Arrêt cardiaque intra-hospitalier : en premier, l’adrénaline pourrait nuire !

02/03/2023
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Article The bmj
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Epinephrine before Defibrillation in Patients with Shockable In-Hospital Cardiac Arrest: Propensity Matched Analysis.
Evans E, Swanson MB, Mohr N, Boulos N, Vaughan-Sarrazin M, Chan PS, Girotra S; American Heart Association’s Get With The Guidelines-Resuscitation investigators.
BMJ 2021 Nov 10;375:e066534. doi: 10.1136/bmj-2021-066534.

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Question évaluée

Existe-t-il une association entre l’utilisation de l’adrénaline avant la première défibrillation et la survie à la sortie de l’hôpital dans la prise en charge des arrêts cardiaques intra-hospitaliers choquables ?

Type d’étude

Étude observationnelle rétrospective du registre multicentrique nord-américain Get With The Guidelines-Resuscitation Registry (GWTG-R).

Population étudiée : Arrêts cardiaques intra-hospitaliers avec rythme initial choquable, aux Etats-Unis (497 hôpitaux), entre 2000 et 2018.

Méthode

Il s’agit d’une analyse rétrospective du registre multicentrique GWTG-R qui recueille prospectivement tous les arrêts cardio-respiratoires (ACR) intra-hospitaliers dans les hôpitaux participants.

Critère d’inclusion

  • ACR intra-hospitaliers avec rythme choquable (FV ou TV sans pouls) de 2000 à 2018.

Critères d’exclusion

  • ACR survenu ou constaté aux urgences,
  • Patients ambulatoires,
  • Pas de défibrillation administrée pendant la réanimation,
  • Données manquantes sur le délai d’administration de la défibrillation ou de l’adrénaline, sur les comorbidités, ou sur le devenir du patient,
  • Exclusion des centres avec moins de 10 ACR/an.

Exposition

  • Administration d’adrénaline avant la première défibrillation.

Critère de jugement principal

  • Survie à la sortie de l’hôpital

Critères de jugement secondaires

  • Survie après réanimation aiguë définie par un retour à une activité circulatoire spontanée (RACS) stable (>20 minutes)
  • Devenir neurologique favorable défini par un CPC score de 1 (pas de séquelle) ou 2 (séquelles mineures)

Analyses statistiques

  • Utilisation d’un score de propension par régression logistique multivariée pour prendre en compte le fait que l’adrénaline n’aurait pas été administrée aux patients avec RACS ou à ceux avec un arrêt de la réanimation cardio-pulmonaire (RCP)
  • Appariement en 1:1 à l’aide du score de propension permettant de « matcher » (minute par minute) les patients ayant effectivement reçu de l’adrénaline avec les patients à risque d’en avoir reçu mais n’en ayant pas reçu.
  • Analyses de sensibilité avec exclusion des patients ayant reçu adrénaline et défibrillation en même temps ; appariement selon le délai de la défibrillation pour rechercher un effet direct de l’adrénaline autre que celui de retarder la défibrillation.
  • Utilisation de la probabilité inverse de pondération du traitement
Résultats essentiels
  • 34 820 ACR intra-hospitaliers avec un rythme choquable initial ont été inclus de 2000 à 2018, dont 9360 (soit 27,7%) ont reçu de l’adrénaline avant la première défibrillation.
  • Les patients étaient dans l’immense majorité des cas monitorés avec télémétrie (sauf 11,4% d’entre eux) et 54,8% des cas sont survenus en réanimation
  • Le délai d’administration de la première défibrillation était plus long chez les patients qui ont reçu d’abord de l’adrénaline (médiane 3min (1-7) vs 0 min (0-2)). La survie globale était de 41,7% à la sortie de l’hôpital, avec 33,3% d’état neurologique favorable. Les patients ayant reçu de l’adrénaline avaient moins de chances de survivre à la sortie de l’hôpital (25,0% vs 48,1%, différence – 23,1% [-24,1% ; -22,0%], à survivre avec un devenir neurologique favorable (18,4% vs 39,2%, différence -20,8% intervalle de confiance à 95% [-21,8% ; -19,8%], à survivre après la réanimation aiguë (64,2% vs 81,0%, différence -16,9% [-18% ; -15,8%] par comparaison avec les patients ayant reçu la défibrillation en premier.  
  • Après ajustement comportant l’utilisation du score de propension, l’utilisation de l’adrénaline en première intention dans les rythmes choquables était associée à une diminution de la survie à la sortie de l’hôpital (odds-ratio (OR) 0,81 intervalle de confiance à 95% [0,74-0,88]) et du pronostic neurologique favorable (OR 0,85 [0,76-0,92]).
  • Après appariement sur le délai de défibrillation, l’emploi de l’adrénaline avant la défibrillation restait associé à une diminution de la survie à la sortie de l’hôpital (OR 0,84 [0,76-0,92]).
  • Les résultats sont inchangés dans les différentes analyses de sensibilité.
Commentaires

L’adrénaline n’est pas indiquée en première intention dans l’arrêt cardiaque sur rythme choquable. Elle est recommandée en deuxième intention après échec de 3 chocs électriques externes (CEE) dans les recommandations européennes (1) et après échec de 2 CEE dans les recommandations nord-américaines (2). De plus, la place de l’adrénaline dans la réanimation de l’arrêt cardiaque devient de plus en plus discutée depuis l’essai clinique randomisé PARAMEDICS 2 qui a montré une amélioration significative de la survie à 30 jours avec l’utilisation de l’adrénaline par comparaison avec un placebo, mais aussi une augmentation du nombre de survivants avec séquelles neurologiques importantes dans le groupe adrénaline (3).

