L’oxygénation à haut débit dans l’insuffisance respiratoire aiguë due au COVID-19 : utile pour le patient et/ou pour le système de soin ?

29/09/2023
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Effect of High-FlowNasal Cannula Oxygen vs Standard Oxygen Therapy on Mortality in Patients With Respiratory Failure Due to COVID-19 : The SOHO-COVID Randomized Clinical Trial
Jean-Pierre Frat, MD, PhD et al
JAMA. 2022;328(12):1212-1222

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 Question évaluée

L’oxygénation nasale à haut débit (OHD), comparée à l’oxygénation standard (au masque à haute concentration), réduit-elle la mortalité à J28 des patients avec insuffisance respiratoire aiguë due au COVID-19 ?

Type d’étude

SOHO-COVID est une étude ancillaire de l’étude SOHO. Il s’agit d’un essai contrôlé randomisé multicentrique, en ouvert, conduit dans 34 unités de soins intensifs en France de janvier à décembre 2021 (fin de suivi mars 2022).

Population étudiée

L’étude SOHO-COVID a inclus des patients âgés de plus de 18 ans, avec une insuffisance respiratoire aiguë, un diagnostic suspecté ou confirmé de COVID 19 (par une RT-PCR SARS CoV 2 sur un prélèvement naso-pharyngé), des infiltrats pulmonaires à l’imagerie thoracique, un rapport PaO2/FiO2 ≤ 200 mmHg sous masque à oxygène pendant au moins 15 minutes avec un débit minimal de 10 L/min (FiO2 estimée par la formule : FiO2 = 0.21 + 0.03 x débit O2 (L/min).

Les critères d’exclusions étaient : PaCO2 > 45 mmHg, exacerbation d’une maladie respiratoire chronique, œdème pulmonaire cardiogénique, instabilité hémodynamique, coma (Glasgow ≤ 12), indication d’intubation en urgence, décision de limitation thérapeutique incluant l’intubation.  

Méthode

Essai randomisé (1:1) comparant deux stratégies d’oxygénation chez des patients présentant une insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique secondaire au COVID 19, admis en réanimation. La randomisation était stratifiée sur le statut immunodéprimé (dans l’essai original SOHO), et sur la fréquence respiratoire (> ou ≤ 25 cycles /min) dans l’étude ancillaire SOHO COVID.

Les patients inclus étaient traités soit par OHD (groupe expérimental), soit par oxygénothérapie standard (groupe contrôle). Le traitement devait être instauré dans les 3 heures suivant la randomisation.

Dans le groupe oxygénation standard, l’oxygénation était délivrée de façon continue à travers un masque à haute concentration avec un débit initial d’O2 ≥ 10 L/min, secondairement ajusté pour obtenir une SpO2 entre 92 et 96%.

Dans le groupe OHD, l’oxygénation était délivrée de façon continue avec un débit ≥ 50 L/min. et une FiO2 ajustée pour obtenir une SpO2 entre 92 et 96%. La durée d’OHD était d’au moins 48 heures. Le sevrage se faisait lorsque la SatO2 était ≥ 92% et la FR ≤ 25 avec une FiO2 ≤ 40%.

Le critère de jugement principal était la mortalité à J28.

Les critères de jugements secondaires comprenaient notamment la proportion de patients nécessitant l’intubation (des critères d’intubation étaient définis) et le nombre de jour sans ventilation mécanique invasive entre la randomisation et J28, la mortalité et la durée de séjour en réanimation et à l’hôpital, la mortalité à J90, le niveau d’oxygénation à 1 heure, l’évaluation de la dyspnée et du confort, le délai entre randomisation et intubation ainsi que le délai entre apparition des critères d’intubation et l’intubation.

Le calcul d’effectif s’est fait sur l’hypothèse d’une mortalité à 25% dans le groupe oxygénation standard et d’une amélioration absolue de 10% avec l’OHD (puissance 90%).

Les analyses étaient réalisées en intention de traiter. Les comparaisons de la proportion de patients décédés (CJ principal) et du taux d’intubation ont été faites de 2 façons : comparaison des proportions avec test de chi-2 et analyse de survie avec courbes de Kaplan Meier et test du log-rank.

