Débat national sur la fin de vie : interrogations de la Commission d’Éthique de la SRLF

27/01/2023
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Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est prononcé en septembre 2022 dans son avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » en faveur de l’ouverture d’une réflexion sur l’aide active à mourir. À la suite de cet avis, le Président de la République a annoncé le lancement d’une Convention citoyenne, dont le pilotage a été confié au Conseil économique, social et environnemental, avec comme objectif de répondre à la question suivante : « Le cadre de l'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations individuelles rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? ». Parallèlement, d’autres travaux seront menés avec les différentes sociétés savantes afin que chacune réponde à cette question dans son domaine. Des conclusions devraient être rendues pour mars 2023.

Le texte du CCNE conclut « qu'il existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir, à certaines conditions strictes ». Le but d’une telle évolution serait double : (1) améliorer le sort des citoyens se trouvant dans des conditions médicales que les lois Leonetti et Claeys-Leonetti n’auraient pas prises en compte (pronostic péjoratif inéluctable à moyen terme, par exemple) et (2) faire droit à une alternative au parcours de soin proposé et aux soins palliatifs.

La Commission d’Éthique de la SRLF souhaite attirer l’attention des pouvoirs publics et des professionnels de la réanimation sur le fait que la loi étant universelle, les rapports entre soignants et patients, et entre soignants et proches seraient profondément modifiés en cas de modification de la loi. La légitimation de l’idée qu’on puisse supprimer le souffrant pour supprimer la souffrance, même par exception, entrainera nécessairement un profond changement de paradigme pour tous les soins et pour tous les soignants.

En réanimation, les soignants sont quotidiennement confrontés à la fin de la vie de leurs patients (la mortalité est entre 15 et 20 % dans les services de réanimation) et ont considérablement humanisé leurs pratiques depuis vingt ans. Pour la majorité de ces patients, le décès intervient après une décision de limitation et d’arrêt des traitements, conformément à la loi Leonetti de 2005 et à la loi Claeys-Leonetti de 2016. Ces soignants possèdent maintenant l’expérience de ces situations : recherche de la volonté du patient, directe (directives anticipées, parole du patient) ou indirecte (témoignages des proches), discussion sur la proportionnalité des soins et la notion d’obstination déraisonnable, mise en place de réunions collégiales, limitations et arrêts des traitements, sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. Ces soignants sont donc légitimes pour discuter des modalités de fin de vie. 

La Commission d’Ethique de la SRLF considère que les points suivants devront absolument être abordés dans le cadre des débats à venir :

  • Les soignants de réanimation s’efforcent à donner un sens à la fin de la vie lors des arrêts de traitement, pour le malade, ses proches mais aussi pour eux-mêmes, les soignants. Quel impact aurait une modification de la loi sur ces moments ? Une période agonique serait-elle alors encore acceptable ? Ne faudrait-il pas accélérer la mort de ceux qui vont de toute façon mourir de l’arrêt d’un traitement de suppléance vitale ?
  • Quel regard portera la société sur les patients souffrants, non demandeurs d’une aide active à mourir ? Quels regards porteront les soignants sur ces patients ? Le risque n’est-il pas de considérer que ceux qui souffrent l’ont choisi et doivent alors, de facto, assumer leur choix ? 
  • Quel impact pourrait avoir une modification de la loi sur les rapports entre les médecins et les proches : Si l’on accepte d’accéder à la demande de mort d’un patient, pourquoi n’accèderions-nous pas à sa demande de poursuivre des traitements jugés déraisonnables par les soignants ? 
  • L’application d’une telle loi amène à s’interroger sur la position des soignants vis-à-vis des patients suicidants. La frontière entre un patient suicidant dont on s’oppose au geste par une réanimation et un suicide assisté ou une euthanasie s’avère difficile à délimiter pour des soignants dont le but a toujours été de soigner sans juger. 
  • La mise en place du prélèvement d’organes type Maastricht 3 a posé de nombreuses questions éthiques. Qu’adviendrait-il des patients souhaitant mourir ? Seraient-ils éligibles à un prélèvement d’organes ? Devraient-ils être admis dans un service de réanimation pour réaliser ce prélèvement avec toutes les contraintes imposées par cette procédure ?

Si la réanimation ne sera pas le lieu d’application d’une éventuelle loi sur le suicide assisté et/ou l’euthanasie, elle sera significativement impactée par ce changement de paradigme.

La Commission d’Éthique de la SRLF