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24/02/2023
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Article The Lancet
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A three-step support strategy for relatives of patients dying in the intensive care unit: a cluster randomised trial
Nancy Kentish-Barnes, Sylvie Chevret, Sandrine Valade, Samir Jaber, Lionel Kerhuel, Olivier Guisset, et al.
The Lancet - January 19, 2022 DOI:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)02176-0

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Question évaluée

Dans le contexte du décès d’un patient de réanimation suite à une décision de Limitation et d’Arrêt des Traitements (L.A.T.), une intervention visant à renforcer la communication et améliorer le soutien offert aux proches permet-elle de mieux limiter leurs séquelles psychologiques que l’approche standard menée dans les services ?

Type d’étude

Etude prospective, multicentrique, randomisée contrôlée, en cluster.

Population étudiée

Proches de patients adultes hospitalisés en réanimation depuis deux jours ou plus, après décision de L.A.T. Comme dans la plupart des études du groupe Famiréa, seul le proche le plus investi était inclus.

Méthode

Les services de réanimation participant à l’étude ont été randomisés en un cluster interventionnel et un cluster contrôle. Les soignants des services du cluster contrôle appliquent les bonnes pratiques en vigueur. Les soignants des services du cluster interventionnel ont bénéficié d’une formation et d’une phase d’implémentation d’un mois afin de se familiariser avec la stratégie d’accompagnement en trois étapes :

  1. Entretien initial de « préparation au décès » ;
  2. Accompagnement des derniers instants ;
  3. Derniers échanges après le décès du patient permettant d’exprimer des condoléances, de gérer les procédures administratives, de répondre à d’éventuelles questions et d’ouvrir la possibilité d’un entretien à distance.

A chaque étape, reprenant les recommandations de Curtis & White (2008), les soignants avaient pour objectif de permettre aux proches d’exprimer leurs émotions, poser des questions, s’assurer de la bonne compréhension des informations médicales, et rassurer les proches sur la poursuite des soins au patient jusqu’au dernier instant.

Le critère de jugement principal de l’étude était la proportion de proches présentant un deuil compliqué à 6 mois après le décès, établi par un score ≥ 30 au PG-13 (prolonged grief questionnaire 13), un score évaluant différentes dimensions du deuil compliqué. Les critères de jugement secondaires étaient l’expérience des proches, leur évaluation de la qualité du décès, leur satisfaction avec la communication durant la fin de vie évalués à 1 mois ; ainsi que les symptômes anxiodépressifs à 1, 3 et 6 mois et les symptômes de stress post traumatique à 3 et 6 mois.

Résultats essentiels

34 services participaient à l’étude dont 17 dans le bras contrôle et 17 dans le bras interventionnel. 484 proches ont été inclus dans le bras interventionnel et 391 dans le bras contrôle. 309 proches du bras contrôle et 379 proches du bras interventionnel sont évalués à 6 mois sur le critère de jugement principal. Les proches des deux groupes présentent des scores PG13 finalement assez bas (en médiane 19 dans le groupe intervention vs 21 dans le groupe contrôle). Les proches ayant bénéficié de l’intervention présentent cependant moins fréquemment de symptômes de deuil compliqué à 6 mois (66 proches avec un score PG-13 ≥ 30 [21%] vs 57 [15%]; p=0,035). Concernant les critères de jugement secondaires, la plupart des variables étudiées étaient également améliorées dans le groupe interventionnel.

Commentaires

La littérature s’intéressant au vécu des proches et des familles des patients de réanimation et aux conséquences psychologiques de ce vécu est abondante. On sait que l’information et la communication entre équipe soignante et proches jouent un rôle clef dans la prévention aussi bien du stress post-traumatique, des symptômes anxio-dépressifs et du deuil compliqué. On sait aussi que la qualité de l’information et de la communication peut encore largement être améliorée en pratique quotidienne au sein des services, et a fortiori autour des situations de fin de vie.

