Le traitement antifongique précoce guidé par les β-D-glucanes dans le sepsis : une fausse bonne idée ?

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(1 → 3)-β-D-Glucan-guided antifungal therapy in adults with sepsis: the CandiSep randomized clinical trial.
Bloos F, Held J, Kluge S, Simon P, et al. ; SepNet Study Group.
Intensive Care Med. 2022. Jul;48(7):865-875. doi: 10.1007/s00134-022-06733-x. Epub 2022 Jun 16. PMID: 35708758; PMCID: PMC9273538.

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Question évaluée

Intérêt d’une stratégie de traitement antifongique précoce guidé par (1,3)-β-D-glucanes (BDG) pour réduire la mortalité des patients en sepsis et à risque d’infection invasive à Candida.

Type d’étude

L’étude CandiSep est un essai clinique multicentrique randomisé contrôlé en ouvert, mené dans 18 services de réanimation allemands, de septembre 2016 à septembre 2019.

Population étudiée

Patients majeurs admis en réanimation, présentant un sepsis sévère ou un choc septique (étude en cours avant les critères SEPSIS-3) ET au minimum 1 facteur de risque d’infection invasive à Candida, parmi : nutrition parentérale exclusive, chirurgie abdominale récente, antibiothérapie récente pendant plus de 48h, et épuration extra-rénale.

Méthode

Les patients étaient inclus dans les 12h (puis étendu en janvier 2018 aux 24 premières heures, en raison d’un défaut de recrutement) après le début du sepsis. Ils étaient randomisés en 2 groupes (avec stratification par centre) :

  • Les patients du groupe intervention (groupe BDG) recevaient un traitement antifongique,  dès lors qu’au moins 1 des 2 dosages de BDG sériques (prélevés dès l’inclusion puis à 24h) était ≥ 80 pg/ml. A réception des hémocultures fongiques négatives, le traitement était suspendu en cas de BDG ≥ 80 pg/ml sur un seul dosage, mais poursuivi si les deux dosages de BDG étaient ≥ 80 pg/ml.
  • Les patients du groupe contrôle recevaient un traitement antifongique ciblé,  selon les résultats de culture fongique des prélèvements microbiologiques (= standard of care).

Le traitement antifongique empirique était déconseillé, quel que soit le groupe. Si une infection invasive à Candida était diagnostiquée, le traitement était initié ou poursuivi quel que soit le groupe.

Le critère de jugement principal était la mortalité toute cause à J28, les critères de jugement secondairescomprenaient la survie sans antifongique à J28, la colonisation à Candida, le délai d’initiation du traitement antifongique, son coût, la durée de supports d’organes à J28, le score SOFA moyen, la durée d’hospitalisationet la mortalité en réanimation et à l’hôpital, ainsi que la fréquence des évènements indésirables.

Résultats essentiels

Sur les 2324 patients éligibles, 342 ont été randomisés, et 339 ont été analysés (172 dans le groupe BDG, et 167 dans le groupe contrôle).

Les patients des deux groupes étaient comparables (IGSII 47-50, score SOFA 12-13, choc septique 88-93%). La chirurgie abdominale récente était le facteur de risque d’infection invasive à Candida le plus fréquent, et sans surprise, l’origine du sepsis était majoritairement abdominale (pour plus de deux tiers des patients).

Une infection invasive à Candida était diagnostiquée chez 25 patients du groupe BDG et 23 patients du groupe contrôle dans les 96h après l’inclusion, soit un taux global d’infection invasive à Candida de 14,2% (dont seulement 31% de candidémie).

La mortalité à J28 ne différait pas significativement entre les deux groupes (33,7% dans le groupe BDG et 30,5% dans le groupe contrôle (RR 1,1 ; IC 95% 0,8-1,51, p=0,53). Les analyses en sous-groupes ne retrouvaient aucune différence non plus sur ce critère de jugement principal, selon le nombre de dosages BDG positifs, la sévérité du sepsis, le nombre de facteurs de risque d’infection invasive à Candida, le diagnostic d’infection invasive à Candida, ou l’index de colonisation à Candida.

Dans le groupe BDG, 84 patients (48,8%) recevaient un traitement antifongique dans les 96h de leur inclusion(74 en raison d’un BDG positif, 3 sur documentation microbiologique, et 7 selon une stratégie empirique). Dans le groupe contrôle, 10 patients (6%) recevaient un traitement antifongique dans les 96h (9 sur documentation et 1 empirique). Le délai médian d’initiation du traitement antifongique était significativement plus court dans le groupe BDG (1,1 jours), par rapport au groupe contrôle (4,4 jours, p<0,01). La survie sans antifongique à J28 était significativement plus faible dans le groupe BDG comparativement au groupe contrôle (30,2% contre 52,1%, p<0,01).

Les autres critères secondaires n’étaient pas significativement différents entre les deux groupes.

Commentaires

Au cours des dernières décennies, l’incidence de la candidose invasive a augmenté chez les patients de réanimation, sans amélioration notable de son pronostic [1]. Le projet européen EUCANDICU rapporte une mortalité brute à J30 de 71% pour les candidémies, et de 25% pour les candidoses intra-abdominales [2]. La réduction de la mortalité des patients souffrants de candidose invasive, notamment en choc septique, passe nécessairement par la précocité d’initiation du traitement antifongique, et le contrôle adéquat de la source de l’infection. Le BDG est un polysaccharide de la paroi cellulaire de la plupart des champignons, et est libéré dans le sang lors de l’invasion tissulaire. Il est largement utilisé dans le diagnostic des candidoses invasives dans les services de réanimation, avec une sensibilité raisonnablement élevée (74-86%), mais une faible spécificité (49-71%) [3]. Les stratégies préemptives guidées par BDG ne sont pas recommandées chez les patients de réanimation [4], mais leur utilité en pratique clinique n’avait jusqu’à présent pas été évaluée dans un essai clinique randomisé contrôlé à grande échelle, chez des patients présentant des signes d’infection et à risque de candidose invasive.