Pour autant, cette étude qui porte sur les ACR intra-hospitaliers avec rythme choquable montre que plus d’un quart des patients qui n’auraient pas dû recevoir d’adrénaline d’après les recommandations ont tout de même reçu cette séquence de traitements, qui est associée négativement avec la survie à la sortie de l’hôpital et avec la survie sans séquelle neurologique.

Cette étude nous interpelle sur les raisons de cet écart entre les recommandations et la pratique. La réalité du caractère choquable n’est pas remise en cause : 89,6% des patients étaient monitorés et 55% des patients étaient hospitalisés en réanimation, avec une prise en charge par des soignants entrainés à la RCP. Cependant 10% des patients n’ont jamais été défibrillés et plus inquiétant, 27% d’entre eux ont reçu de l’adrénaline avant d’être défibrillés. D’après les auteurs, l’explication tiendrait à la rapidité de l’administration d’adrénaline par les équipes paramédicales présentes sur les lieux de l’ACR en attendant l’arrivée de l’équipe de réanimation spécialisée. En effet, considérant que la grande majorité des ACR intra-hospitaliers sont non choquables et que l’administration précoce d’adrénaline (dans les 2 minutes de la RCP) constitue un critère de qualité dans la prise en charge de ces ACR non choquables, il est possible que les professionnels témoins d’un ACR aient privilégié l’usage précoce de l’adrénaline, sans considérer le rythme cardiaque.

L’association négative observée entre l’usage de l’adrénaline avant la défibrillation et la survie peut s’expliquer par le retard à la défibrillation, qui a déjà été associée dans d’autres études à une diminution de survie (4). Les analyses de sensibilité suggèrent également un effet délétère propre de l’adrénaline, indépendamment du retard de prise en charge. A ce titre, ces résultats sont cohérents avec une analyse précédente du registre GWTG-R qui avait montré que les patients ayant reçu de l'adrénaline dans les 2 min après la première défibrillation (administration trop précoce, contraire aux recommandations) était associée à une diminution de la survie, du ROSC et du pronostic neurologique favorable (5).

Points forts
  • Large cohorte
  • Qualité des données grâce à l’utilisation du registre GWTG-R
  • Qualité de l’analyse statistique (score de propension, IPTW)
  • Résultats convergents dans les différentes analyses de sensibilité, renforçant la validité interne
Points faibles
  • Étude observationnelle rétrospective
  • Validité externe dépendante du système de soins (l’organisation en Code Team rend les résultats peu applicables aux établissements qui n’utilisent pas cette organisation)
  • Exclusion des ACR aux urgences
Implications et conclusions
  • La prise en charge de ces ACR intra-hospitaliers, bien que très codifiée et reposant sur des recommandations largement diffusées, reste améliorable puisque 1 patient sur 4 reçoit de l’adrénaline avant la défibrillation, ce qui d’après cette étude semble associé à un moins bon pronostic vital et neurologique, probablement en retardant la première défibrillation, mais aussi par un effet délétère propre de l’adrénaline.
  • Il existe peu d’études cliniques sur l’utilisation de l’adrénaline dans les ACR avec rythme choquable initial. Cette étude suggère que son usage devrait rester limité aux indications des recommandations à savoir après deux ou trois échecs de défibrillation.
  • Cependant, malgré sa qualité méthodologique, du fait du système de CODE Team propre aux Etats-Unis, les résultats de cette étude ne sont pas intégralement transférables dans notre organisation de la prise en charge de l’ACR intra-hospitalier.
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Lucie Fanet et Alain Cariou, Service de Médecine Intensive Réanimation à l'Hôpital Cochin, APHP, Université Paris Cité.

Lire la déclaration de liens d'intérêt des auteurs.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (alain.cariou@aphp.fr) et à la CERC.

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Références

  1. European Resuscitation Council Guidelines 2021: Adult advanced life support.
    Soar J, Böttiger BW, Carli P, Couper K, Deakin CD, Djärv T, et al.
    Resuscitation. avr 2021;161:115‑51.
  2. American Heart Association. CPR & First Aid Emergency Cardiovascular Care 2020 Part 3: Adult Basic and Advanced Life Support [Internet]. cpr.heart.org. [cité 14 mars 2022].
    Disponible sur: https://cpr.heart.org/en/resuscitation-science/cpr-and-ecc-guidelines/adult-basic-and-advanced-life-support
  3. A Randomized Trial of Epinephrine in Out-of-Hospital Cardiac Arrest.
    Perkins GD, Ji C, Deakin CD, Quinn T, Nolan JP, Scomparin C, et al.
    N Engl J Med. 23 août 2018;379(8):711‑21.
  4. Delayed time to defibrillation after in-hospital cardiac arrest.
    Chan PS, Krumholz HM, Nichol G, Nallamothu BK, American Heart Association National Registry of Cardiopulmonary Resuscitation Investigators.
    N Engl J Med. 3 janv 2008;358(1):9‑17.
  5. Early administration of epinephrine (adrenaline) in patients with cardiac arrest with initial shockable rhythm in hospital: propensity score matched analysis.
    Andersen LW, Kurth T, Chase M, Berg KM, Cocchi MN, Callaway C, Donnino MW; American Heart Association’s Get With The Guidelines-Resuscitation Investigators
    BMJ. 2016 Apr 6;353:i1577. doi: 10.1136/bmj.i1577.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI