Les recommandations des sociétés savantes : pourquoi ? comment ?

10/10/2020
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RFE explications
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L’élaboration de recommandations professionnelles est un processus complexe qui comporte différentes étapes. Il s’agit de propositions développées méthodiquement pour aider le praticien à chercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données (1). Les recommandations formalisées d’experts (RFE) ne doivent aborder que quelques points précis d’une prise en charge : elles n’ont pas vocation à décrire l’ensemble de la prise en charge d’une maladie. Ces recommandations se doivent donc d’être concises, non ambiguës et fondées sur l’accord d’experts. On peut schématiquement distinguer trois grandes étapes pour élaborer une RFE : l’identification des thèmes abordés, la rédaction et enfin la cotation des recommandations.

I - Identification des thèmes abordés

Les sujets abordés par les RFE sont toujours validés par le conseil d’administration (CA) de la SRLF. La commission des référentiels et de l’évaluation (CRE) de la SRLF désigne un ou deux coordinateurs – organisateurs et un ou deux coordinateurs – experts, choix là aussi validés par le CA de la SRLF. Les coordinateurs – organisateurs doivent s’assurer que la méthode utilisée par les experts, pour rédiger les recommandations, est bien en accord avec celle des RFE de la SRLF. Les coordinateurs – experts doivent vérifier que les données mises en avant par les experts sont en accord avec les données de la littérature. Les coordinateurs (organisateurs et experts) définissent les thèmes qui pourront être abordés et identifient les experts qui pourront élaborer les recommandations. Les thèmes abordés sont généralement répartis en cinq champs (ou chapitres). Les coordinateurs établissent aussi une liste de questions auxquelles les experts devront répondre. Ces questions peuvent être modifiées avec les experts désignés. C’est en répondant à ces questions que les experts vont rédiger les recommandations. Le plus souvent, afin de rendre le travail des experts possible dans un délai raisonnable et éviter d’aboutir à un texte indigeste, les recommandations sont limitées à une cinquantaine par RFE.

II - Élaboration des recommandations

Pour rendre l’analyse de la littérature et l’élaboration des recommandations homogènes, compréhensibles et reproductibles, la méthode GRADE a été développée depuis une quinzaine d’années par un panel de méthodologistes, de biostatisticiens, d’experts en recommandations (2). Depuis, cette méthode est utilisée par plusieurs institutions internationales et nationales pour permettre l’élaboration de recommandations dans le domaine de la santé.

La méthode GRADE comporte deux étapes : une première étape pour analyser la littérature et déterminer la qualité des preuves disponibles et une deuxième étape pour définir la force de la recommandation (3). L’analyse de la littérature doit permettre de définir précisément les effets bénéfiques, et éventuellement délétères, liés une prise en charge donnée. Une qualité de preuve élevée indique que les experts sont confiants dans les résultats des différentes études disponibles et que ces résultats ne seront probablement pas modifiés par les études futures. À l’inverse en cas de qualité de preuve faible, les experts sont incapables de définir précisément l’effet d’un soin donné et les futures études devraient modifier les connaissances déjà disponibles. Dans le cadre de cette méthode GRADE, les essais randomisés contrôlés permettent d’obtenir une qualité de preuve élevée. Les études observationnelles ont une qualité de preuve faible. En cas de méthodologie incorrecte, la qualité des essais randomisés peut être faible (étude monocentrique, pas de double aveugle…). Les études observationnelles peuvent aboutir parfois à une qualité de preuve élevée en cas de méthodologie adéquate (taille de la population, facteurs confondants identifiés…).

À partir de la qualité des preuves disponibles, les experts peuvent rédiger des recommandations. Plusieurs critères vont définir la force de ces recommandations : la qualité des preuves disponibles en premier lieu, mais aussi le coût, la faisabilité et la disponibilité du soin. De façon très caricaturale, en cas de qualité de preuve élevée, pour un soin peu couteux, facilement réalisable et disponible partout, les experts devraient aboutir à une recommandation forte. À l’inverse en cas de qualité de preuve faible, pour un soin couteux, difficilement réalisable et peu disponible, les experts ne pourront aboutir au mieux qu’à une recommandation faible.

Pour les RFE éditées par la SRLF, la force des recommandations est symbolisée par un sigle et par la tournure des phrases :

  • Recommandations fortes :
    • G1+ : il faut faire…
    • G1- : il ne faut pas faire…
  • Recommandations faibles :
    • G2+ : il faut probablement faire…
    • G2- : il ne faut probablement pas faire…

Lorsqu’il n’existe pas de données suffisantes, les experts peuvent émettre une recommandation sous la forme d’un avis d’experts. Cet avis d’experts est précisé comme tel dans le texte de la RFE. La recommandation doit systématiquement être rédigée de la façon suivante :

Avis d’experts : les experts suggèrent que…

Chaque recommandation est associée à un texte argumentaire. Ce texte doit permettre de comprendre quelles preuves ont permis d’aboutir aux recommandations.

III - Cotation des recommandations

Lorsque l’ensemble des recommandations sont rédigées, les experts réalisent une cotation pour pouvoir les valider : l’objectif est de déterminer à quel point les experts sont d’accord avec les recommandations émises. Cette cotation se fait sur une échelle allant de 1 à 9. En cas d’accord avec la recommandation, les experts peuvent donner une note allant de 7 à 9. En cas de désaccord, les experts peuvent donner une note allant de 1 à 3. Les notes 4 à 6 correspondent à une zone d’indécision : les experts n’ont pas d’opinion sur la recommandation. Pour pouvoir être validée, une recommandation doit être notée favorablement par la majorité des experts et une minorité (< 20% des experts) doit y être opposée. Lorsque la recommandation obtient plus de 70% d’opinion favorable, elle est validée et obtient un accord fort. À la suite de cette cotation, certaines recommandations n’auront pas été validées ou n’auront obtenu qu’un accord faible (moins de 70% d’opinion favorable) : une réunion est organisée entre les experts pour déterminer les raisons qui ont empêché d’obtenir un accord fort. Ces recommandations sont rédigées à nouveau en tenant compte des réserves émises. Ces recommandations sont soumises à nouveau à une cotation : l’objectif est d’obtenir chaque fois un accord fort (> 70% d’opinion favorable). Après ces deux tours de cotation, on peut définir trois types de recommandations. Les recommandations qui ne sont pas éditées parce qu’elles n’ont pas obtenu un nombre suffisant d’opinions favorables et/ou obtenu un nombre trop élevé d’opinions défavorables. Les recommandations ayant obtenu un accord faible : une courte majorité des experts sont d’accord avec la recommandation et plusieurs experts n’ont pas d’opinion ou y sont opposés. Et enfin, les recommandations ayant un accord fort : la grande majorité des experts est d’accord avec la recommandation et une minorité des experts n’a pas d’opinion ou y est opposée.

Conclusions

Les RFE permettent de proposer aux praticiens des recommandations pour la pratique clinique. La méthode à l’origine de ces recommandations est rigoureuse. L’avantage de cette méthode de définir comment les experts doivent élaborer les recommandations. Le second avantage est de permettre de déterminer à quel point les experts sont d’accord avec les recommandations émises. Cette information a toute son importance en particulier pour les avis d’experts, lorsque la littérature est presque inexistante.


Références

  1. Haute Autorité de Santé : Guide Méthodologique - Élaboration de recommandations de bonne pratique. Décembre 2010.
  2. G. Guyatt et al. GRADE guidelines: 1. Introduction-GRADE evidence profiles and summary of findings tables. J Clin Epidem. 64 (2011) 383-394.
  3. G. Guyatt et al. What is « quality of evidence » and why it is important to clinicians ? BMJ. (2008) 336