Et si on ne faisait que surveiller les patients présentant un coma d’origine toxique ?

06/05/2024
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Freund Y, Viglino D, Cachanado M, et al. Effect of Noninvasive Airway Management of Comatose Patients With Acute Poisoning: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 2023 Dec 19;330(23):2267-2274.

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Question évaluée

Est-ce qu’une stratégie d'abstention d'intubation chez les patients présentant un coma à la suite d'une intoxication aiguë améliorerait leur devenir (mortalité et délai de séjour) par rapport à la pratique courante où la décision d'intubation est laissée à l'appréciation du médecin ?

Type d’étude

L’étude NICO est un essai multicentrique, en ouvert, randomisé individuellement 1 :1, en groupes parallèles, réalisée dans 20 structures de médecine d’urgence et un service de réanimation en France.

Population étudiée
Critères d’inclusion :
  • adultes,
  • suspicion clinique d'intoxication aiguë,
  • altération de conscience avec un score de Glasgow inférieur à 9.
Critères d’exclusion :
  • patientes enceintes,
  • patients en détention,
  • patients nécessitant un besoin immédiat d'intubation trachéale (défini par des signes de détresse respiratoire, une suspicion clinique de lésion cérébrale, des convulsions ou un état de choc),
  • suspicion d’intoxication par des médicaments cardiotropes (bétabloquant, inhibiteur calcique, inhibiteur d’enzyme de conversion)
  • suspicion d’intoxication par une seule substance toxique réversible (opioïdes et benzodiazépines).
Méthode
Critères de jugement

Le critère de jugement principal était un critère composite hiérarchique comprenant le décès à l'hôpital, la durée de séjour en soins intensifs et la durée de séjour à l’hôpital, tronquée à 28 jours. Les durées de séjour étaient arrondies à l’heure.

Intervention

Les patients étaient inclus soit en extra-hospitalier, au service des urgences ou en service de réanimation. L’intervention consistait à ne pas réaliser d’intubation. Si lors de la prise en charge le patient présentait un critère d'intubation d'urgence, le médecin procédait à l’intubation. Ces critères comprenaient des convulsions, une détresse respiratoire (définie par une saturation périphérique en oxygène mesurée par oxymétrie de pouls <90% et persistant après l'oxygénothérapie), des vomissements et un état de choc. Au cours des 4 heures suivantes, le patient était étroitement surveillé avec un monitorage continu. Au bout de 4 heures, l'intervention était considérée comme terminée et le patient était pris en charge conformément à la pratique habituelle, à la discrétion du médecin. Dans le groupe témoin, la décision d'intuber était laissée à l'appréciation du médecin urgentiste. Dans les deux groupes, il était recommandé aux médecins de suivre les recommandations de la Société Française de Médecine d'Urgence concernant l'intubation en séquence rapide. Les patients intubés en extrahospitalier étaient dirigés directement vers un service de réanimation.

Calcul du nombre de sujets nécessaire

Sur la base des données antérieures, la mortalité hospitalière a été estimée à 3% dans les deux groupes, la durée moyenne du séjour en soins intensifs estimée à 0 jour dans le groupe d'intervention et à 1 jour dans le groupe de contrôle, et la durée moyenne du séjour à l'hôpital estimée à 2 jours dans le groupe d'intervention et à 4 jours dans le groupe de contrôle. Un minimum de 100 patients dans chaque groupe d'étude permettrait à l'étude une puissance de 98% pour détecter une différence significative sur le critère de jugement composite principal (test bilatéral) avec p-value à 5%. En prenant en compte, 10% de patients perdus de vue et de 10% de patients refusant de consentir à la poursuite de l'essai, 240 patients étaient nécessaires.

Méthodologie statistique 

Cette étude a la particularité d’utiliser un Win ratio pour évaluer son critère de jugement principal.

Le win ratio est une méthode qui permet de hiérarchiser les critères de jugement au sein d’un critère composite. Ainsi, ici le décès est supérieur à la durée de séjour en soins intensif, qui est supérieure à la durée de séjour à l’hôpital.

Avec la méthode de Finkelstein-Schoenfeld (FS), chaque patient d’un groupe est comparé à tous les autres patients de l’autre groupe. Des paires sont ainsi effectuées à chaque fois. Pour chacune de ces paires, est déterminé par patient le statut « win », « loss » ou « tie ». Pour chaque groupe, le nombre de « winners » et « loosers » est compté. Le win ratio est le ratio des « winners » par paire sur les « loosers », nouvelle métrique permettant d’évaluer l’effet d’une intervention. S’il est supérieur à 1, l’intervention montre un bénéfice en comparaison au groupe contrôle. Cela permet d’analyser le bénéfice net d’un traitement dans sa globalité.

Résultats essentiels

Entre le 16 mai 2021 et le 12 avril 2023, 237 patients ont été randomisés. Les résultats de 225 patients ont pu être analysés : l’âge moyen était de 33 ans (IQR, 25 – 49) et 38% étaient des femmes, 116 (51.6%) étaient dans le groupe d'intervention et 109 (48.4%) dans le groupe contrôle. Environ 62% des patients étaient inclus dans les services d’urgence et 37.8% en extra-hospitalier. Le score de Glasgow médian à l’inclusion était de 6 (IQR, 3 – 7), le principal toxique incriminé était l’alcool (67%). Aucun patient n'est décédé au cours de son séjour à l'hôpital. Dans le groupe interventionnel, 16.4% des patients ont été intubés contre 57.8% dans le groupe contrôle. Le critère de jugement principal retrouvait un bénéfice clinique significatif dans le groupe intervention, avec un win ratio de 1,85 (IC 95 %, 1,33 à 2,58, P < 0.001). Dans le groupe d'intervention, la proportion de patients présentant un événement indésirable lié l’intubation était plus faible (6 % contre 14,7 % ; différence de risque absolu, 8,6 % [IC 95 %, -16,6 à -0,7]) que dans le groupe témoin. Cela comprenait : une pression artérielle systolique <90 mmHg, une saturation périphérique en oxygène <90%, des vomissements au cours de la procédure, une intubation difficile avec IDS ≥ 5, un traumatisme dentaire, un arrêt cardiaque, une intubation œsophagienne. Dans les suites de la prise en charge, une pneumonie est survenue chez 8 (6,9 %) et 16 (14,7 %) patients, respectivement (différence de risque absolu, -7,8 % [IC 95 %, -15,9 % à 0,3 %]).

Commentaires

Dans cet essai randomisé multicentrique, une stratégie conservatrice d'abstention de d'intubation chez les patients ayant un coma d’origine supposée toxique a amélioré de manière significative le critère de jugement composite hiérarchique comprenant le décès à l'hôpital, la durée du séjour en soins intensifs et la durée du séjour à l'hôpital. L’utilisation du score de Glasgow peut être discuté car il a été initialement décrit pour les patients traumatisés crâniens et non chez les patients présentant un coma de cause médicale. Cependant, le score de Glasgow est corrélé à un risque augmenté d’inhalation chez les patients ayant un coma toxique [1]. Au-delà de retrouver une différence sur le délai de séjour en réanimation ou à l’hôpital, il est intéressant de voir la différence sur le taux de survenue de pneumonie inférieur dans le bras intervention par rapport au bras contrôle.

Points forts

Cette étude remet en question un dogme : « intubation immédiate systématique des patients ayant un score de glasgow < 9 pour la protection des voix aériennes ». Peu d’études avaient été réalisées sur ce sujet et dans cette population [2–5]. Il s’agit de la première étude randomisée contrôlée avec un effectif de plus de 200 patients. Le design pragmatique est un point fort permettant une meilleure transposabilité des résultats dans nos structures de soins. Au-delà de la réduction de la durée de séjour en réanimation et à l’hôpital, cette étude montre une réduction absolue de 7,8 % du risque de pneumonie (réduction relative de 53 %). Le fait d’avoir pris dans les critères de jugement les risques liés à la procédure d’intubation en elle-même est une vraie plus-value de l’étude par rapport aux données dont on disposait jusqu’alors. Cette étude utilise une méthodologie rigoureuse et une prise en compte du caractère composite du critère de jugement principal. En effet, l’utilisation des wins ratio pour analyser ce critère a été décrit initialement en 1999 par Finkelstein mais était peu utilisée en recherche clinique [6, 7]. L’objectif initial de cette méthode était de pouvoir analyser les critères composites comprenant des variables binaires et continues. Cela permet de hiérarchiser les critères entre eux.

Points faibles

L’étude était réalisée en ouvert. Il est possible qu’il y ait eu un effet Hawthorne (situations dans lesquelles les résultats d'une expérience sont modifiés par le fait que les sujets sont évalués) qui expliquerait le taux élevé d’intubation des patients ayant un coma toxique dans le groupe contrôle (environ 60%). Le critère de jugement principal est peu centré patient. En effet, il n’existe pas de différence sur la mortalité (aucun décès survenu). Les résultats montrent une différence sur la durée de séjour en réanimation ou à l’hôpital ce qui correspond à une réduction des contraintes sur le système de soins mais ne change pas l’évolution clinique et le devenir des patients. Même si la méthodologie utilisée (win ratios) permet de prendre en compte l’importance très différentes des items composant le critère de jugement principal, il n’en demeure pas moins composite. La composition du critère de jugement peut être discuté : il aurait pu être intéressant d’avoir un critère de sécurité. La durée de séjour à l’hôpital semble un peu moins importante à prendre en compte car dépendante de nombreux autres facteurs. Cette étude pose également la question de la capacité des structures d’urgence dans un contexte de tension actuelle à pouvoir surveiller dans de bonnes conditions ces patients.   

Implications et conclusions

L’étude NICO permet de montrer qu’il y a un bénéfice clinique net de ne pas intuber les patients ayant un score de Glasgow < 9 d’origine toxique. Au-delà de la durée de séjour diminuée, cela pourrait permettre de réduire le nombre de pneumonies et les risques inhérents à la procédure d’intubation.

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RÉFÉRENCES

  1. Eizadi-Mood N, Saghaei M, Alfred S, et al (2009) Comparative evaluation of Glasgow Coma Score and gag reflex in predicting aspiration pneumonitis in acute poisoning. J Crit Care 24(3):470.e9–15
  2. Donald C, Duncan R, Thakore S (2009) Predictors of the need for rapid sequence intubation in the poisoned patient with reduced Glasgow coma score. Emerg Med J 26(7):510–512
  3. Orso D, Vetrugno L, Federici N, et al (2020) Endotracheal intubation to reduce aspiration events in acutely comatose patients: a systematic review. Scand J Trauma Resusc Emerg Med 28(1):116
  4. Montassier E, Le Conte P (2012) Aspiration pneumonia and severe self-poisoning: about the necessity of early airway management. J Emerg Med 43(1):122–123
  5. van Helmond LPFM, Gresnigt FMJ (2020) Safety of withholding intubation in gamma-hydroxybutyrate- and gamma-butyrolactone-intoxicated coma patients in the emergency department. Eur J Emerg Med 27(3):223–227
  6. Finkelstein DM, Schoenfeld DA (1999) Combining mortality and longitudinal measures in clinical trials. Stat Med 18(11):1341–1354
  7. Pocock SJ, Ariti CA, Collier TJ, et al (2012) The win ratio: a new approach to the analysis of composite endpoints in clinical trials based on clinical priorities. Eur Heart J 33(2):176–182
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Delphine Douillet, Département de Médecine d’Urgence, CHU Angers, France.

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI