Rien ne sert de courir, il faut trachéotomiser à point !

09/03/2023
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Article JAMA
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Effect of Early vs Standard Approach to Tracheostomy on Functional Outcome at 6 Months Among Patients With Severe Stroke Receiving Mechanical VentilationThe SETPOINT2 Randomized Clinical Trial
Bösel J, Niesen W-D, Salih F, et al.
JAMA. 2022 May 17;327:1899-1909.

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Question évaluée

Une trachéotomie précoce, versus standard, permet-elle une amélioration du pronostic fonctionnel chez les patients intubés dans les suites d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ?

Type d’étude

Essai contrôlé, randomisé, multicentrique international (Allemagne et États-Unis).

Population étudiée

Les critères d’inclusion étaient :

  • Patients nécessitant de la ventilation mécanique (VM) au décours d’un AVC, au sens large : ischémique non traumatique, hémorragique ou hémorragie sous-arachnoïdienne
  • Risque prédit d’une durée de VM > 15 jours (risque prédit par le calcul du SET-score > 10) (1)
  • Accord du clinicien (réanimateur) en charge du patient quant à la probable nécessité d’une VM prolongée, et au recours à une trachéotomie

Les critères d’exclusion étaient un score de Rankin modifié > 1, VM depuis > 4 jours, état clinique contre-indiquant la trachéotomie précoce ou nécessitant un geste chirurgical, grossesse en cours, pronostic estimé péjoratif à 3 semaines, limitation de soins en cours, participation à un autre essai interventionnel, impossibilité d’obtenir un consentement éclairé.

Méthode

Les patients étaient inclus au sein de 26 services de réanimation spécialisée, aux États-Unis et en Allemagne. Ils étaient randomisés en 1 : 1, en blocs (groupes de même effectif dans chaque centre), soit dans le groupe interventionnel (trachéotomie précoce) avec réalisation d’une trachéotomie avant J5, soit dans le groupe contrôle avec réalisation de la trachéotomie au plus tôt à J10, en l’absence de sevrage effectif de la VM. 

Le critère de jugement principal était le score de Rankin modifié à 6 mois. Pour rappel ce score permet de classer le degré de handicap et de dépendance au cours des activités quotidiennes, avec un score allant de 0 (absence de symptômes) à 6 (décès). Pour les résultats ce score était dichotomisé, avec d’une part un groupe entre 0 et 4 (survie avec handicap modérément sévère), et d’autre part un groupe avec les scores 5 (handicap sévère avec dépendance complète) ou 6.

De nombreux critères de jugement secondaires (43 au total) étaient également prédéfinis. Parmi ces critères secondaires on retrouvait notamment la durée de séjour, la mortalité à 6 mois, la durée de séjour sans sédation, la durée de VM.

Si le groupe de randomisation ne pouvait être en aveugle (du patient, des réanimateurs en ayant la charge, ou de sa famille), l’évaluation fonctionnelle à 6 mois ainsi que la cause du décès étaient déterminées par un médecin indépendant au sein de chaque centre (sans avoir connaissance du groupe de randomisation).

Résultats essentiels

Parmi les 4562 patients éligibles entre juillet 2015 et août 2020, 382 patients ont été inclus et soumis à la randomisation. 177/186 patients (95,2%) du groupe trachéotomie précoce ont été trachéotomisés, contre 130/194 patients (67%) du groupe contrôle. Dans le premier groupe, les principales raisons de la non réalisation de la trachéotomie étaient le décès (N=6), l’extubation (N=3) ou le retrait de consentement (N=2) avant la réalisation du geste. Dans le second groupe les principales raisons étaient le succès de sevrage de la VM (N=41) ou le décès (N=21) avant trachéotomie.

Le critère de jugement principal ne différait pas entre les deux groupes : 77/177 patients (43,5%) avaient un score de Rankin modifié ≤ 4 à 6 mois dans le groupe trachéotomie précoce, contre 89/189 patients (47,1%) dans le groupe standard (différence de – 3,6% avec un IC95% de [-14,3%—7,2%] ; soit un Odds Ratio pour un résultat fonctionnel favorable de 0,93 avec un IC95% de [0,6—1,42], p=0,73. 

Il n’y avait de différence significative en ce qui concerne les critères de jugement secondaires, notamment en ce qui concerne la durée de séjour (réanimation et hôpital), le délai de sevrage de la VM, la durée de séjour sans sédation et/ou morphiniques.

Commentaires

Il s’agit d’un large essai randomisé multicentrique s’intéressant à la précocité de réalisation de la trachéotomie, chez des patients admis en réanimation, au décours d’un AVC.

L’essai TracMan publié en 2013 (2), qui posait cette même question de la précocité du recours à la trachéotomie (population plus large : ensemble des patients hospitalisés en réanimation), était négatif en démontrant une mortalité équivalente à 30 jours, entre le groupe précoce (30,8%) et le groupe contrôle (31,5%).

Ce nouvel essai était justifié par la nécessité de s’intéresser à cette population spécifique, pour qui le recours à la VM se fait le plus souvent, non pas pour une atteinte respiratoire primitive, mais pour protéger les voies aériennes secondairement à une agression cérébrale aigue.

La réalisation de cet essai était également motivée par une étude pilote (SETPOINT Trial) (3) menée par la même équipe, ayant inclus 60 patients au sein d’un seul centre. Le critère de jugement principal (durée de séjour en réanimation) était identique entre les deux bras, alors que plusieurs critères de jugements secondaires étaient en faveur de la trachéotomie précoce : la mortalité en réanimation (10% vs 47%), la mortalité à 6 mois (27% vs 60%) et la durée de séjour sans sédation. D’autres données de la littérature suggéraient également des arguments en faveur de la réalisation précoce d’une trachéotomie, dont une méta-analyse de 2017 (4) qui rapportait (avant J10) une diminution de la mortalité chez les patients trachéotomisés précocement.

Les résultats de l’étude pilote ne sont pas confirmés dans ce travail, y compris en ce qui concerne l’ensemble des critères de jugement secondaires. Une des explications apportées par les auteurs est le large intervalle de confiance, qui pouvait recouvrir une différence clinique importante. On peut noter de façon intéressante les taux d’événements indésirables équivalents entre les deux bras, et peu fréquents (problèmes du site de trachéotomie ou de canule au décours du geste = 3,6% ; pneumopathie d’inhalation dans les 48h post trachéotomie = 2,9%).

Le délai choisi pour réalisation de la trachéotomie dans les groupes précoce (avant J5) et standard (après J10) impacte probablement les résultats de cette étude. On peut tout d’abord souligner que 22% des patients inclus dans le groupe contrôle ont pu être sevrés de la VM avant J10, leur évitant ainsi la trachéotomie. Cette proportion aurait probablement été encore plus élevée si la trachéotomie avait été programmée plus tardivement, par exemple à J21. De plus, en réalisant une trachéotomie dès J10, le geste est réalisé à la phase aigüe de la prise en charge, chez des patients présentant potentiellement encore une ou plusieurs complications de l’AVC (une infection, une hypertension intracrânienne). Si les auteurs avaient choisi J21 pour le groupe contrôle, certains patients avec une évolution défavorable à la phase aigüe n’auraient potentiellement pas été trachéotomisés, avec un impact probable sur les résultats. Enfin, nous pouvons émettre l’hypothèse que la réalisation d’une trachéotomie précoce ait pu impacter un potentiel processus de limitation des thérapeutiques, qui intervient souvent 2 à 4 semaines plus tard.

Points forts
  • Effectif important
  • Groupes comparables
  • Méthodologie solide
Points faibles
  • Population très sélectionnée car inclusion d’un patient pour 12 dont l’éligibilité a été évaluée, soit une moyenne de 3 patients inclus par année et par centre
  • Une certaine hétérogénéité des patients du fait des différents sous-types d’AVC inclus dans l’essai
  • Absence d’aveugle, mais difficilement réalisable dans ce contexte
  • Absence de standardisation des critères de sevrage de la VM, laissés à l’appréciation du clinicien (non en aveugle du bras de randomisation)
Implications et conclusions

Cet essai prospectif multicentrique bien mené, ne donne pas d’argument en faveur de la réalisation précoce d’une trachéotomie, chez les patients intubés au décours d’un accident vasculaire cérébral.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Commenté par Valentin COIRIER et Nicolas TERZI, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Rennes, France.

Valentin COIRIER déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.
Nicolas TERZI déclare les liens suivants en dehors du travail soumis :

  • Frais personnels - Pfizer
  • Un soutien non financier -Gilead

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (nicolas.terzi@chu-rennes.fr) et à la CERC.

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Références

  1. Predictors for Tracheostomy with External Validation of the Stroke-Related Early Tracheostomy Score (SETscore).
    Alsherbini K, Goyal N, Metter EJ, Pandhi A, Tsivgoulis G, et al.
    Neurocrit Care. 2019 Feb;30:185-192.
  2. Effect of early vs late tracheostomy placement on survival in patients receiving mechanical ventilation: the TracMan randomized trial.
    Young D, Harrison DA, Cuthbertson BH, Rowan K et al.
    JAMA. 2013 May 22;309:2121-9.
  3. Stroke-related Early Tracheostomy versus Prolonged Orotracheal Intubation in Neurocritical Care Trial (SETPOINT): a randomized pilot trial.
    Bösel J, Schiller P, Hook Y, Andes M, Neumann JO, et al.
    Stroke. 2013 Jan;44:21-8.
  4. Effect of Early Versus Late Tracheostomy or Prolonged Intubation in Critically Ill Patients with Acute Brain Injury: A Systematic Review and Meta-Analysis.
    McCredie VA, Alali AS, Scales DC, Adhikari NK, Rubenfeld GD, et al.
    Neurocrit Care. 2017 Feb;26:14-25.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI