Transplantation pulmonaire post SDRA COVID : bons résultats mais pour quels patients ?

02/02/2023
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Clinical characteristics and outcomes of patients with COVID 19- associated ARDS who underwent lung transplantation.
Kurihara C, Manerikar A, Querrey M, Felicelli C, Yeldandi A, Garza-Castillon R Jr, Lung K, Kim S, Ho B, Tomic R, Arunachalam A, Budinger GRS, Pesce L, Bharat A.
JAMA. 2022 Feb 15;327(7):652-661.

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Question évaluée

Quels sont les résultats, à moyen terme, des transplantations pulmonaires réalisées chez des patients ayant un SDRA sur pneumonie COVID d’évolution défavorable comparés aux autres indications de transplantation ?

Type d’étude

Etude rétrospective monocentrique.

Population étudiée

Patients ayant eu une transplantation pulmonaire entre janvier 2020 et septembre 2021.

Méthode

Tous les patients consécutifs ayant eu une transplantation pulmonaire entre le 21 janvier 2020 et le 30 septembre 2021 ont été analysés.

Pour les patients ayant un SDRA COVID-19, le caractère irréversible de l’atteinte pulmonaire était évalué par une équipe multidisciplinaire après au moins 4 à 6 semaines du diagnostic de SDRA.

L’évaluation de l’indication de la transplantation reposait par ailleurs sur les recommandations de l’International Society for Heart and Lung Transplantation (ISHLT) :

  • Age ≤ 70ans
  • 2 PCR SARS CoV2 négatives
  • Absence de défaillance d’organe autre que respiratoire
  • BMI < 35 kg/m2

Les caractéristiques des patients avant la transplantation, les données per et post opératoires, ainsi que la survie ont été comparées entre patients COVID et non COVID

Résultats essentiels

Recrutement : Cette étude monocentrique a été menée au Northwestern University Medical Center, à Chicago.

Dans ce centre, entre novembre 2020 et décembre 2021, les sollicitations pour une transplantation pulmonaire dans le cadre d’un SDRA COVID-19 étaient les suivantes :

  • 234 sollicitations extérieures : 21 patients ont été transférés et transplantés dans le centre de l’étude (patients inclus dans l’étude), et 30 étaient en cours d’évaluation ou en attente de transplantation en date du 31 décembre 2021. Dix patients acceptés par ce centre ont été transférés dans un autre centre de transplantation, faute de place (devenir inconnu).
  • Parmi toutes les sollicitations : 36 (15,4%) sont décédés alors qu’ils étaient en cours d’évaluation ou en attente d’un transfert vers un centre de transplantation et 12 (5,1%) patients sont décédés alors qu’ils étaient sous ECMO et considérés comme ayant un potentiel d’amélioration.

Entre janvier 2020 et septembre 2021, 102 patients ont eu une transplantation bipulmonaire dans le centre de l’étude dont 30 (29%) dans le cadre d’un SDRA COVID-19.

  • Parmi les 30 patients transplantés pour SDRA COVID-19, 29 ont pu donner leur consentement à la transplantation.
  • Durée médiane entre le diagnostic de SDRA COVID-19 et la transplantation de 104 jours.
  • Durant leur séjour en réanimation, avant leur transplantation, 29 patients ont eu de la ventilation invasive, et 1 patient a été pris en charge par de la ventilation non invasive.
  • Au moment de la transplantation pulmonaire, plus de la moitié des patients (56,7%) avaient un support par ECMO veino-veineuse, 13,3% par ventilation invasive seule, 6,7% par oxygénothérapie nasale à haut débit et près d’un quart (23,3%) nécessitaient une oxygénothérapie nasale conventionnelle.

Comparaison des patients transplantés pulmonaires pour SDRA COVID-19 (n=30) aux autres patients transplantés pulmonaires (n=72) :

  • Les patients transplantés COVID-19 étaient plus jeunes que les patients non-COVID-19 (âge médian 53 ans vs 62 ans) avec un score de Karnovsky médian plus bas (30 vs 50 respectivement).
  • En per opératoire, le support par ECMO VA (96% vs 62%) et la poursuite d’une assistance par ECMO VV (30% vs 4%) en post opératoire étaient plus fréquents chez les transplantés COVID-19.
  • Les patients transplantés COVID-19 ont eu un séjour plus prolongé en réanimation (durée médiane 18 vs 9 jours) avec une ventilation plus prolongée (6,5 vs 2 jours) et la survenue plus fréquente d’insuffisance rénale aigue nécessitant une épuration extra rénale (23,3% vs 11,1%).
  • Pendant la période de suivi post transplantation (durée médiane de suivi de 351 jours pour les transplantés COVID-19 vs 488 jours pour les transplantés non-COVID-19), la survie était de 100% chez les transplantés COVID-19 et de 83% chez les transplantés non-COVID-19.
Commentaires

Cette étude monocentrique rapporte une série de transplantations pulmonaires réalisées chez des patients ayant une défaillance respiratoire jugée irréversible dans les suites d’un SDRA COVID-19.

La survie observée dans cette série de 30 patients est remarquablement bonne puisque aucun décès n’a été observé lors de la période de suivi.

Cette observation est intéressante car les transplantations pulmonaires réalisées en urgence chez des patients hospitalisés en réanimation sont classiquement associés à une surmortalité précoce1. Ceci étant, les cas rapportés s’intéressent essentiellement à des patients ayant des décompensations d’insuffisance respiratoire terminale et non des patients jeunes avec peu de comorbidités comme dans cette série.

Il est important de rappeler que la transplantation bipulmonaire est la transplantation d’organe associée à la plus importante morbi- mortalité avec une survie à 5 ans de 62%2.

Cette étude s’ajoute à plusieurs séries de patients transplantés dans le cadre d’un SDRA COVID-19 avec des résultats satisfaisants3–5.

Si l’intérêt de la faisabilité de la transplantation pulmonaire réalisée dans les suites d’un SDRA d’évolution défavorable est incontestable, plusieurs éléments en limitent la portée pratique :

  • On peut regretter l’absence de détails sur les critères cliniques et radiologiques de gravité et d’irréversibilité de l’atteinte pulmonaire retenus pour les patients COVID-19 inscrits sur liste de transplantation.
  • Le nombre de patients évalués pour une éventuelle transplantation manque de clarté : les auteurs détaillent les sollicitations extérieures ayant conduit à la transplantation de 21 patients. Trente patients ont cependant été transplantés sous entendant un recrutement interne de 9 patients.
  • La grande hétérogénéité des patients transplantés dans les suites d’un SDRA COVID pose question. En effet, si 56,7 % des patients avaient un support par ECMO juste avant la transplantation, près d’un quart ne nécessitaient qu’une simple oxygénothérapie conventionnelle.  La différence entre ces situations aurait probablement justifié d’être discutée.
  • La mortalité des 32 patients ayant eu un support par ECMO prolongé > 28 jours, mais non transplantés, n’est pas rapportée dans l’article mais aurait être intéressante. En effet, plusieurs études récentes ont rapporté des patients avec SDRA COVID d’évolution favorable après assistance très prolongée par ECMO VV 6–8.
Points forts
  • Série de cas de transplantations pulmonaires réalisées dans les suites d’un SDRA COVID-19 avec des résultats précoces très satisfaisant
Points faibles
  • Screening des patients difficile à analyser entre les sollicitations extérieures et les patients recrutés en interne
  • Hétérogénéité importante des patients transplantés après un SDRA COVID-19, notamment quant à leur gravité respiratoire avant transplantation
  • Etude monocentrique
  • Faible effectif des patients transplantés
Implications et conclusions

Cet article rapporte la faisabilité de la transplantation bi pulmonaire dans un contexte de SDRA COVID-19 évoluant vers une défaillance respiratoire considérée comme irréversible avec de très bons résultats à court et moyen terme.

La transplantation pulmonaire apparaît ainsi comme une option thérapeutique à envisager dans cette indication.

Néanmoins, les critères d’éligibilités des patients ne sont aujourd’hui pas bien établis et il serait important que des études essaient de définir des facteurs robustes de gravité et d’irréversibilité des lésions pulmonaires pour sélectionner les patients.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Benjamin Zuber, Service de Réanimation polyvalente, Hôpital Foch, Suresnes.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (b.zuber@hopital-foch.com) et à la CERC.

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Références

  1. Impact of donor, recipient, and matching on survival after high-emergency lung transplantation in France.
    Roussel, A. et al.
    Eur. Respir. J. 1900096 (2019) doi:10.1183/13993003.00096-2019.
  2. ABM_PG_Organes_Poumon_Coeur-poumons2020.pdf.
  3. Lung transplantation for severe COVID-19-related ARDS.
    Ko, R.-E. et al.
    Ther. Adv. Respir. Dis. 12.
  4. Clinical relevance of lung transplantation for COVID-19 ARDS: a nationwide study.
    Lang, C. et al.
    Eur. Respir. J. 2102404 (2022) doi:10.1183/13993003.02404-2021.
  5. Lung Transplantation for Covid-19–Related Respiratory Failure in the United States.
    Roach, A. et al.
    N. Engl. J. Med. NEJMc2117024 (2022) doi:10.1056/NEJMc2117024.
  6. Lung transplantation for COVID-19-associated ARDS.
    Messika, J., Schmidt, M., Tran-Dinh, A. & Mordant, P.
    Lancet Respir. Med. 9, e89 (2021).
  7. Extracorporeal membrane oxygenation for severe acute respiratory distress syndrome associated with COVID-19: a retrospective cohort study.
    Schmidt, M. et al.
    Lancet Respir. Med. 8, 1121–1131 (2020).
  8. ECMO Long Haulers: A Distinct Phenotype of COVID-19–Associated ARDS With Implications for Lung Transplant Candidacy.
    Mohanka, M. R. et al.
    Transplantation 106, e202–e211 (2022).
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI