AVC ischémique : après la thrombectomie, il ne faut pas relâcher la pression (artérielle) !

12/04/2024
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Intensive vs Conventional Blood Pressure Lowering After Endovascular Thrombectomy in Acute Ischemic Stroke The OPTIMAL-BP Randomized Clinical Trial, Hyo Suk Nam et al., JAMA 2023, doi:10.1001/jama.2023.14590

Blood Pressure Management After Endovascular Therapy for Acute Ischemic Stroke. The BEST-II Randomized Clinical Trial, Eva A. Mistry et al., JAMA 2023, doi:10.1001/jama.2023.14330

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 Question évaluée

La question évaluée par ces deux études est : y a-t-il un intérêt de stratégies plus intensives de diminution de la pression artérielle (PA) que celle recommandée actuellement (PAS ≤180 mmHg) à la phase aiguë de l’AVC ischémique après succès d’une procédure endovasculaire de recanalisation artérielle ?

En effet, si la thrombectomie a indéniablement révolutionné le pronostic des patients souffrant d’AVC ischémiques avec une occlusion artérielle proximale, de nombreux patients gardent un mauvais pronostic fonctionnel à 3 mois, malgré le succès technique de la procédure. Cela pose la question de l’optimisation de la prise en charge péri-procédurale et notamment du niveau de PA optimal après la thrombectomie, avec un équilibre entre le maintien de la perfusion cérébrale dans les régions où l’ischémie est théoriquement réversible (zone de pénombre ischémique) et l’évitement de pressions augmentant le risque de transformation hémorragique et d’œdème cérébral (sans compter sur d’autres potentiels effets systémiques). Alors que l’hypertension artérielle systolique >180 mmHg est fréquente dans cette situation, plusieurs études observationnelles ont suggéré une amélioration du pronostic avec des niveaux de pression inférieurs (PAS 140-160 mmHg) [1, 2]. Les recommandations issues de l’ère pré-thrombectomie recommandent une PAS ≤180 mmHg [3], et les pratiques sont très hétérogènes [4].

Types d’étude

Les deux essais sont des essais contrôlés randomisés multicentriques en ouvert, avec évaluation en aveugle du critère de jugement principal. L’essai OPTIMAL-BP, réalisée dans 19 centres en Corée du Sud, visait à évaluer la supériorité des stratégies intensives de réduction de la PA, tandis que l’essai BEST-II, réalisé sur 3 sites aux USA, était un essai de futilité (surrisque lié aux stratégies intensives ou probabilité calculée de succès d’un essai de phase 3 ultérieur inférieure à une borne pré-spécifiée).

Populations étudiées

Les deux études ont inclus des patients adultes avec AVC ischémique sur occlusion proximale de la circulation antérieure ayant bénéficié avec succès d’une procédure de recanalisation intra-artérielle (TICI≥2b, c’est à dire reperfusion ≥50% en fin de procédure). Dans l’essai OPTIMAL-BP, une PAS>140 mmHg dans les 2h suivant la reperfusion était également nécessaire.

Dans l’essai OPTIMAL-BP, les patients ayant une contre-indication au traitement antihypertenseur, une transformation hémorragique symptomatique, une maladie médicale ou chirurgicale aiguë sévère et un handicap fonctionnel préexistant modéré à sévère étaient exclus. Dans l’essai BEST-II, les patients avec insuffisance cardiaque systolique avec FEVG<30% ou nécessitant une assistance ventriculaire gauche ou extra-corporelle étaient exclus, de même que les femmes enceintes.

Méthodes

Randomisation et stratégies tensionnelles

Dans l’essai OPTIMAL-BP, les patients étaient randomisés avec un ratio 1:1 et une stratification sur le centre et l’intensité du déficit neurologique (cut-off de NIHSS à 15) en deux groupes : PAS<140 mmHg (stratégie intensive) et PAS 140-180 mmHg (stratégie conventionnelle).

Dans l’essai BEST-II, les patients étaient randomisés en 3 groupes, avec un ratio 1:1:1 et une stratification par site dans les 45 min suivant la randomisation : groupe PAS≤180 mmHg (contrôle, selon les recommandations actuelles), groupe PAS≤160 mmHg (objectif modéré) et groupe PAS≤140 mmHg (objectif intensif).

Dans les deux essais, la PA était monitorée de manière non-invasive et la nicardipine était l’agent hypotenseur de première ligne recommandé. De même, le contrôle tensionnel en fonction du groupe alloué devait débuter dans les 60 minutes suivant la recanalisation et être maintenu pendant 24h.

Critères de jugement

Dans l’essai OPTIMAL-BP, le critère de jugement principal était le handicap fonctionnel à 3 mois, mesuré selon l’échelle de Rankin modifiée (mRS) dichotomisée 0-2 (indépendance) vs. 3-6 (dépendance ou décès) et évalué par téléphone en aveugle du bras de randomisation.

Dans l’essai BEST-II, deux critères de jugement principaux étaient évalués : le volume de l’infarctus à 36h (± 12h) de l’inclusion et l’échelle de Rankin modifiée (mRS) pondérée par l’utilité à 90 jours (± 14j) (c’est à dire pondérée par les scores de qualité de vie attribuée par les patients à chaque catégorie dans des études antérieures), évaluée par téléphone en aveugle du bras de randomisation.

De nombreux critères secondaires et exploratoires de sécurité (hémorragie intracrânienne à 36h, symptomatique ou non, aggravation du déficit neurologique, décès lié à l’AVC à 3 mois), ainsi que de compliance aux stratégies (niveau de PA, utilisation des traitements antihypertenseurs, …) étaient évalués dans les deux essais.

OPTIMAL-BP avait planifié l’inclusion de 668 patients pour détecter la supériorité de la stratégie intensive de réduction de la PA par rapport à la stratégie standard, définie par une diminution de la dépendance fonctionnelle à 3 mois passant de 41% à 30%.  Dans BEST-II, 120 patients étaient nécessaires pour détecter une futilité, définie à priori soit par un sur-risque à faire baisser la PA (définie par une augmentation de 10 mL du volume de l’infarctus et/ou une diminution de 0,10 du score mRS pondéré sur l’utilité) ou bien par une probabilité de succès d’un essai de réduction de la PA de phase 3 comportant au maximum 1500 patients, calculée par des méthodes bayésiennes à partir des données de l’étude, ≤25%.

Résultats essentiels

L’essai OPTIMAL-BP, mené de juin 2020 à novembre 2022, a été interrompu précocement pour raison de sécurité après l’inclusion de 306 patients (155 dans le groupe intensif et 151 dans le groupe conventionnel). Les niveaux de PAS moyens étaient significativement plus bas dans le groupe intensif que dans le groupe contrôle 129,2 (7,7) mmHg vs. 138 (13,6) mmHg, p<0,001, avec significativement plus d’épisodes d’hypotension (PAS<100 mmHg) mais pas d’épisodes de PAS>180mmHg. La proportion de patients indépendant à 3 mois (mRS 0-2) était significativement plus faible dans le groupe intensif (PAS<140 mmHg) que dans le groupe conventionnel (PAS 140-180 mmHg) : 39,4% vs. 54,4%, différence 15,1%, intervalle de confiance à 95% (IC95%) -26,2 à -3,9% et odds ratio ajusté 0,56 [0,33-0,96], p=0,03.

Entre janvier 2017 et février 2022, 120 patients ont été inclus dans BEST-II (40 dans chaque groupe). Les niveaux de PA moyens pendant les 24h étaient de 129 (20) mmHg dans le groupe contrôle, 130 (18) mmHg dans le groupe modéré et 122 (15) mmHg dans le groupe intensif, avec l’utilisation d’antihypertenseurs dans 25%, 55% et 72,5% des cas. Le volume moyen de l’infarctus à 36h était de 46,4 mL (IC95% 24,5 à 68,2), 50,7 mL (33,7 à 67,7) et 32,4 mL (18 à 46,7), et le score mRS pondéré par l’utilité moyen était de 0,58 (IC 95% 0,46 à 0,71), 0,47 (0,35 à 0,60) et 0,51 (0,38 à 0,63) respectivement pour les groupes contrôle, modéré et intensif. Les résultats sur ces critères de jugement principaux n’atteignaient pas le critère préspécifié de futilité, mais les probabilités de succès calculée pour un essai de 1500 patients comparant la stratégie PAS≤180 mmHg à soit PAS≤160 mmHg ou PAS≤140 mmHg étaient de 14 et 25% respectivement, soit inférieures à la borne pré-spécifiée pour justifier un essai de phase 3.

Dans les deux études, aucune différence significative n’a été mise en évidence concernant les transformations hémorragiques à 36h (symptomatiques ou non), ni l’intensité du déficit évalué par NIHSS à 24h, ni la mortalité.

Commentaires

Ces deux essais, bien que de méthodologies différentes, sont en défaveur d’une stratégie intensive de diminution de la PA, c’est à dire <140 mmHg dans les 24h du succès d’une procédure endovasculaire dans l’AVC ischémique, qui semble augmenter le handicap fonctionnel à 3 mois. Ces résultats sont concordants avec ceux de l’étude ENCHANTED-2 qui visait même une réduction plus importante (PAS<120 mmHg) [5].

L’effet potentiellement bénéfique d’une stratégie de réduction modérée de la PA (PAS<160mmHg) ne semble pas non plus supporté par ces études et de nombreux patients semblent d’ailleurs être spontanément dans ces niveaux de PA.

Points forts
  • Deux essais contrôlés randomisés concordants, avec des méthodologies complémentaires
Points faibles
  • Étude en ouvert
  • Nombreux patients hors des objectifs tensionnels (souvent plus bas)
  • Seuils de futilité de l’étude BEST-II complexes
Implications et conclusions

Ces deux études sont en défaveur d’une stratégie de réduction intensive et même probablement modérée de la PA dans les 24h qui suivent le succès d’une recanalisation endovasculaire d’un AVC ischémique. L’objectif reste donc de maintenir une PAS<180 mmHg, comme recommandé. Ces études suggèrent même une grande prudence dans l’utilisation des traitements antihypertenseurs devant l’effet délétère de PAS trop basses (<140mmHg). 

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RÉFÉRENCES

1.   Mistry EA, Sucharew H, Mistry AM, et al (2019) Blood Pressure after Endovascular Therapy for Ischemic Stroke (BEST). Stroke 50:3449–3455. https://doi.org/10.1161/STROKEAHA.119.026889

2.   Anadani M, Arthur AS, Tsivgoulis G, et al (2020) Blood Pressure Goals and Clinical Outcomes after Successful Endovascular Therapy: A Multicenter Study. Annals of Neurology 87:830–839. https://doi.org/10.1002/ana.25716

3.   Turc G, Bhogal P, Fischer U, et al (2019) European Stroke Organisation (ESO)- European Society for Minimally Invasive Neurological Therapy (ESMINT) guidelines on mechanical thrombectomy in acute ischemic stroke. Journal of NeuroInterventional Surgery 11:535–538. https://doi.org/10.1136/neurintsurg-2018-014568

4.   Mistry EA, Mayer SA, Khatri P (2018) Blood Pressure Management after Mechanical Thrombectomy for Acute Ischemic Stroke: A Survey of the StrokeNet Sites. Journal of Stroke and Cerebrovascular Diseases 27:2474–2478. https://doi.org/10.1016/j.jstrokecerebrovasdis.2018.05.003

5.   Yang P, Song L, Zhang Y, et al (2022) Intensive blood pressure control after endovascular thrombectomy for acute ischaemic stroke (ENCHANTED2/MT): a multicentre, open-label, blinded-endpoint, randomised controlled trial. The Lancet 400:1585–1596. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)01882-7

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Articles commentés par Bertrand Hermann, Neuroréanimation, hôpital Sainte-Anne, GHU Paris Psychiatrie & Neuroscience, Université Paris Cité, France. bertrand.hermann@ghu-paris.fr

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