L’étude CandiSep ne démontre pas de bénéfice clinique à un traitement antifongique précoce guidé par BDG, chez des patients en sepsis, identifiés comme à « haut » risque de candidose invasive, et au prix d’une consommation considérable d’antifongiques.

Toutefois, la population de l’étude n’est pas celle qui était ciblée par les auteurs, en terme de prévalence de candidose invasive (<15%) et en terme de mortalité (≈30%). Il s’agit majoritairement de sepsis à l’admission en réanimation, et de candidoses intra-abdominales post-opératoires, des situations plus fréquemment rencontrées en réanimation chirurgicale. Ce n’est probablement pas dans ce contexte que s’exercent les meilleures performances diagnostiques du BDG. Lorsque la probabilité pré-test (la prévalence) de la candidose invasive est faible ou intermédiaire, la valeur prédictive positive du BDG est extrêmement faible [5], ce qui mène à initier à tort un traitement antifongique chez des patients qui ont une très faible probabilité d’être atteints d’infection invasive à Candida ! Les résultats de l’étude auraient été peut-être différents dans une population plus sélectionnée, à plus haut risque de candidose invasive. De même, le choix d’un seuil de positivité de BDG plus élevé, ≥ 200 pg/ml, pourrait permettre d’en améliorer la spécificité.

On peut enfin citer une approche alternative, fondée sur la bonne valeur prédictive négative du BDG, qui consiste à éliminer le diagnostic de candidose invasive et arrêter précocement un traitement antifongique empirique entrepris en réanimation [6,7].

Points forts
  • Méthodologie robuste : design randomisé contrôlé multicentrique
  • Randomisation rapide après le début du sepsis (13h en médiane)
  • Groupes comparables à la randomisation
  • Groupes bien différenciés en terme de fréquence et de précocité d’initiation du traitement antifongique
  • Analyse en intention de traiter
Points faibles
  • Intervention peu généralisable à une population de réanimation tout venant (<15% de recrutement des patients éligibles, en raison de la fenêtre étroite d’inclusion, dans les 12-24h du début du sepsis, de la nécessité d’un transport rapide des prélèvements dans un laboratoire en mesure de rendre très rapidement les résultats du groupe BDG, et de nombreux critères d’exclusion)
  • Absence d’aveugle
  • Nombreuses déviations au protocole (surtout concernant des arrêts précoces de traitement antifongique dans le groupe BDG), limitant l’interprétabilité des résultats de l’étude ; l’analyse per protocole ne retrouve toutefois pas de différence significative sur le critère de jugement principal
  • Prévalence d’infection invasive à Candida plus faible qu’attendue (14,2%), réduisant la valeur prédictive positive du BDG dans cette population à risque modéré de candidose invasive
  • Mortalité observée (≈30% dans les 2 groupes) plus faible qu’attendue (50%), impactant le calcul de la puissance de l’étude

 

Implications et conclusions :

 

Le dosage des BDG ne doit pas être utilisé pour introduire un traitement antifongique chez un patient en sepsis à risque faible ou modéré d’infection invasive à Candida. Les biomarqueurs fongiques doivent s’intégrer dans une réflexion diagnostique globale combinant le statut immunitaire, ainsi que les données cliniques et microbiologiques, pour stratifier le risque de candidose invasive chez un patient donné.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Camille Le Berre et Saad Nseir, service de Médecine Intensive – Réanimation, CHU de Lille, France.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (nicolas.peschanski@chu-rennes.fr) et/ou à la CERC.

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RÉFÉRENCES

  1. Lortholary O, Renaudat C, Sitbon K, Madec Y, Denoeud-Ndam L, Wolf M et al (2014) Worrisome trends in incidence and mortality of candi‑ demia in intensive care units (Paris area, 2002–2010). Intensive Care Med 40:1303–1312.
  2. Bassetti M, Giacobbe DR, Vena A, Trucchi C, Ansaldi F, Antonelli M et al (2019) Incidence and outcome of invasive candidiasis in intensive care units (ICUs) in Europe: results of the EUCANDICU project. Crit Care Lond Engl 23:219.
  3. Haydour Q, Hage CA, Carmona EM, Epelbaum O, Evans SE, Gabe LM et al (2019) Diagnosis of fungal infections. A systematic review and meta-analysis supporting american thoracic society practice guideline. Ann Am Thorac Soc 16:1179–1188.
  4. Martin-Loeches I, Antonelli M, Cuenca-Estrella M, Dimopoulos G, Einav S, De Waele JJ et al (2019) ESICM/ESCMID task force on practical manage‑ ment of invasive candidiasis in critically ill patients. Intensive Care Med 45:789–805.
  5. Clancy CJ, Nguyen MH (2013) Finding the “missing 50%” of invasive candidiasis: how nonculture diagnostics will improve understanding of disease spectrum and transform patient care. Clin Infect Dis 56:1284– 1292.
  6. Rouzé A, Loridant S, Poissy J, Dervaux B, Sendid B, Cornu M et al (2017) Biomarker-based strategy for early discontinuation of empirical antifun‑ gal treatment in critically ill patients: a randomized controlled trial. Intensive Care Med 43:1668–1677
  7. De Pascale G, Posteraro B, D’Arrigo S, Spinazzola G, Gaspari R et al (2020) (1,3)-β-d-Glucan-based empirical antifungal interruption in suspected invasive candidiasis: a randomized trial. Crit Care 24(1):550.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI