Remplir les patients en choc septique : éviter la goutte d’eau qui fait déborder le vase ?

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Meyhoff TS, Hjortrup PB, Wetterslev J, et al, CLASSIC Trial Group. Restriction of Intravenous Fluid in ICU Patients with Septic Shock. N Engl J Med. 2022 Jun 30;386(26):2459-2470. doi: 10.1056/NEJMoa2202707. Epub 2022 Jun 17. PMID: 35709019.

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Question évaluée

Une stratégie restrictive de remplissage chez les patients en choc septique permet-elle une diminution de la mortalité à 90 jours ?

Type d’étude

Essai contrôlé randomisé multicentrique international en ouvert mené dans 31 services universitaires et extra-universitaires de réanimation, issus de 8 pays européens.

Population étudiée

Patients d’au moins 18 ans hospitalisés en réanimation en choc septique (1) depuis moins de 12h, ayant reçu au moins 1 litre de remplissage vasculaire.

Méthode

Dans cette étude, deux stratégies étaient comparées.

La stratégie restrictive autorisait le remplissage si les patients présentaient au moins une des quatre conditions suivantes :

  • Hypoperfusion sévère : lactatémie ≥ 4 mmol/L, pression artérielle moyenne < 50 mmHg en dépit de vasopresseur ou d’agent inotrope, marbrures (avec un score > 2/5 (2)), diurèse < 0.1 mL/kg/h sur 2h. Dans ce cas, un remplissage de 250 à 500 mL de cristalloïdes était autorisé.

  • Pour compenser des pertes liquidiennes documentées (gastro-intestinales ou par des drains)

  • Pour corriger une déshydratation ou un trouble hydro-électrolytique (non corrigeable par voie entérale)

  • Pour compléter l’hydratation lorsque celle-ci était inférieure à 1 litre/24h (avec une contre-indication aux apports entéraux)

La stratégie standard de remplissage ne posait aucune limite au remplissage mais exigeait au moins une des conditions suivantes pour effectuer un remplissage :

  • Amélioration hémodynamique à la suite du précédent remplissage

  • Compensation de pertes liquidiennes, correction d’une déshydratation ou d’un trouble hydro-électrolytique

  • Selon les protocoles en place dans les services participants

Chaque stratégie était mise en place de la randomisation jusqu’à la sortie de réanimation (avec un maximum de 90 jours). En cas de réadmission, le patient retournait dans le bras dans lequel il avait été initialement randomisé.

Le protocole de l’étude comprenait, pour les deux groupes, des recommandations concernant les types de liquides à administrer (c'est-à-dire : des cristalloïdes isotoniques en cas de défaillance hémodynamique et de pertes,  de l'albumine uniquement si de grandes quantités d'ascite étaient éliminées au moyen d'une paracentèse) et le suivi des bonnes pratiques pour les interventions concomitantes au choc septique (antibiothérapie, contrôle de la source infectieuse, épuration extra rénale et utilisation de la Noradrénaline comme vasopresseur).

Les autres thérapeutiques, notamment l’utilisation de diurétiques, étaient laissées à la discrétion des cliniciens.

Dans cet essai, le critère de jugement principal était la mortalité dans les 90 jours suivant la randomisation. L’objectif était de mettre en évidence une différence absolue entre les deux groupes de 7%, avec une estimation de la mortalité à 90 jours à 45%.

Les critères de jugement secondaires étaient les suivants :

  • Le nombre de patients ayant eu au moins un évènement indésirable grave en réanimation (ischémie cérébrale, infarctus du myocarde, ischémie digestive, ischémie de membre) ou ayant eu un épisode d’insuffisance rénale aigüe KDIGO 3

  • Le nombre de patients ayant eu au moins un évènement indésirable associée à la perfusion de cristalloïdes en réanimation

  • Le nombre de jours vivant sans support d’organes au 90e jour après randomisation

  • Le nombre de jours en vie et hors de l’hôpital au 90e jour après randomisation

Résultats essentiels

1554 patients ont été inclus : 770 ont été traités avec une stratégie restrictive et 784 avec une stratégie standard de remplissage.

Aucune différence statistiquement significative n’a été mise en évidence pour la survie à 90 jours qui est le critère de jugement principal de l’étude.

Aucune différence statistiquement significative n’a été mise en évidence pour les critères de jugement secondaires : que ce soit sur tous les évènements indésirables ou pour les évènements indésirables isolés, et que l’analyse soit faite en intention de traiter ou en per protocole.

Commentaires

Le choc septique est une des principales causes de décès à travers le monde. Les recommandations concernant le remplissage dans cette situation n’ont qu’un faible niveau de preuve. Il n’existe notamment pas de recommandation, à l’heure actuelle, concernant la stratégie de remplissage lorsque l’hypoperfusion persiste après le remplissage initial (3). Les études observationnelles rétrospectives tendent même vers une surmortalité en cas de balance hydrosodée positive chez les patients en état de de choc septique, avec les limites des études rétrospectives, notamment que les patients ayant eu un remplissage plus important étaient probablement plus graves (4)(5). Cependant, une méta analyse récente (6), ne mettait pas en évidence de différence de mortalité entre l’apport de faible et de haut volume de remplissage. 

Cette étude compare l’impact de deux stratégies de remplissage différentes sur la mortalité à 90 jours des patients en choc septique. Les patients sont comparables entre les groupes, tant sur leurs caractéristiques que sur leur gravité, qui a été évaluée par un score de mortalité (7), et généralisables à l’ensemble des patients de réanimation en choc septique (mortalité prédite équivalente à la mortalité observée).

Points forts

- Étude contrôlée randomisée multicentrique avec un critère de jugement principal non soumis à un biais de classement, qui permet de contrebalancer le côté nécessairement « en ouvert » de l’étude. Il est en effet impossible d’effectuer le remplissage en aveugle.

- Les patients inclus dans l’étude sont similaires aux patients inclus dans d’autres essais traitant du choc septique. Il y a donc une bonne validité externe.

-  La randomisation stratifiée par site permet d’éviter un « effet centre ».

Points faibles

- Des violations de protocole ont été observées chez 21,5% des patients dans le groupe restrictif et 13% dans le groupe standard. 

- Les données hémodynamiques n’étaient pas recueillies.

- Recrutement non-systématique des patients dans les centres, qui sont simplement encouragés à un screening systématique »

Implications et conclusions

À la vue des stratégies testées dans l’étude qui n'étaient finalement pas si distinctes, avec une absence de différence statistique sur le critère principal de la mortalité dans les 90 jours suivant la randomisation, il semble difficile à ce stade de mettre en perspective une réelle implication clinique. Il nous paraît qu'après un remplissage initial, il est nécessaire d’individualiser la quantité du remplissage vasculaire dans le choc septique selon la porte d’entrée et les paramètres dynamiques de prédiction de réponse au remplissage.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Valentin de Villiers de la Noue et Olfa HamzaouiRéanimation médicale, CHU de Reims, France.

Valentin de Villiers de la Noue et Olfa Hamzaoui déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt. 

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (vde-villiers-de-la-noue@chu-reims.fr) et à la CERC.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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Références

  1. Singer M, Deutschman CS, Seymour CW, Shankar-Hari M, Annane D, Bauer M, et al. The Third International Consensus Definitions for Sepsis and Septic Shock (Sepsis-3). JAMA. 23 févr 2016;315(8):801.

  2. Ait-Oufella H, Lemoinne S, Boelle PY, Galbois A, Baudel JL, Lemant J, et al. Mottling score predicts survival in septic shock. Intensive Care Med. mai 2011;37(5):801‑7.

  3. Evans L, Rhodes A, Alhazzani W, Antonelli M, Coopersmith CM, French C, et al. Surviving sepsis campaign: international guidelines for management of sepsis and septic shock 2021. Intensive Care Med. nov 2021;47(11):1181‑247.

  4. Boyd JH, Forbes J, Nakada T aki, Walley KR, Russell JA. Fluid resuscitation in septic shock: A positive fluid balance and elevated central venous pressure are associated with increased mortality*: Critical Care Medicine. févr 2011;39(2):259‑65.

  5. Acheampong A, Vincent JL. A positive fluid balance is an independent prognostic factor in patients with sepsis. Crit Care. 15 juin 2015;19:251.

  6. Meyhoff TS, Møller MH, Hjortrup PB, Cronhjort M, Perner A, Wetterslev J. Lower vs Higher Fluid Volumes During Initial Management of Sepsis. Chest. juin 2020;157(6):1478‑96.

  7. Granholm A, Perner A, Krag M, Hjortrup PB, Haase N, Holst LB, et al. Development and internal validation of the Simplified Mortality Score for the Intensive Care Unit (SMS-ICU). Acta Anaesthesiol Scand. mars 2018;62(3):336‑46.