Résultats essentiels

Au total, 782 patients ont été randomisés (391 par groupe). Après randomisation, 34 patients du groupe OHD et 37 du groupe contrôle ont été exclus, en raison d’un diagnostic de pneumonie non-attribuée au COVID-19. Le délai entre admission en réanimation et randomisation était de 2,6 heures. Les caractéristiques démographiques et clinico-biologiques initiales étaient comparables aux autres études sur les patients COVID-19 hospitalisés en réanimation et comparables entre les deux groupes, à l’exception de la paO2 qui était plus basse dans le groupe OHD (moyenne (DS) de 73 [15] vs 76 [15] mmHg ; différence absolue de – 3 mmHg (IC95%) [-5.2 à -0.8] ; p = 0,03). L’adhérence au protocole était bonne (6% de switch OHD vers O2 standard et 3% de switch O2 standard vers OHD). La durée médiane d’OHD ou d’oxygénation standard était de 4 jours (IQR 2-6) dans les 2 groupes. Le pourcentage de patients positionnés en décubitus ventral (hors ventilation invasive) était de 20% dans le groupe OHD et 18% dans le groupe O2 standard.

La mortalité à J28 n’était pas différente entre les 2 groupes (OHD 10%, contrôle 11%, différence absolue -1,2% (intervalle de confiance 95% (IC95%) [-5,8% à +3,4%] ; p = 0,60).

La proportion d’intubation à J28 était plus faible dans le groupe OHD comparativement au groupe contrôle (45% vs 53%, différence absolue -7,7% (IC95% [-14,9% à -0,4%] ; p = 0,04).

Le nombre de jour sans ventilation mécanique, le délai entre randomisation et intubation, la durée d’hospitalisation, la mortalité à différents délais n’étaient pas différent entre le 2 groupes. Le score de dyspnée était significativement amélioré par l’utilisation de l’OHD.

Commentaires

Le choix de la meilleure stratégie d’oxygénation (oxygénation au masque, OHD, VNI) au cours de la détresse respiratoire hypoxémique liée au COVID-19 a fait l’objet d’un intense débat depuis le début de la pandémie. Au début de cette crise, plusieurs études rétrospectives ont montré une association entre l’utilisation de l’OHD (en comparaison de l’oxygénation standard) et la réduction du taux d’intubation sans impact sur la mortalité (1,2). Les essais randomisés publiés par la suite ont abouti à des résultats discordants. Avant la publication de SOHO-COVID, seulement 2 essais randomisés avaient évalué cette question chez les patients COVID-19. L’essai d’Ospina-Tascon et al montrait une réduction du taux d’intubation dans le bras OHD sans effet sur la mortalité (3) alors que l’essai de Perkins et al (RECOVERY-RS Collaborators) ne retrouvait aucun effet sur ces 2 critères de jugement (4). Dans ce 2ème essai on notait un nombre important de crossovers entre les interventions (17%). L’essai SOHO-COVID confirme les résultats du premier essai et présente l’avantage d’un taux de crossovers entre interventions beaucoup plus faible. 

Cependant, plusieurs points méritent d’être soulevés :

  1. La mortalité observée dans l’étude (10 à 11%) est nettement inférieure à la mortalité attendue sur laquelle était basée le calcul d’effectif, pouvant possiblement expliquer l’absence de différence sur la mortalité à J28.
  2. La lecture de la table disponible en supplementary appendix est instructive. En effet elle montre que dans les 6 premières heures suivants la randomisation, l’hypoxémie est plus profonde dans le groupe OHD alors que les signes cliniques d’insuffisance respiratoire (FR et échelle de dyspnée) sont améliorés dans ce même groupe (comparativement au groupe oxygénation standard).
  3. Malgré des critères d’intubation bien définis, cette étude ne permet pas de répondre à la question brulante de l’effet du timing de l’intubation sur le pronostic de ces patients. On ne peut pas exclure que certains patients du groupe OHD aient été intubés « tardivement » et ainsi été plus sujets à développer des lésions pulmonaires secondaires auto-induites (5,6) contrebalançant le bénéfice d’éviter une intubation. Cette question des critères d’intubation (ou du timing de l’intubation) chez les patients traités par OHD devra faire l’objet de travaux futurs.
  4. Si les résultats de cet essai se confirment (OHD associée à moins d’intubation mais sans effet sur la mortalité), plusieurs questions restent en suspens : a/ la réduction du taux d’intubation est-elle associée à des effets bénéfiques sur d’autres critères de jugement centrés sur le patient (ou sa famille) ? taux de syndromes post-réanimation (troubles psychiques, cognitifs et physiques), qualité de vie après le séjour en réanimation. On peut en effet fonder l’hypothèse que la réduction du taux d’intubation améliore ces critères de jugement. b/ Quel est l’impact réel de cette réduction du taux d’intubation sur le système de soins ? Cette question est cruciale au cours d’une situation de crise comme nous l’avons vécue (avec une tension sur la disponibilité des respirateurs) mais est toujours d’actualité en dehors de cette pandémie puisque notre système de soin est en crise chronique depuis plusieurs années.
Points forts
  • Pertinence de la question de recherche
  • Méthodologie de l’étude (essai randomisé multicentrique)
  • Critère de jugement robuste
  • Critères prédéfinis d’intubation
  • Randomisation réalisée très rapidement après l’admission en réanimation
  • Faible taux de crossovers entre interventions.
Points faibles
  • Taux de mortalité prévu pour le calcul de l’effectif très différent du taux finalement observé.
  • Pas de donnée sur le taux de syndrome post-réanimation et la qualité de vie après la réanimation (cf commentaire 5 de la section « commentaires »).
  • Taux de décubitus ventral finalement relativement faible. Néanmoins, les études confirmant l’effet positif du décubitus ventral chez les patients sous OHD ont été publiées après le début des inclusions.
Implications et conclusions

L’étude confirme que l’utilisation de l’OHD (comparativement à l’oxygénation standard) réduit le taux d’intubation dans l’insuffisance respiratoire aiguë sévère liée au COVID-19. Malgré l’absence d’effet sur la mortalité, il est probable que cette réduction s’accompagne de bénéfices pour le patient (amélioration du confort au long du séjour en réanimation voire de la qualité de vie après le séjour) et pour le système de soin. Ces paramètres devront être évalués dans d’autres travaux de recherche. On attendra également les méta-analyses (préférentiellement sur données individuelles) regroupant les essais randomisés comparant OHD et oxygénation standard dans l’insuffisance respiratoire aiguë liée au COVID-19.  

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Nicolas Bonnet et Stéphane Gaudry, Réanimation médico-chirurgicale, CHU Avicenne.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (nicolas.bonnet@aphp.fr) et à la CERC.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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Références

  1. Bonnet N, Martin O, Boubaya M, Levy V, Ebstein N, Karoubi P, et al. High flow nasal oxygen therapy to avoid invasive mechanical ventilation in SARS-CoV-2 pneumonia: a retrospective study. Ann Intensive Care. 27 févr 2021;11:37.

  2. Demoule A, Vieillard Baron A, Darmon M, Beurton A, Géri G, Voiriot G, et al. High Flow Nasal Canula in Critically Ill Severe COVID-19 Patients. Am J Respir Crit Care Med. 6 août 2020;

  3. Ospina-Tascón GA, Calderón-Tapia LE, García AF, Zarama V, Gómez-Álvarez F, Álvarez-Saa T, et al. Effect of High-Flow Oxygen Therapy vs Conventional Oxygen Therapy on Invasive Mechanical Ventilation and Clinical Recovery in Patients With Severe COVID-19: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 7 déc 2021;326(21):2161‑71.

  4. Perkins GD, Ji C, Connolly BA, Couper K, Lall R, Baillie JK, et al. Effect of Noninvasive Respiratory Strategies on Intubation or Mortality Among Patients With Acute Hypoxemic Respiratory Failure and COVID-19: The RECOVERY-RS Randomized Clinical Trial. JAMA. 8 févr 2022;327(6):546‑58.

  5. Brochard L, Slutsky A, Pesenti A. Mechanical Ventilation to Minimize Progression of Lung Injury in Acute Respiratory Failure. Am J Respir Crit Care Med. 15 févr 2017;195(4):438‑42.

  6. Grieco DL, Menga LS, Eleuteri D, Antonelli M. Patient self-inflicted lung injury: implications for acute hypoxemic respiratory failure and ARDS patients on non-invasive support. Minerva Anestesiol. sept 2019;85(9):1014‑23.