent de manière importante la capacité à répondre de manière adaptée à la question posée ;
  • Que les PAVM à BGN non-fermentants sont probablement bien différentes des autres (en terme de récidive) et que les modalités de leur traitement restent sujet à débat, contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture rapide des recommandations internationales en la matière ;

En conclusion, la principale implication de ce travail est peut-être de nous inciter à réfléchir à une individualisation de la durée de traitement dans les PAVM à BGN non-fermentants. En l’absence de différence significative concernant le risque de récidive des PAVM à BGN non fermentant dans les études randomisées contrôlées et du risque avéré d’acquisition de BMR lié à une antibiothérapie prolongée, il convient de respecter les recommandations de traiter les PAVM pendant 7 jours.  La vigilance reste de mise quant au risque de récidive de PAVM à P. aeruginosa, afin de la diagnostiquer et de la traiter précocement, et de discuter la prolongation de l’antibiothérapie en présence de facteurs potentiels de récidive, comme la persistance de signes cliniques d’infection, de P. aeruginosa dans les prélèvements microbiologiques, ou les terrains à risque.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Guillaume MILLOT et Saad NSEIR, Médecine Intensive-Réanimation, CHU de Lille, France.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (guillaume.millot@chu-lille.fr) et/ou à la CERC.

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RÉFÉRENCES

  1. Poole D, De Jong A, Citerio G. Multistakeholder social media peer review and fixing slips. Intensive Care Med. 2022 Jul;48(7):923–5.

  2. Chastre J, Wolff M, Fagon JY, Chevret S, Thomas F, Wermert D, et al. Comparison of 8 vs 15 days of antibiotic therapy for ventilator-associated pneumonia in adults: a randomized trial. JAMA. 2003 Nov 19;290(19):2588–98.

  3. Pugh R, Grant C, Cooke RP, Dempsey G. Short-course versus prolonged-course antibiotic therapy for hospital-acquired pneumonia in critically ill adults. Cochrane Acute Respiratory Infections Group, editor. Cochrane Database of Systematic Reviews [Internet]. 2015 Aug 24 [cited 2022 Sep 19]; Available from: https://doi.wiley.com/10.1002/14651858.CD007577.pub3

  4. Torres A, Niederman MS, Chastre J, Ewig S, Fernandez-Vandellos P, Hanberger H, et al. International ERS/ESICM/ESCMID/ALAT guidelines for the management of hospital-acquired pneumonia and ventilator-associated pneumonia: Guidelines for the management of hospital-acquired pneumonia (HAP)/ventilator-associated pneumonia (VAP) of the European Respiratory Society (ERS), European Society of Intensive Care Medicine (ESICM), European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases (ESCMID) and Asociación Latinoamericana del Tórax (ALAT). European Respiratory Journal. 2017 Sep 1;50(3):1700582.

  5. Kalil AC, Metersky ML, Klompas M, Muscedere J, Sweeney DA, Palmer LB, et al. Management of Adults With Hospital-acquired and Ventilator-associated Pneumonia: 2016 Clinical Practice Guidelines by the Infectious Diseases Society of America and the American Thoracic Society. Clin Infect Dis. 2016 Sep 1;63(5):e61–111.

  6. Rello J, Mariscal D, March F, Jubert P, Sanchez F, Valles J, et al. Recurrent Pseudomonas aeruginosa Pneumonia in Ventilated Patients: Relapse or Reinfection? Am J Respir Crit Care Med. 1998 Mar 1;157(3):912–6.

  7. Kollef MH, Chastre J, Clavel M, Restrepo MI, Michiels B, Kaniga K, et al. A randomized trial of 7-day doripenem versus 10-day imipenem-cilastatin for ventilator-associated pneumonia. Crit Care. 2012;16(6):R218.

  8. Steen J, Vansteelandt S, De Bus L, Depuydt P, Gadeyne B, Benoit DD, et al. Attributable Mortality of Ventilator-associated Pneumonia. Replicating Findings, Revisiting Methods. Annals ATS. 2021 May;18(5):830–7.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI