Légalisation de l’aide médicale à mourir au Canada : quelles conséquences pour le réanimateur ?

26/01/2023
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Article CCM
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Hastening Death in Canadian ICUs: End-of-Life Care in the Era of Medical Assistance in Dying.
Andersen SK, Stewart S, Leier B, Alden LE, Townsend DR, Garros D.
Crit Care Med. 2022 May 1;50(5):742-749. doi: 10.1097/CCM.0000000000005359.

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Question évaluée

La légalisation de l’aide médicale à mourir au Canada a-t-elle modifié les pratiques médicales de fin de vie en réanimation ?

Type d’étude

Le corpus étudié est constitué des réponses à une enquête de connaissance, d’opinion et de pratique, réalisée par voie électronique, et portant sur trois domaines : les arrêts thérapeutiques, l’aide médicale à mourir - juridiquement encadrée depuis 2016 au Canada - et les principes éthiques se rapportant à ces deux procédures.

Population étudiée

Cent cinquante réanimateurs canadiens anglophones, adultes (n=75) et pédiatriques (n=75), ont été sélectionnés selon une technique d’échantillonnage en "boule de neige". Répondre en ligne au questionnaire équivalait à un accord de participation à l’étude.

Méthode

Plusieurs chefs de services sollicités dans sept des dix provinces canadiennes (dont le Québec) ont accepté de distribuer aux médecins de leur équipe, certifiés ou en formation, un courriel explicatif et le lien permettant d’accéder à l’enquête. Dans la première section du questionnaire, deux vignettes cliniques sont soumises aux répondeurs. Les sections suivantes sont respectivement consacrées aux arrêts thérapeutiques, à l’aide médicale à mourir, aux principes de l’éthique médicale, et à huit questions ouvertes portant sur une troisième vignette clinique. A l’exception de la sixième (et dernière) section de l’enquête, toutes les questions sont fermées.

Résultats essentiels

Parmi les répondeurs, 86% connaissent la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir, et 71% y sont favorables. Seuls 5% pensent que cette évolution législative impacte leurs propres décisions de fin de vie en réanimation, mais 41% constatent dans leur service des décès dont la survenue est volontairement accélérée - et non la conséquence du double effet. Une majorité (80%) a déjà été exposée à une demande des proches d’accélérer la survenue du décès. La moitié (47%) estime qu’il serait légitime d’accéder à cette demande dans la mesure où ce décès est inéluctable. Un tiers (36%) intègre la détresse d’autres membres de l’équipe soignante dans leurs décisions de fin de vie.

Commentaires

L’introduction évoque deux principes intangibles de la fin de vie en réanimation : la règle du double effet (i.e. l’intention première de soulager les symptômes au risque d’accélérer involontairement la survenue du décès) et l’inéligibilité des patients inconscients à l’aide médicale à mourir, celle-ci ne pouvant être mise en œuvre qu’à la demande expresse de l’agonisant. En pratique et au travers des réponses obtenues, les auteurs constatent une porosité entre la mort accompagnée (au sens des soins palliatifs) et la mort intentionnellement accélérée (en raison de son inéluctabilité), notamment sous la pression des proches et de l’équipe soignante.

En droit français, la première version de la loi Léonetti (2005) avait consacré la règle du double effet [1]. La loi du 2 février 2016 a abrogé l’article correspondant (article 2 de la loi éponyme), en instituant la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès - dont l’intention première n’est pas de soulager les symptômes - qui peut être administrée au patient inconscient pourvu qu’il ne s’y soit pas opposé dans ses directives anticipées [2].

Moins de la moitié des réanimateurs interrogés disposent d’une procédure formalisée d’arrêt thérapeutique (74% en réanimation adulte, 14% en réanimation pédiatrique). Les résultats de l’enquête auraient pu être confrontés aux pratiques éthiques des services participants, décrites par exemple selon le score en douze points du groupe Ethicus-2 [3]. Enfin, 30% des répondeurs reconnaissent l’influence de leurs propres valeurs/croyances dans les décisions de fin de vie.

Points forts
  • La redondance de certaines questions, en mixant vignettes cliniques et points de vue personnels, permet de tester la cohérence individuelle des réponses.
  • Réanimateurs adultes et pédiatriques sont représentés en égale proportion parmi les répondeurs.
  • Les vignettes cliniques sont suffisamment neutres dans leur rédaction pour éviter les biais de suggestion ou d’ancrage.
Points faibles

L’échantillon de médecins interrogés n’est pas représentatif de la population des réanimateurs canadiens anglophones qui selon les auteurs n’est pas chiffrable. La majorité (80%) exerce en hôpital universitaire. Les moins de trente ans, certifiés ou en formation, sont sous-représentés parmi les répondeurs.

L'échantillonnage en "boule de neige" (non aléatoire) induit un biais de sélection.

L’analyse en profondeur des données qualitatives issues de la section 6 du questionnaire (questions ouvertes) est renvoyée à un autre article, laissant le lecteur sur sa faim.

Une comparaison des réponses par tranche d’âge aurait été intéressante même si les très jeunes réanimateurs (réputés plus progressistes) sont peu représentés dans la population enquêtée.

Implications et conclusions

Citoyens ès-qualité, les médecins réanimateurs interrogés sont majoritairement favorables - comme la population canadienne - à la légalisation de l’aide médicale à mourir, mais réfutent toute modification de leurs propres pratiques en situation de fin de vie depuis cette évolution du droit. Ils observent néanmoins sur leur lieu d’exercice des situations de "mort accélérée", sans lien avec la règle du double effet, notamment pour répondre aux attentes des proches et de l’équipe soignante.

Cette étude s’ajoute aux nombreuses enquêtes d’opinions (et de pratiques pour certains acteurs) concernant la fin de vie médicalisée, s’adressant à toutes les populations a priori concernées - à l’exception majeure de l’agonisant en situation. Etablir les modalités d’une fin de vie "customisée", respectueuse des valeurs et préférences singulières du mourant, relève d’une approche narrative, intersubjective (associant proches et soignants), et résolument individualisée de la personne [4].

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Olivier Lesieur, Service de Réanimation Polyvalente, Centre Hospitalier Saint Louis, La Rochelle, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (olivier.lesieur@ght-atlantique17.fr) et à la CERC.

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Références

  1. Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Journal Officiel de la République Française du 23 avril 2005
  2. Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Journal Officiel de la République Française du 3 février 2016
  3. Avidan A, Sprung CL, Schefold JC, et al (2021) Variations in end-of-life practices in intensive care units worldwide (Ethicus-2): a prospective observational study. Lancet Respir Med S2213260021002617. https://doi.org/10.1016/S2213-2600(21)00261-7
  4. Cook D, Swinton M, Toledo F, et al (2015) Personalizing death in the intensive care unit: the 3 wishes project: a mixed-methods study. Ann Intern Med 163:271–279. https://doi.org/10.7326/M15-0502
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