Antibiothérapie en réa : Doser ou ne pas doser… on a (peut-être) la réponse à la question !

10/02/2023
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Article ICM
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Effect of therapeutic drug monitoring-based dose optimization of piperacillin/tazobactam on sepsis-related organ dysfunction in patients with sepsis: a randomized controlled trial.
Hagel S, Bach F, Brenner T et al.
Intensive Care Med 48, 311–321 (2022). https://doi.org/10.1007/s00134-021-06609-6

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Question évaluée

Est-ce que l’adaptation des doses de piperacilline/tazobactam sur les dosages plasmatiques quotidiens permet d’améliorer les défaillances d’organes des malades présentant un choc septique/sepsis sévère et traités par cet antibiotique ?

Type d’étude

Etude randomisée multicentrique (13 centres en Allemagne) contrôlée en simple aveugle

Population étudiée

Patients présentant un sepsis sévère ou un choc septique (selon la définition sepsis-2), hospitalisés en réanimation et qui reçoivent un traitement par pipéracilline/tazobactam.

Méthode

Etude randomisée incluant des patients en choc septique ou sepsis sévère et qui reçoivent de la pipéracilline/tazobactam depuis moins de 24 h au moment de la randomisation. Les patients étaient randomisés entre un bras expérimental dans lequel les doses de pipéracilline/tazobactam étaient adaptées en fonction des dosages quotidiens, et un bras contrôle dans lequel la dose de pipéracilline/tazobactam était fixe.

Dans le bras expérimental (doses adaptées sur les dosages), les malades recevaient une dose de charge de 4.5 g puis une perfusion continue de 13.5 g/jour de pipéracilline/tazobactam. La dose de pipéracilline/tazobactam était ensuite adaptée en fonction du dosage quotidien, la cible retenue étant une concentration plasmatique de pipéracilline supérieure à 4 fois la concentration minimale inhibitrice (CMI) de la bactérie responsable de l’infection. La durée maximale de l’intervention était de 10 jours.

Dans le bras contrôle, les malades recevaient une dose de charge de 4.5 g puis une dose fixe de 13.5 g/j de pipéracilline/tazobactam (perfusion continue) adaptée en fonction de la fonction rénale.

Le critère de jugement principal était les dysfonctions d’organes induite par le sepsis, mesurées par le score SOFA moyen (mesuré quotidiennement) sur les 10 jours post randomisation (ou jusqu’à la mort ou la sortie de réanimation, si l’un de ces 2 évènements survenait avant J10). L’hypothèse des auteurs était que le monitorage des concentrations de pipéracilline/tazobactam (et donc l’adaptation de posologies qui en découlaient) permettait de diminuer le SOFA moyen de 1.4 point.

En se basant sur cette réduction, avec un risque alpha à 5% et une puissance à 80%, 234 patients étaient nécessaires.

Résultats essentiels

Parmi les 1020 patients recensés, 254 ont été randomisés (127 dans chaque bras) et 249 ont été retenus dans l’analyse finale.

Les groupes étaient bien équilibrés ; 74.3% des patients de l’étude avaient un choc septique en suivant la définition de Sepsis-2 ; en appliquant à posteriori la définition Sepsis-3 du choc septique, 52.2% des malades remplissaient les critères de choc septique. La durée moyenne de traitement par pipéracilline/tazobactam était de 4.8 jours pour les 2 groupes, et la durée totale de traitement antibiotique était de 6.8 jours dans le groupe expérimental vs. 6.6 jours dans le groupe contrôle.

Le principal résultat est qu’il n’existait pas de différence entre les 2 groupes sur le critère de jugement principal, le score SOFA moyen sur les 10 jours post randomisation : il était de 7.9 points (IC 95%, 7.1–8.7) dans le groupe expérimental vs. 8.2 (IC 95%, 7.5–9) dans le groupe contrôle.

Tous les critères de jugement secondaires n’étaient eux non plus pas différents entre les 2 groupes, que ce soit la différence du score SOFA entre J1 et J10, la mortalité à 28 jours post-randomisation, la guérison clinique ou microbiologique, la durée de traitement par pipéracilline/tazobactam ainsi que la durée totale de traitement antibiotique, la durée d’hospitalisation, le nombre de jours sans dialyse, ventilation mécanique, catécholamines ou sans antibiotique.

De façon intéressante, les concentrations médianes de pipéracilline étaient similaires entre les 2 groupes (dans le groupe contrôle, les dosages quotidiens de pipéracilline étaient effectués mais non communiqués aux médecins), et la dose moyenne quotidienne de pipéracilline/tazobactam était identique entre les 2 groupes.

Enfin, les auteurs ont essayé de corréler l’évolution des malades en fonction des taux plasmatiques de pipéracilline mesurés 24 heures après la randomisation ; ils ont trouvé que les patients avec une concentration de pipéracilline > 96 mg/l avaient une mortalité à 28 jours, supérieure à celle des malades ayant une concentration de pipéracilline entre 32 et 64 mg/l (mortalité à J28 respective de 33.7% vs. 8.3%, p = 0.03).

Commentaires

En résumé, chez des patients présentant un sepsis en réanimation et recevant de la pipéracilline/tazobactam, l’adaptation des posologies de l’antibiotique en effectuant des dosages quotidiens ne permettait pas d’améliorer le score SOFA moyen sur les 10 jours post-randomisation par rapport à une administration continue d’une dose fixe de pipéracilline/tazobactam. Aucun bénéfice n’était retrouvé à cette stratégie d’adaptation des posologies, quel que soit le critère évalué.

Même si les recommandations actuelles préconisent des perfusions prolongées (4 heures) plutôt que courtes (30 minutes) de pipéracilline/tazobactam, les auteurs ont administré dans les 2 bras l’antibiotique en perfusion continue. C’est à la fois un plus (d’un point de vue pharmacologique, l’administration des bêta-lactamines en continu est plus logique), mais aussi une critique, car cela ne correspond pas à ce qui est actuellement fait.

Dans le groupe expérimental, la concentration cible de pipéracilline/tazobactam était de 4 fois la CMI du pathogène responsable, ou en l’absence de germe (ou en cas de traitement empirique), une CMI de 16 mg/L était utilisée. Bien que cette concentration cible soit celle qui ait pu être recommandée par certains auteurs (Li, AAC 2007 et McKinnon, IJAA 2008), une concentration cible plus faible est actuellement recommandée (pour les bêta-lactamines et notamment les pénicillines, le paramètre PK/PD recommandé est une concentration de la molécule 100% du temps au-dessus de la CMI, ce qui correspond à un résiduel (Abdul-Aziz, ICM 2020).

Un autre commentaire est que les doses de pipéracilline/tazobactam administrées et les résultats des dosages sanguins étaient équivalents entre les 2 groupes. Donc les auteurs ont comparé 2 populations qui recevaient la même posologie d’antibiotique et dont les dosages plasmatiques étaient identiques ; ce qui limite la comparaison.

Un dernier commentaire est qu’un grand nombre de malade (dans les 2 groupes) avaient un taux de pipéracilline très supérieur à ce qui était escompté, et que les malades ayant un taux résiduel au-delà de 96 mg/l avaient une mortalité à J28 supérieure aux autres. Cela remet en question la cible thérapeutique préconisée par le protocole.

Points forts

Il s’agit de la première étude randomisée sur le sujet, ayant inclus un grand nombre de patients.

L’administration continue de pipéracilline/tazobactam utilisée dans les 2 bras par les auteurs est probablement le meilleur modèle sur le plan pharmacocinétique, même s’il ne correspond pas à ce qui est effectué en pratique (cf. points négatifs) ; il permet d’être sûr d’avoir les mêmes taux tout au long de la journée.

Points faibles

Le critère de jugement principal est curieux ; il s’agit du score SOFA calculé quotidiennement sur les 10 jours post-randomisation et moyenné. La justification de ce critère n’est pas explicitée par les auteurs, et on aurait pu s’attendre à avoir un critère plus relevant tel que la guérison clinique.

Il s’agit d’une étude ouverte (les investigateurs et les médecins en charge des patients n’étaient pas en aveugle), avec donc un biais potentiel de mesure, notamment des critères subjectifs tels que la guérison clinique, mais aussi du critère de jugement principal, dont le calcul peut présenter des variabilités inter-observateurs.

Du fait d’une désescalade chez les malades ayant une infection à germe sensible et les durées d’antibiothérapie, les malades n’ont reçus dans les 2 bras que 4.8 jours de pipéracilline/tazobactam, alors que le critère de jugement est basé sur les 10 jours post randomisation.

Implications et conclusions

En pratique, bien que le concept de surveillance des taux plasmatiques de bêta-lactamines chez les patients de réanimation soit séduisant et conseillé par beaucoup d’expert, cette étude nous montre que pour la pipéracilline/tazobactam, ajuster les doses en fonctions des taux plasmatiques n’apporte aucun bénéfice clinique lorsque la pipéracilline/tazobactam est prescrite pour une durée courte.

Ceci est probablement à pondérer dans les limites de l’étude, à savoir pour une population identique, avec des modalités d’administration de pipéracilline/tazobactam en perfusion continue et aux doses de cette étude, et pour une durée courte d’administration de la molécule. Il existe probablement des situations où le dosage permet une adaptation posologique indispensable, par exemple pour des durées d’antibiothérapie prolongées et pour des malades sous ECMO, ou présentant des variations dynamiques de leur paramètres PK/PD (changement de mode de dialyse, variation du volume extra-cellulaire ou de l’albuminémie par exemple).

Enfin, la cible de 4 fois la CMI préconisée par les auteurs devrait peut-être être revue à la baisse, vue la surmortalité observée chez les malades ayant un taux résiduel au-delà de la cible.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Charles-Edouard Luyt, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université, France.

L'auteur déclare les liens suivants :

  • Rémunération pour des conférences, incluant des services techniques de secrétariat : Advanz Pharma ; MSD ; Aerogen
  • Frais de déplacement / d'hébergement / de réunion sans rapport avec les activités : Pfizer

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (charles-edouard.luyt@aphp.fr) et à la CERC.

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Références

  1. Clinical pharmacodynamics of meropenem in patients with lower respiratory tract infections.
    Li C, Du X, Kuti JL, Nicolau DP.
    Antimicrob Agents Chemother 2007; 51: 1725–30.
  2. Evaluation of area under the inhibitory curve (AUIC) and time above the minimum inhibitory concentration (T>MIC) as predictors of outcome for cefepime and ceftazidime in serious bacterial infections.
    McKinnon PS, Paladino JA, Schentag JJ.
    Int J Antimicrob Agents 2008; 31: 345–51.
  3. Antimicrobial therapeutic drug monitoring in critically ill adult patients: a Position Paper.
    Abdul-Aziz MH et al.
    Intensive Care Med 2020; 46 (6): 1127-1153
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI