Courants alternatifs sur la défibrillation dans l’arrêt cardiaque réfractaire

18/05/2023
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Defibrillation Strategies for Refractory Ventricular Fibrillation. The DOSE-VF Study.
Ceskes S, Verbeek PR, Drennan IR, et al.N
Engl J Med. 2022;387:1947-1956.

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Question évaluée

Évaluer la défibrillation double séquence (DDS) (défibrillation par choc électrique rapides séquentiels à la fois antéro-postérieur et antéro-latéral) et le positionnement antéro-postérieur (AP) des électrodes, comparés à la défibrillation par positionnement antéro-latéral (AL) standard chez les patients en fibrillation ventriculaire réfractaire lors d’un arrêt cardiaque extrahospitalier.

Type d’étude

Essai contrôlé randomisé ouvert, en cluster.

Population étudiée

Patients adultes en arrêt cardiaque avec une fibrillation ventriculaire (FV) réfractaire à 3 chocs électriques externes délivrés selon les directives ACLS (Advanced Cardiac Life Support) des recommandations de l’American Heart Association (AHA) de 2015 [1] et tel que diagnostiqué par les paramedics (ambulanciers paramédicaux spécialisés). Les patients présentant un arrêt cardiaque traumatique, ceux avec des directives anticipées de non-réanimation et les arrêts cardiaques secondaires à une noyade, une hypothermie, une pendaison ou une intoxication médicamenteuse, étaient exclus.

Méthode

Essai contrôlé randomisé en cluster comparant 3 techniques de défibrillation : AL, AP et DDS. L’essai était organisé en 3 périodes où les 6 équipes Emergency Medical Services (EMS) de paramedics (soit environ 4000 paramedics) utilisent, dans un ordre aléatoire et à tour de rôle, les trois techniques. Le rythme choquable réfractaire était défini comme un arrêt cardiaque (AC) (par fibrillation ventriculaire ou tachycardie ventriculaire sans pouls) nécessitant toujours une défibrillation après trois chocs tous réalisés en position AL. Selon le groupe dans lequel se trouvaient les patients, les électrodes restaient en position AL ou passaient en position AP ou DDS.

Critère de jugement principal :

survie à la sortie de l'hôpital.

Critères de jugement secondaire :
  • Arrêt de la FV après défibrillation et 2 minutes de réanimation cardio-pulmonaire (RCP).
  • Retour de la circulation spontanée (RACS), défini comme tout changement de rythme vers un rythme organisé avec un pouls palpable et une pression artérielle.
  • Pronostic neurologique favorable à la sortie d’hospitalisation, défini comme un score de Rankin modifié < 2 (Rankin 0 : absence de symptôme à Rankin 2 : autonome sans assistance mais avec l’incapacité de reprendre toutes les activités antérieures).

L’analyse statistique a utilisé des modèles généralisés linéaires prenant en compte l’ordre des clusters et l’équipe paramédicale, et ajustés sur l’âge, le sexe et la réalisation d’une réanimation cardiopulmonaire par témoin.

Résultats essentiels

Au total, 405 ont été randomisés. 136 (33,6%) ont été affectés au groupe contrôle, 144 (35,6%) au groupe AP et 125 (30,9%) au groupe DDS. Sur le critère primaire de taux de survie après hospitalisation, le DDS a donné les meilleurs résultats (30,4% ; 38/125 patients) et le positionnement AP des électrodes s’est montré supérieur (21,7% ; 31/143 patients) au group contrôle (13,3% ; 18/135 patients). Le risque relatif de survie était de 2,21 (IC95% 1,33-3,67) dans le groupe DDS et de 1,71 (IC95% 1,01-2,88) dans le groupe AL par rapport au groupe standard AP. L’analyse du critère de jugement principal avec le modèle généralisé linéaire retrouvait une différence global significative de survie à la sortie de l’hôpital entre les trois groupes (p=0,009).

Concernant les critères de jugement secondaire, par rapport au groupe standard AL, défibrillation DDS et AP étaient associée à plus d’arrêt de la FV et à plus de RACS, tandis que seul la défibrillation DDS était associée à un meilleur pronostic neurologique.

Commentaires

Cette étude qui montre un probable bénéfice à ces techniques alternatives de défibrillation de la FV réfractaire et surtout en double séquence (DDS) s’intègre dans de nombreux travaux de recherche dans le monde de l’urgence préhospitalière depuis quelques années [2]. Si ces techniques ne sont pas exemptes de complications éventuelles [3] ni de controverses [4], leur place dans les algorithmes de prise en charge de l’AC avec FV réfractaire reste à définir [5]. En dehors de ces considérations propres à l’objectif principal de l’étude, il s’avère que plus de 4000 paramedics ayant participé à cette étude ont reçu une formation approfondie au protocole de l’étude mais ont également été soumis à une évaluation rigoureuse de leur capacité à pratiquer la RCP selon les recommandations [1]. Ceci, en plus d’un niveau d’expertise déjà élevé (recyclage de la formation ACLS obligatoire tous les 2 ans), peut introduire un biais par rapport à d’autres systèmes de soins d’urgence préhospitalière qui limite donc la validité externe de résultats pourtant encourageants.

Points forts

La problématique abordée est importante dans la pratique clinique extrahospitalière. Il s’agît de la première étude randomisée d’envergure sur des techniques alternatives de défibrillation dans l’AC avec FV réfractaire. Cette étude en cluster reste de très bonne qualité sur le plan méthodologique pour un essai dont la randomisation complète en aveugle est impossible.

Points faibles

Sur le plan méthodologique, l’essai n’a pas atteint la taille prévue de l’échantillon (900 patients) et cela pourrait surestimer l’effet positif des résultats. Par ailleurs, il a été brièvement interrompu en raison de la pandémie COVID et la répartition de la durée de séjour entre les différents centres n’est pas connue. Étude non réalisée en aveugle car la stratégie de défibrillation assignée est connue. Il existe des incohérences dans la communication des données par exemple sur la présence de tachycardies ventriculaires (VT) sans pouls dont le nombre n’est pas mentionné alors que l’étude concerne la FV réfractaire.

Ensuite, compte-tenu des caractéristiques des équipes d’intervention EMS « surentrainées » et du milieu urbain exclusif, la validité externe et la généralisation de l’étude se trouvent être limitées. Comme dans l’étude pilote [6], un nombre élevé de RCP a été effectué avec des délais d’intervention bien en deçà de la moyenne des délais d’intervention dans des systèmes de soins comparables. Ni l’une ni l’autre de ces caractéristiques n’est aussi fréquemment rencontré en pratique clinique courante, ce qui limite encore plus la validité externe de cette étude. Par ailleurs, il existe quelques entorses au protocole où le mode standard AL a été choisi alors que les modes alternatifs devaient être utilisés.

Dans l’analyse des résultats, bien que la DDS et le positionnement AP aient donné de meilleurs résultats que le traitement standard AL, les intervalles de confiance se chevauchent lorsqu’on les compare entre eux. Il est donc difficile de conclure définitivement laquelle des deux alternatives est statistiquement supérieure même s’il y a une tendance envers la DDS. Cependant, il faut reconnaitre aux auteurs d’avoir précisé les indices de fragilité respectifs de ces résultats, 1 pour l’AL et 9 pour la DDS.

Enfin, bien que non abordé dans l’article, il existe des problèmes d’accès à un 2ème équipement de défibrillation et des défis opérationnels et logistiques peuvent apparaître avec ces techniques alternatives de défibrillation.

Implications et conclusions

S’il peut être très facile d’obtenir un deuxième défibrillateur dans un service d’urgence ou une unité de soins intensifs, l’application pratique des résultats de cette étude dans le cadre préhospitalier doit faire considérer la disponibilité d’un second défibrillateur. Cependant, si la limitation de ces ressources est levée, il devrait probablement être envisageable d’envisager ces alternatives en cas de FV réfractaire. En effet, il y a une logique évidente à modifier la stratégie de défibrillation initiale si elle ne fonctionne pas car, si les 3 chocs en position AL n’ont pas fonctionnés, il est peu probable que cela fonctionne pour le 4ème choc ou les suivants. La mise en œuvre de ces techniques nécessitera également une formation importante des équipes médicales et paramédicales. Les résultats de cette étude sont encourageants et permettent d’envisager une alternative dans le positionnement des électrodes de défibrillation (avec défibrillateur unique) et l’utilisation de la DDS (avec deux défibrillateurs). Cependant, si la DDS semble la meilleure option, celle-ci devra être confirmée par d’autres travaux prospectifs éventuellement en comparant les deux techniques alternatives dès la séquence initiale de défibrillation.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Pr Nicolas Peschanski, Urgences-SAMU35-SMUR-S@S-CESU35, CHU de Rennes, France.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (nicolas.peschanski@chu-rennes.fr) et/ou à la CERC.

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RÉFÉRENCES

  1. Link MS, Berkow LC, Kudenchuk PJ, et al. Adult Advanced Cardiovascular Life Support: 2015 American Heart Association guidelines update for cardiopulmonary resuscitation and emergency cardiovascular care. Circulation. 2015;132:Suppl 2:S444-S464.
  2. Holmén J, Hollenberg J, Claesson A, et al. Survival in ventricular fibrillation with emphasis on the number of defibrillations in relation to other factors at resuscitation. Resuscitation. 2017;113:33-38.
  3. Gerstein NS, McLean AR, Stecker EC, Schulman PM. External defibrillator damage associated with attempted synchronized dual-dose cardioversion. Ann Emerg Med. 2018;71:109-12.
  4. Pourmand A, Galvis J, Yamane D. The controversial role of dual sequential defibrillation in shockable cardiac arrest. Am J Emerg Med. 2018;36(9):1674-1679.
  5. Deakin CD, Morley P, Soar J, Drennan IR. Double (dual) sequential defibrillation for refractory ventricular fibrillation cardiac arrest: A systematic review. Resuscitation. 2020;155:24-31.
  6. Cheskes S, Dorian P, Feldman M, et al. Double sequential external defibrillation for refractory ventricular fibrillation: The DOSE VF pilot randomized controlled trial. Resuscitation. 2020;150:178-184.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI