Cryptococcose neuroméningée au cours du VIH : toujours grave mais vers une prise en charge simplifiée

19/01/2023
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Article NEJM
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Single-dose liposomal amphotericin B treatment for cryptococcal meningitis.
Jarvis JN, Lawrence DS, Meya DB, et al.
N Engl J Med 2022;386:1109-20 : L’étude « AMBITION-cm »

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Question évaluée

La cryptococcose neuro-méningée est la seconde cause de décès chez les patients séropositifs pour le VIH dans le monde et particulièrement en Afrique subsaharienne.  L’intérêt d’une dose unique à forte posologie d’amphotéricine liposomale dans le traitement antifungique n’avait pas été évalué.

Type d’étude

Étude de phase 3 randomisée, contrôlée ouverte, de non infériorité.

Population étudiée : adultes VIH positifs ayant un premier épisode de cryptococcose neuro-méningée (8 hôpitaux, 5 pays africains) inclus entre janvier 2018 et février 2021.

Méthodes
  • Bras expérimental : amphotéricine B liposomale (AmB-L) : dose unique de 10mg/kg + flucytosine (100 mg/kg/j) + fluconazole (1200 mg/j) pendant 14 jours,
  • Bras contrôle : « régime » OMS actuel : amphotéricine B deoxycholate (AmB-D) (1mg/kg/j) + flucytosine (100 mg/kg/j) pendant 7 jours puis fluconazole (1200 mg/j) les 7 jours suivants. La flucytosine et le fluconazole étaient administrés par voie orale ou par sonde gastrique.
  • Le critère de jugement principal était la mortalité de toutes causes à 10 semaines, en intention de traiter. Les critères de jugement secondaires étaient : mortalité à S2, S4 et S16, clearance fungique dans le liquide cérébrospinal (LCS), cultures quantitatives du LCS à J0, J7 et effets secondaires de grade 3 ou 4 (mettant potentiellement en jeu le pronostic vital), modifications des paramètres biologiques usuels.
Résultats essentiels

Au total 844 patients sur les 1193 potentiellement éligibles ont été randomisés et 814 analysés en intention de traiter. La mortalité à S10 était de 24,8% dans le groupe expérimental et 28,7% dans le groupe contrôle, soit une différence de – 3,9% avec une limite supérieure de l’intervalle de confiance 95% permettant de conclure à la non infériorité du groupe expérimental par rapport à l’autre. Cette non infériorité est également observée pour la mortalité à S2, S4 et S16. Sur les 14 jours de la phase d’induction, la clearance fungique n’est pas différente dans les deux groupes. Par ailleurs, pas de différences à S10 dans la répartition des scores de Rankin modifiés. Les effets secondaires graves (grades 3 ou 4), suivis pendant 21 jours ont été plus fréquents dans le groupe contrôle (62,3%) que dans le groupe expérimental (50%) (p < 0,001). Dans ce dernier, les auteurs ont observé significativement moins d’anémie et moins de transfusions (7,6% vs 18%), d’hypokaliémies (1,4% vs 7,1%), de complications infectieuses sur voie veineuse (1,9% vs 6,6%) et de niveau d’augmentation de la créatininémie. Donc si l’on résume : efficacité non inférieure du groupe expérimental avec moins d’effets secondaires.

Commentaires

En Afrique sub-saharienne, le fardeau de la cryptococcose neuro-méningée au cours du VIH est élevé avec 136000 décès annuels. Pour comprendre le pourquoi de cet essai, il faut rappeler quelques points. Jusqu’en 2018, le traitement de référence à la phase d’induction, pour les pays à ressources limitée, était l’association AmB-D + flucytosine orale pendant 2 semaines. Dans les pays à haut revenu, l’AmB-D est souvent remplacée par l’AmB-L, aussi efficace et moins toxique (1). A la suite d’un essai randomisé (Essai ACTA) (2), l’OMS avait recommandé en 2018 de réduire à une semaine la durée de l’AmB-D, toujours associée à la flucytosine, le fluconazole à forte dose étant préconisé pour la semaine suivante (3). Les effets secondaires de l’AmB-D restent cependant fréquents, même en cas de traitement court. Sur la base d’un essai de phase 2 (4) et de données favorables au cours de la leishmaniose, les auteurs avaient donc souhaité tester l’efficacité et la tolérance d’une dose unique élevée AmB-L au cours de la cryptococcose neuro-méningée liée au VIH.

Points forts
  • Le dessin de l’étude (prospective randomisée) avec un grand nombre de patients randomisés et une forte validité externe puisque 68% des patients potentiellement éligibles ont été analysés en intention de traiter.
  • L’absence remarquable de perdus de vus.
  • Un critère principal de jugement solide (mortalité à 10 semaines) et des résultats cliniques appuyés par l’analyse de la clearance fungique.
  • La quasi-totalité des patients analysés en intention de traiter le sont aussi en per-protocole.
  • La revue des données par un comité indépendant
Points faibles

Ils sont relativement mineurs

  • Pas beaucoup d’informations sur les traitements symptomatiques et notamment le nombre de ponctions lombaires évacuatrices dans les deux groupes (323 patients avaient une pression > 25 cm d’H2O)
  • Par rapport au bras contrôle (protocole OMS 2018) le bras expérimental comporte en fait deux modifications : outre le remplacement de l’AmB-D durant une semaine par une dose unique d’AmB-L, les patients reçoivent en même temps, et non de façon séquentielle, de la flucytosine et du fluconazole.
Implications et conclusions

Les recommandations pour le traitement d’induction des cryptococcoses neuroméningées chez les sujets VIH+ vont certainement évoluer pour prendre en compte les résultats de cet essai. L’administration d’une dose unique d’amphotéricine B liposomale devrait considérablement simplifier la prise en charge de ces patients, notamment ceux qui peuvent recevoir les autres molécules par voie orale. Une réduction de la durée de séjour à l’hôpital est donc prévisible, au moins pour les patients les moins gravement atteints. Attention, les résultats de de cet essai ne sont pas extrapolables aux cryptococcoses neuroméningées hors VIH pour lesquels un traitement d’induction par amphotéricine B liposomale (3-4 mg/kg/j) associée à la flucytosine pendant deux semaines, reste recommandé.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Michel Wolff, Service de Réanimation Neurochirurgicale, Groupe Hospitalo-Universitaire Psychiatrie& Neurosciences, Paris France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (m.wolff@ghu-paris.fr) et à la CERC.

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Références

  1. European AIDS Clinical Society. Guidelines Version 1.0 October 2021. https://www.eacsociety.org/guidelines/eacs-guidelines/
  2. Molloy SF, Kanyama C, Heyderman RS, et al. Antifungal combinations for treatment of cryptococcal meningitis in Africa. N Engl J Med 2018;378:1004-17
  3. Guidelines for the diagnosis, prevention and management of cryptococcal disease in HIV-infected adults, adolescents and children. Geneva: World Health Organization, March 1, 2018 (https://www.who .int/publications/i/item/9789241550277)
  4. Jarvis JN, Leeme TB, Molefi M, et al. Short-course high-dose liposomal amphotericin B for human immunodeficiency virus-associated cryptococcal meningitis: a phase 2 randomized controlled trial. Clin Infect Dis 2019;68:393-401
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