Hyperthermie thérapeutique dans le sepsis : chauffe Marcel !

17/03/2023
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Therapeutic Hyperthermia Is Associated With Improved Survival in Afebrile Critically Ill Patients With Sepsis: A Pilot Randomized Trial
Drewry AM, Mohr NM, Ablordeppey EA, Dalton CM, Doctor RJ, Fuller BM, Kollef MH, Hotchkiss RS.
Crit Care Med. 2022 Jun 1;50(6):924-934.

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Question évaluée

L’hyperthermie thérapeutique stimule-t-elle la réponse immunitaire des patients de réanimation apyrétiques en sepsis ?

Type d’étude

Etude prospective, randomisée, monocentrique, en ouvert, menée de mars 2016 à avril 2019 dans un hôpital universitaire aux Etats-Unis (Saint-Louis, Missouri).

Population étudiée

Critères d’inclusion :

  • Patients présentant un sepsis sévère diagnostiqué dans les 48h avant inclusion
  • Patients sous ventilation mécanique
  • Durée estimée de ventilation mécanique > 48h
  • Patients sédatés avec un RASS < 0
  • Température corporelle maximale mesurée < 38,3°C dans les 24h avant l’inclusion

Critères de non-inclusion :

  • Maladie dysimmunitaire
  • Traitements immunosuppresseurs dans les 6 mois précédents
  • Traitement par corticoïde à une dose supérieure à 300 mg/jour d’hydrocortisone ou équivalent, au moment de l’inclusion
  • Antécédent d’hépatite B et/ou C
  • Contre-indication à l’hyperthermie thérapeutique (arrêt cardiaque, accident vasculaire cérébral, syndrome coronarien aigu, sclérose en plaque, traumatisme crânien ou médullaire, drépanocytose)
  • Grossesse
  • Patients faisant l’objet de limitations thérapeutiques
  • Contre-indication à l’utilisation d’un système de réchauffement à air pulsé donné par le constructeur (ex : ischémie aigue de membre).
  • Inclusion dans un autre essai clinique
Méthode 

Les patients inclus étaient randomisés entre :

  • Un bras interventionnel comprenant une hyperthermie thérapeutique pendant 48h via un système de réchauffement externe à air pulsé pour obtenir une température corporelle cible de 1,5°C au-dessus de la température corporelle la plus basse relevée au cours des 24h précédentes, ou au moins 37,5°C.
  • Un bras contrôle chez qui la température corporelle était managée suivant les procédures habituelles.

Le critère de jugement principal était la différence d’expression de HLA-DR monocytaire (mHLA-DR) à H48.

Les critères de jugement secondaire étaient la production ex vivo d’Interféron (IFN)-γ médiée par les CD3/CD28 suivant la période d’intervention, la persistance d’une lymphopénie, le delta du score SOFA à H48 (changement du score de SOFA comparé à la baseline), le nombre de jours sans ventilation mécanique à J28, le nombre de jours non-hospitalisé à J28, la survenue d’une nouvelle infection, la mortalité à J28.

Les auteurs ont également réalisé une analyse de sécurité, portant sur la dose de vasopresseurs, la fréquence cardiaque et la fréquence respiratoire.

Les auteurs prévoyaient d’inclure 56 patients.

Résultats essentiels

56 patients ont été inclus (28 par groupes). Le délai moyen entre la première administration d’antibiotiques et l’inclusion était de 29,1h (SD : 15,7h).

Il n’y avait pas de différence significative concernant le critère de jugement primaire, à savoir l’expression du mHLA-DR (différence absolue de –1,310.4 ; IC 95% : –4,537.5 à 1,916.8 ; p = 0,396)

Concernant les critères de jugement secondaires, il n’y avait pas de différence significative de production d’IFN-γ par les cellules mononuclées du sang périphérique après stimulation par CD3/CD28 à J3-J4, de lymphopénie, sur le nombre de jours sans ventilation mécanique à J28, sur le delta du score SOFA à H48 et sur la survenue d’une nouvelle infection.

En revanche, il existait une diminution de la mortalité dans le groupe traitement (18% vs 43% ; réduction du risque absolu de 25% ; IC 95% : –48 à –2) et une réduction de la durée d’hospitalisation (différence absolue de 2.6 jours ; IC 95% ; 0 à 11.6 jours).

Il n’y avait pas de différence entre les 2 groupes concernant les analyses de sécurité.

Commentaires

A partir d’une étude préliminaire relevant une différence significative dans l’expression du mHLA-DR entre patients fébriles et non fébriles, les auteurs ont émis l’hypothèse que l’hyperthermie pourrait permettre de stimuler la réponse immunitaire au cours du sepsis chez des patients non fébriles. Les résultats de cette étude sont négatifs. Il n’existait aucune différence entre les deux groupes sur les marqueurs de l’inflammation. Les voies de signalisation intervenant dans l’expression du mHLA-DR dans le sepsis, a fortiori sévère voire en état de choc, mettent donc probablement en jeu d’autres systèmes de contrôle et de rétrocontrôle, ne se limitant pas à un simple effet de la température corporelle.

Par ailleurs, les critères d’inclusion comprenaient une température corporelle au plus haut à 38,3°C, ce qui n’est pas synonyme d’apyrexie. Ainsi, il existait potentiellement une hétérogénéité sur la température initiale chez les patients de l’étude, correspondant possiblement à des patterns inflammatoires différents. Par ailleurs, 20% des patients du groupe contrôle ont reçu un traitement antipyrétique.

L’usage d’un système de réchauffement à air pulsé a rendu la technique accessible, mais elle souffre de l’absence de rétrocontrôle thermique et par conséquent de potentielles variations de température. L’utilisation possible de différentes sondes pour la mesure de la température corporelle peut également constituer un biais, lié au manque de fiabilité de certaines techniques.

Concernant l’effet du traitement expérimental sur la mortalité, même si la réduction de la mortalité observée est importante (18% vs 43%), il ne faut pas oublier qu’il s’agit dans ce travail de faible effectif, la mortalité reste un objectif secondaire. Toute conclusion sur l’effet de l’hyperthermie thérapeutique sur la mortalité dans ce travail est à interpréter avec précautions. Il existe également plusieurs facteurs confondants. On peut s’interroger sur la différence de taux d’identification microbiologique (46% groupe contrôle, 71% groupe traitement) et le taux d’échecs de l’antibiothérapie initiale (15% dans le groupe contrôle contre 0% dans le groupe traitement) et donc leur impact sur la mortalité et sur le nombre de jours non-hospitalisés à J28. De plus, les caractéristiques de la population à l’inclusion sont plutôt en défaveur du groupe contrôle (plus d’homme, SOFA plus élevé, patients avec plus de comorbidités).

Plusieurs études ont évalué au cours du sepsis, soit le contrôle ciblé de la température soit l’hypothermie thérapeutique (Schortgen AJRCCM 2012, Young NEJM 2015) mais sans qu’aucune n’ait apporté suffisamment de conclusions pour faire une recommandation unique.

Points forts
  • Technique utilisée pour l’hyperthermie thérapeutique simple et reproductible
  • Critères de jugement secondaires durs
Points faibles
  • Absence d’aveugle
  • Etude pilote de petit effectif
  • Etude monocentrique
  • Absence de rétrocontrôle thermique
  • Les auteurs ont mesurés le mauvais endpoint ?
Implications et conclusion

En conclusion, il s’agit d’une étude négative : l’hyperthermie thérapeutique n’a pas permis de modifier l’expression de mHLA-DR chez les patients apyrétiques souffrant de sepsis.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Guillaume Théry et Bruno Mourvillier, Service de Médecine Intensive et Réanimation Polyvalente, CHU de Reims, France.

Guillaume Théry et Bruno Mourvillier déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt. 

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (gthery@chu-reims.fr) et à la CERC.

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Références

  1. Drewry AM, Samra N, Skrupky LP, Fuller BM, Compton SM, Hotchkiss RS. Persistent lymphopenia after diagnosis of sepsis predicts mortality. Shock. nov 2014;42(5):383-91.
  2. Yagawa Y, Tanigawa K, Kobayashi Y, Yamamoto M. Cancer immunity and therapy using hyperthermia with immunotherapy, radiotherapy, chemotherapy, and surgery. Journal of Cancer Metastasis and Treatment. 31 oct 2017;3:218-30.
  3. Van der Zee J. Heating the patient: a promising approach? Ann Oncol. août 2002;13(8):1173-84.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI