Pancréatite aiguë de faible gravité et remplissage vasculaire : à consommer avec modération

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Aggressive or Moderate Fluid Resuscitation in Acute Pancreatitis.
de-Madaria E, Buxbaum JL, Maisonneuve P, et al.
N Engl J Med. 2022 Sep 15;387(11):989-1000. doi: 10.1056/NEJMoa2202884. PMID: 36103415.

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Question évaluée

Lors de la prise en charge initiale d’une pancréatite aigüe de faible gravité, sans défaillance d’organe ni complication locale connue, un remplissage vasculaire agressif permet-il de prévenir l’évolution vers une forme plus grave, sans induire de surcharge hydrosodée ?

Type d’étude

Essai contrôlé, randomisé, en groupes parallèles, en ouvert.

Essai de supériorité, multicentrique, international incluant 18 centres dans quatre pays (Inde, Italie, Mexique et Espagne).

Population étudiée

Patients se présentant aux urgences avec une pancréatite aiguë de faible gravité (définie par la classe I des critères d’Atlanta révisés : absence de complication locale et absence de défaillance d’organe initialement) dans les 24h du début de la douleur.

Étaient exclus les patients présentant des critères de pancréatite aiguë de gravité intermédiaire (Classe II d’Atlanta : présence de complications locales, par exemple nécrose pancréatique au scanner, ou existence de défaillances d’organe transitoires régressant en 48h), ou pancréatite aiguë sévère (Classe III d’Atlanta : persistance de défaillances d’organes au-delà de 48h). Les patients n’avaient donc aucune défaillance d’organe à l’inclusion.

De même, les patients suivants étaient exclus : insuffisance cardiaque chronique (NYHA II, III ou IV), hypertension artérielle non contrôlée, hypernatrémie, hyponatrémie, hyperkaliémie, hypercalcémie, insuffisance rénale chronique, cirrhose décompensée, pancréatite aigüe chronique, ou espérance de vie estimée inférieure à un an.

Méthode

Randomisation

En 1:1, en groupes parallèles, centralisée selon des algorithmes informatiques, stratifiée sur le centre ainsi que sur 2 facteurs pronostiques connus : présence d’un SIRS et d’une hypovolémie. Les signes d’hypovolémie, de normovolémie ou de surcharge étaient clairement définis. La randomisation devait être réalisée dans les 8h du diagnostic de pancréatite aigüe.

 Comparaison de 2 stratégies
  • 1 bras « remplissage agressif » : 20 ml/kg de Ringer Lactate puis 3 ml/kg/h
  • 1 bras « remplissage modéré » : Ringer Lactate 1,5 ml/kg/h sans bolus au préalable (sauf si hypovolémie constatée, auquel cas le patient recevait 10 ml/kg de Ringer Lactate en deux heures avant la perfusion de 1,5 ml/kg/h)                                                                                                                              

Réévaluation de la stratégie de remplissage à 3h, 12h, 24h, 48, et 72h.

L’alimentation orale était débutée à 12h si la douleur abdominale était contrôlée (échelle de mesure utilisée : Patient- Reported Outcome Scale in Acute Pancreatitis (PAN PROMISE)). Le remplissage vasculaire pouvait être interrompu d’une fois que le patient était en capacité de tolérer l’alimentation orale pendant 8 heures. Ce qui pouvait survenir dès 20h post randomisation dans le groupe « remplissage modéré », et dès 48h après la randomisation dans le groupe « remplissage agressif ».

Critères de jugement
  • Critère principal de jugement : survenue d’une pancréatite aiguë de gravité moyenne (classe II d’Atlanta) ou sévère (classe III d’Atlanta) au cours de l’hospitalisation.                  
  • Critères de jugement secondaires : survenue de complications locales (nécrose pancréatique ; infection de nécrose), de défaillances d’organe, d’un SIRS, utilisation d’un soutien nutritionnel ou d’un traitement invasif, le taux de CRP à 48 et 72h, l’admission en réanimation, la durée du séjour hospitalier et la mortalité.
  • Critère de sécurité : ce sont les signes de surcharge hydrosodée au cours de l’hospitalisation, définis par des critères symptomatiques, cliniques, et paracliniques (échographiques, radiologiques, et monitorage invasif par Swan-Ganz).

Il fallait au moins deux critères sur trois pour définir une surcharge. La surcharge hydrosodée était gradée en légère, modérée, sévère.

Analyse statistique

La taille de l’échantillon calculée était de 744 patients pour une incidence de pancréatites aiguës modérément sévères ou sévères de 35 %, avec 372 patients par groupe ; une puissance de 80 % pour détecter une différence entre les groupes de 10 %, avec un niveau de signification bilatéral (alpha) de 0,05 en prenant en compte 10% de perdus de vue.

Des analyses intermédiaires étaient prévues au tiers et aux deux-tiers des inclusions. L’analyse était menée en intention de traiter. Expression des résultats par calcul d’un risque relatif puis d’un risque relatif ajusté sur le centre, le SIRS, et l’hypovolémie.

Résultats

L’étude a été arrêtée à la première analyse intermédiaire, compte tenu d’un signal de sécurité entre les 2 stratégies.

Sur un total de 676 pancréatites aiguë recensées, 249 patients ont été randomisés et inclus dans la première analyse intermédiaire ; 122 patients dans le groupe de remplissage agressif et 127 patients dans le groupe de remplissage modéré.

Le volume du remplissage vasculaire au cours des 48 premières heures était de 7.8 litres dans le groupe de remplissage agressif [6.5-9.8] et de 5.5 litres dans le groupe de remplissage modéré [4.0-6.8].

Pour le critère de jugement principal : il n’existait pas de différence significative concernant la survenue d’une pancréatite aigüe de gravité moyenne ou élevée en fonction de la stratégie de remplissage (22,1% dans le groupe agressif versus 17,3% dans le groupe modéré, RR ajusté 1,30 IC 95% [0,78 ;2,18], p=0,32).

Pour les critères de jugement secondaires : il n’existait pas de différence significative concernant la survenue de complications locales, de défaillances d’organe, de nécessité d’admission en réanimation, ou concernant le taux de mortalité entre les deux groupes.

Pour le critère de sécurité : la survenue d’une surcharge hydrosodée était significativement plus fréquente dans le groupe remplissage agressif que dans le groupe remplissage modéré (20,5% versus 6,3%, RR ajusté 2,85 IC 95% [1,36 ;5,94] p=0,004).

Cet essai a montré qu'une réanimation liquidienne agressive augmentait le risque de surcharge volémique. Compte tenu des données montrant une augmentation des complications sans amélioration des patients en ce qui concerne le critère de jugement principal, le comité de surveillance des données et de la sécurité a recommandé à l'unanimité l'arrêt de l'essai. 

Commentaires

Il faut distinguer la prise en charge des pancréatites aigues graves, avec défaillances d’organe présentes au diagnostic (stade II ou III d’Atlanta) et les pancréatites aigues non graves, sans défaillance d’organe.

Concernant le remplissage vasculaire des pancréatites aigues graves, il existe un consensus pour privilégier les solutions balancées (ringer lactate ou équivalent plutôt que soluté salé isotonique), le remplissage vasculaire doit être initialement agressif, avec un monitorage d’objectifs cliniques (fréquence cardiaque, diurèse…) et biologiques (hématocrite avec un seuil inférieur à 44%, urée…), puis doit être ralenti dès les objectifs atteints (2).

Concernant le remplissage vasculaire des pancréatites aigues sans signe de gravité, le bénéfice d’un remplissage vasculaire agressif est moins clair, avec des résultats discordants. Pour autant, une étude contrôlée randomisée récente suggérait un bénéfice du remplissage vasculaire agressif dans les pancréatites aigues non graves. Ainsi, l’étude de Buxbaum (qui est aussi le 2° auteur de l’étude du NEJM que nous commentons), avec le même protocole, réalisé chez 60 patients, montrait que la stratégie agressive permettait une amélioration plus rapide des patients dans les 36h, avec moins de développement de SIRS (3). Depuis 2013, les recommandations sont de privilégier un remplissage agressif, quelle que soit la gravité initiale, même si le niveau de preuve est faible (4,5).

Dans cette étude de Madaria et al, les résultats suggèrent qu’un remplissage vasculaire agressif par ringer lactate, à la phase initiale d’une pancréatite aigüe de faible gravité, ne prévient pas l’évolution vers une forme plus grave, et est associée à une surcharge liquidienne plus fréquente.

La gravité des patients inclus dans cette étude était faible, ils ne ressemblaient en rien aux patients habituellement admis en réanimation pour une pancréatite aigüe. Ainsi, seuls 4% ont dû être hospitalisés en réanimation ou secteur de soins intensifs, et moins de 6% ont développé une défaillance d’organe. Enfin, le taux de mortalité de la cohorte était de 2%. Il s’agissait donc de patients parfaitement stables, typiquement des patients hospitalisés en secteur conventionnel de gastroentérologie.

Le rationnel du remplissage vasculaire agressif est d’empêcher l’instauration de l’hypovolémie, favorisant l’ischémie d’organes (notamment du pancréas) et la cascade inflammatoire, menant à la survenue de complications ultérieures. Ce rationnel est clair dans les pancréatites aigües graves. Il l’est moins dans les formes sans signe de gravité. Ce travail suggère que dans la prise en charge des pancréatites aigües sans signe de gravité, le contrôle de l’hypovolémie n’est pas le problème central, mais que l’hypervolémie peut être délétère.

Le volume de remplissage vasculaire administré dans cette étude était assez élevé, même dans le groupe restrictif. Ainsi, alors que ces patients ne présentaient aucun signe de gravité, ils recevaient environ 8 litres en 48h dans le groupe agressif (un quart recevait 10 litres), et 5.5 litres dans le groupe restrictif (un quart recevait environ 7 litres). Finalement, le groupe restrictif pourrait même correspondre à une stratégie agressive au vu des volumes administrés. De fait, on peut se demander si cette étude n’est pas plutôt la comparaison d’une stratégie libérale vs ultralibérale.

Cette étude s’arrête précocement au tiers des inclusions pour sécurité. Même si le nombre de patients pris en compte dans l’analyse est plus important que dans les études précédentes, il est possible que l’absence de différence significative sur le critère d’efficacité soit en lien avec un manque de puissance.

Points forts
  • rationnel de l’étude solide
  • méthodologie de l’essai robuste : randomisation, ajustement sur les facteurs de confusion, ajustement du seuil de significativité
  • analyse en intention de traiter
  • critères de volémie bien définis
  • non seulement un critère d’efficacité mais aussi un critère de sécurité
  • effectif plus important que dans les études précédentes
Points faibles
  • Arrêt précoce pour sécurité, au tiers de l’effectif prévu
  • Etude en ouvert
  • Le groupe remplissage restrictif a tout de même reçu un volume de remplissage important
Implications et conclusions

Cette étude incite à la prudence quant au volume de remplissage vasculaire à administrer à la phase précoce des pancréatites aigues sans défaillance d’organe ni complication locale connue. Elle suggère qu’un remplissage vasculaire élevé est inutile pour prévenir l’aggravation des pancréatites aigues non graves, et expose au risque d’une surcharge hydrosodée.

Ce travail ne doit pas être extrapolé aux pancréatites aigues graves, prises en charge en réanimation. Dans ce contexte, un remplissage vasculaire doit être administré précocement et de façon intensive et adapté par un monitorage régulier de la fréquence cardiaque, de la diurèse, ainsi que l’évolution de l’hématocrite et de l’urée. Ce remplissage doit être ralenti dès que les signes d’hypovolémie sont contrôlés.  

Pour faire un parallèle avec le sepsis, on ne remplit pas de la même façon une infection sans sepsis et un choc septique. De même, le remplissage vasculaire au cours des pancréatites aigües doit probablement intégrer l’existence de défaillances d’organe. Il est probable que les futures recommandations internationales intègreront les résultats de cette étude pour différencier le remplissage vasculaire selon la gravité initiale des pancréatites aigues.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Thibault Vieille et Pr Gaël Piton, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Besançon.

Les auteures déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (gpiton@chu-besancon.fr) et/ou à la CERC.

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RÉFÉRENCES

  1. de-Madaria E, Buxbaum JL, Maisonneuve P, García García de Paredes A, Zapater P, Guilabert L, et al. Aggressive or Moderate Fluid Resuscitation in Acute Pancreatitis. N Engl J Med. 15 sept 2022;387(11):9891000.

  2. Leppäniemi A, Tolonen M, Tarasconi A, Segovia-Lohse H, Gamberini E, Kirkpatrick AW, et al. 2019 WSES guidelines for the management of severe acute pancreatitis. World J Emerg Surg WJES. 2019;14:27.

  3. Buxbaum JL, Quezada M, Da B, Jani N, Lane C, Mwengela D, et al. Early Aggressive Hydration Hastens Clinical Improvement in Mild Acute Pancreatitis. Am J Gastroenterol. mai 2017;112(5):797803.

  4. Tenner S, Baillie J, DeWitt J, Vege SS, American College of Gastroenterology. American College of Gastroenterology guideline: management of acute pancreatitis. Am J Gastroenterol. sept 2013;108(9):140015; 1416.

  5. Working Group IAP/APA Acute Pancreatitis Guidelines. IAP/APA evidence-based guidelines for the management of acute pancreatitis. Pancreatol Off J Int Assoc Pancreatol IAP Al. août 2013;13(4 Suppl 2):e1-15.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
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L. POIROUX
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V. ZINZONI