Cette étude souligne l’importance de maintenir un lien avec les proches des patients en fin de vie jusqu’au dernier instant, afin de limiter au maximum les conséquences néfastes tant du séjour en réanimation que du décès du patient, sur la santé psychologique de l’entourage.  Ce lien, ainsi que proposé par le protocole de cette étude, tient autant aux aspects informatifs (préparer les proches à ce qui va arriver, faire de la place et répondre aux questions tant médicales qu’administratives) qu’à des aspects tenant directement à une prise en soin des proches eux-mêmes  : parmi les éléments mis en avant, on note l’importance donnée à rendre une certaine maîtrise aux proches sur la situation, par exemple proposer de participer à des soins, solliciter des requêtes concernant les derniers instants et les besoins spirituels, reconnaître et valoriser la place de l’entourage dans ces derniers instants.

On retrouve ici l’importance d’allier information honnête et communication bienveillante dans la construction d’un lien de confiance propre à apaiser ces moments difficiles en accord avec Leland & al. (2016) qui affirment la nécessité d’associer ces deux aspects, l’un ne pouvant suffire sans l’autre dans la prévention des conflits. Cette étude confirme les intuitions que tout soignant a déjà ressenti : le lien créé entre l’équipe et l’entourage est un facteur clef du mieux-être de tous dans l’environnement difficile que constitue la réanimation. Ce lien ne peut être constitué que dans la durée, et doit dépasser la simple fonction informative en impliquant véritablement les personnes en présence.

Points forts

L’objet de cette nouvelle étude du groupe FAMIREA est une stratégie qui s’enracine dans le socle de connaissances construit au fil des dernières décennies de recherche portant sur la meilleure façon d’accompagner les familles, connaissances qui ont influencé de façon durable les habitudes des services de réanimation. L’étude maximise sa représentativité en s’appuyant sur les données de 34 centres, et en incluant une population importante. La randomisation des centres en clusters a été stratifiée par période de recrutement et en fonction de la participation ou non à une étude précédente du groupe FAMIREA.

L’intervention s’appuie sur une formation interactive proposée aux équipes soignantes, dont le contenu dépasse l’unique explicitation du séquençage de l’intervention pour sensibiliser les soignants au langage non verbal et à la relation d’aide. Un accès aux supports de formation a également été garanti aux équipes tout au long de l’étude ainsi qu’une checklist favorisant la compliance des équipes. L’intervention cible trois moments clefs autour du décès, permettant d’inscrire la stratégie de communication dans la durée. L’effet fréquent de sidération lors des entretiens se voit ainsi compensé par la succession des moments d’échange, et la crainte des proches de déranger les soignants se voit limitée par la multiplication des opportunités d’échanges, sollicités par l’équipe soignante elle-même. Elle est peu coûteuse puisqu’elle s’inscrit dans le quotidien des équipes de soin.

Les différents éléments composant chaque étape ont été mesurés afin de s’assurer de la qualité de l’observance des équipes du cluster interventionnel quant au protocole.

Le suivi à 6 mois comporte peu de perdus de vue, et est réalisé par des psychologues, en aveugle quant aux groupes de l’étude.

Points faibles

Parmi les limites de l’étude, on peut souligner les suivantes :

Premièrement, si l’intervention est décrite comme simple à répliquer et d’un coût raisonnable puisque dépendant principalement du temps des professionnels, on peut cependant nuancer cette affirmation en prenant en compte l’absence de reconnaissance de ces temps d’accompagnement et d’entretien dans le temps de travail des soignants au sein des structures de soin, ainsi que le contexte actuel de tension, notamment concernant le personnel paramédical, dans les services de réanimation. L’intervention repose également sur une formation portant sur des compétences transversales, formation qui demande de l’organisation, des formateurs et du temps dédié, que les structures n’ont pas toujours la volonté et/ou les moyens de mettre en œuvre.

Deuxièmement, les auteurs soulignent également avoir utilisé le PG 13 qui n’a jamais été utilisé pour une étude en réanimation. Cela pose la question de la pertinence clinique de ces résultats. La validité de l’outil et de ses seuils serait à confirmer dans ce contexte précis. De plus, la taille de l’effet de l’intervention sur le score PG-13 décrit ici semble faible, ce qui met en doute l’impact réel de cette intervention sur le vécu des proches.

Troisième limite, si le suivi des proches à 6 mois atteint les 79%, la question du biais d’attrition ne peut être exclue : les proches perdus de vue pourraient composer une population susceptible de modifier pour partie les conclusions.

Quatrième limite, comme pour toute étude en cluster, il est difficile d’éliminer complètement un effet centre, d’autant que les pratiques des services n’ont pas été évaluées en amont de l’étude.

Cinquième limite, l’intervention proposée se situe à la toute fin de la prise en charge du patient et isole ce moment du reste du séjour. Si la sensibilisation proposée aux centres du cluster interventionnel influence probablement la communication bien en amont de la fin de vie, on peut imaginer, le cas échéant, qu’un changement radical de comportement entre la phase curative du séjour, et la phase suivant la décision de L.A.T. aurait pu déstabiliser les proches de façon similaire à ce que certaines données qualitatives recueillies dans l’étude du même groupe portant sur les lettres de condoléance (Kentish-Barnes & al, 2017) avaient mis en évidence.

Sixième limite, afin d’assurer la qualité de la phase de suivi, l’étude ne s’intéresse qu’à des proches francophones, laissant de côté toute une partie de la population multiculturelle de nos services, rarement étudiée dans ce pan de la recherche clinique portant sur le vécu, les séquelles psychologiques.

Soulignons enfin un point de vue encore très médico-centré dans la conception de l’étude où, certes, l’infirmier.e est activement impliqué dans les différentes étapes proposées mais où la stratégie est guidée par le médecin, ne tenant pas compte de la réalité des prises en charge en fin de vie bien souvent coordonnées par les infirmiers qui sont en première ligne au contact du patient et de ses proches, et à l’interface avec les autres intervenants du soin ; une position clef pour surveiller en temps réel les besoins qui émergent, y répondre ou faire appel aux compétences de l’un ou l’autre des membres de l’équipe. L’implication des paramédicaux à des positions clefs plutôt qu’auxiliaires dans les études s’intéressant à ces sujets transversaux serait probablement un levier puissant tant pour l’amélioration de la qualité des prises en soin que pour la qualité de vie au travail de tous.

Implications et conclusions

Cette étude démontre une fois de plus l’importance capitale d’une communication construite autour d’objectifs clairs, prenant en compte non seulement les besoins d’information mais également les besoins de reconnaissance et de soutien des familles. Cette communication doit s’inscrire dans la durée, et être réalisée par des personnels formés. Il est probablement utile d’utiliser cette stratégie en trois étapes en tenant compte de ses différentes thématiques dans l’accompagnement des proches de nos patients en fin de vie, tout en reconnaissant l’importance de la communication bien en amont de la fin de vie dans le parcours de soin du patient.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Anne-Sophie Debue, Infirmière, PhD, Fonds de dotation 101.

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Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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Références

  • Futility Disputes: A Review of the Literature and Proposed Model for Dispute Navigation Through Trust Building.
    Leland BD, Torke AM, Wocial LD, Helft PR.
    J Intensive Care Med. 2017 Oct;32(9):523-527. doi: 10.1177/0885066616666001.
  • (2008) “Practical guidance for evidence-based ICU family conferences”.
    Curtis, J. R., & White, D. B.
    Chest, 134(4), 835–843.
  • Effect of a condolence letter on grief symptoms among relatives of patients who died in the ICU: a randomized clinical trial.
    Kentish-Barnes N, Chevret S, Champigneulle B, et al.
    Intensive Care Med 2017; 43: 473–84.
  • Prolonged grief disorder: psychometric validation of criteria proposed for DSM-V and ICD-11.
    Prigerson HG, Horowitz MJ, Jacobs SC, et al.
    PLoS Med 2009; 6: e1000121.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI