Sédation dans le sepsis, Dexmédétomidine versus Propofol : la bataille continue !

20/01/2022
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Article NEJM
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Dexmedetomidine or Propofol for Sedation in Mechanically Ventilated Adults with Sepsis
Christopher G. Hughes, Patrick T. Mailloux, John W. Devlin, Joshua T. Swan, Pharm.D., et al. for the MENDS2 Study Investigators
N Engl J Med2021 Apr 15;384(15):1424-1436. doi: 10.1056/NEJMoa2024922. Epub 2021 Feb 2.

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Question évaluée

La Dexmedétomidine permet-elle une diminution du nombre de jours sans délirium ou coma, chez des patients hospitalisés pour un sepsis suspecté ou confirmé et nécessitant une ventilation mécanique ?

Type d’étude

Essai randomisé contrôlé multicentrique (13 centres) aux Etats-Unis, en double aveugle.

Population étudiée

Patients hospitalisés pour un sepsis suspecté ou confirmé nécessitant une sédation continue pour une ventilation mécanique avec des objectifs de sédation légère (RASS -2 à 0).

Méthodes

Inclusion de 432 patients dans 13 centres des Etats-Unis entre 2013 à 2018. 214 patients ont été inclus dans le groupe dexmedétomidine et 208 patients dans le groupe propofol. L’inclusion est réalisée dans les 96h suivant la mise sous ventilation artificielle. La gestion des sédations est guidée par les recommandations de la Society of Critical Care Medecine soit un objectif de sédation légère (RASS 0 à -2), un protocole quotidien d’interruption des sédations, et l’utilisation préférentielle de sédatifs non benzodiazépines (propofol ou dexmédétomidine).

Objectif principal

Le nombre de jours en vie sans délire ou coma durant les 14 jours suivant l’inclusion.

Objectifs secondaires

Le nombre de jours sans ventilation à J28, la mortalité à J90 et l’évaluation cognitive à 6 mois en utilisant un score de TICS-T ajusté à l’âge.

Résultats essentiels

La dose médiane de dexmedétomidine est de 0.27µg/kg/heure, la dose médiane de propofol est de 10.21µg/kg/min.

L’essai n’a trouvé aucune différence significative sur le nombre de jours en vie sans délirium ou coma pour la dexmedétomidine par rapport au propofol (10,7 contre 10.8 jours, OR 0,96 ; IC 95 % 0,74 à 1,26) P=0,7. Il n’existe pas de différence pour le nombre de jours sans ventilation à J28 (23,7 contre 24 jours, OR 0.98 : 95% CI, 0.63-1.51), sur la mortalité à J90 (38% contre 39% ; Hazard ratio, 1.06 ; 95%CI, 0.74 – 1.52) ni sur l’état cognitif à 6 mois, score de TICS-T (moyenne ajustée 40.9 contre 41.4 ; OR, 0.94 ; 95%CI, 0.66 – 1.33)

Les résultats en matière de sécurité étaient similaires, bien qu’il existe plus de bradycardie (30% contre 19%) et plus d’auto-extubation nécessitant une ré-intubation le jour même (39% contre 20%) dans le groupe dexmédétomidine.

Commentaires

Aucune différence n’a été constatée pour aucun des critères d’évaluation. Les auteurs souhaitaient mettre en évidence une différence de 1,5 jours en vie sans coma ni délirium entre les 2 groupes avec une puissance de 85%, et une différence absolue de mortalité de 12 points entre la dexmédétomidine et le propofol. Les objectifs fixés semblent ambitieux et peuvent expliquer en partie l’absence de différence observée entre les 2 groupes. L’étude MENDS-2 a inclus des patients sévères  (mortalité aux alentours de 40% à J90) formant une population représentative de réanimation par la sévérité, le nombre de défaillance ainsi que l’origine du sepsis. Les données théoriques identifient  un effet anti-inflammatoire de la dexmédétomidine par rapport aux sédatifs GABAergiques(1,2). Le choix entre Dexmédétomidine et Propofol ne semble pas avoir d’effet substantiel chez les patients septiques poly défaillants de réanimation.

L’étude évalue également un domaine d’intérêt croissant : le retentissement cognitif, fonctionnel et la qualité de vie après un séjour en réanimation. Les auteurs utilisent une batterie cognitive robuste, TICS-T, et identifient 25% de dysfonctionnement cognitif significatif malgré l’utilisation d’une sédation légère. Il ne semble pas y avoir de différence quant au choix de la molécule de sédation sur l’apparition de troubles cognitifs.

La principale critique formulée à l’égard de MENDS-2 concerne les posologies assez faibles de sédatifs utilisées, quel que soit le groupe. Par exemple, la posologie médiane de propofol était de 10 µg/kg/min, soit 45 mg/h pour un patient de 75 kg. Ces faibles doses ont entrainé l’administration de fentanyl à visée sédative, à des posologies cette fois-ci plutôt élevées : dose médiane de 68µg/h (groupe dexmédétomidine) et 56 µg/h (groupe propofol), soit environ 140 mg de morphine orale par jour. Le fentanyl a de plus une demi-vie très prolongée par rapport aux drogues étudiées. Les mauvaises langues concluront que la comparaison de 2 groupes sédatés par fentanyl n’a pas révélé de différence significative !

Points forts
  • Essai multicentrique contrôlé randomisé en double aveugle, excellente méthodologie
  • Procédure d’aveuglement importante
  • Validité externe, population grave
  • Temps passé dans les objectifs de sédations : 60%
Points faibles
  • Biais de sélection possible : >470 patients exclus par préférence du médecin responsable.
  • Diminution du nombre d’inclusion en raison d’une lenteur d’inclusion et donc diminution de la puissance.
  • Faibles posologies des molécules sédatives à l’étude, avec recours au fentanyl en compensation.
  • Choix du morphinique discutable compte tenu de sa demi-vie très prolongée par rapport aux molécules sédatives à l’étude.
  • Contamination croisée des molécules à l’étude, 13% d’utilisation de propofol en ouvert dans le groupe dexmédétomidine.
  • Malgré une impressionnante procédure d’aveuglement, l’assignation du groupe de randomisation au clinicien ou à l’équipe de recherche a été démasquée chez 14% des patients.
  • Changement possible de protocole de gestion d’analgésie et sédation, considéré comme soins standard, sur la longue période de recrutement (2013 à 2018)
  • Objectif primaire composite (évaluant 2 situations cliniques différentes (coma vs agitation)) d’analyse plus délicate qu’un critère unique.
  • Objectif secondaire sur la mortalité absurde : l’étude SPICE 3 ayant randomisé 4000 patients avec un objectif de réduction de la mortalité de 4.5% s’est avérée négative. Comment pouvait-on espérer une telle diminution de mortalité dans cet essai clinique ?
Implications et conclusions

Les résultats ne diffèrent pas entre la dexmédétomidine et le propofol pour les patients nécessitant une sédation légère.  Cependant, les doses de ces médicaments utilisées n’étaient probablement pas assez élevées pour mettre en évidence une différence significative, avec un risque d’effets indésirables plus important notamment pour la dexmédétomidine.

L’analgésie opioïde a été utilisée comme traitement de secours pour l'agitation au lieu d'un agent sédatif.

Essai de faible puissance par la modification en cours d’étude du nombre de patients à inclure sur des difficultés de recrutement.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Pauline Lamouche Wilquin et Jérémie Lemarié, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Nantes.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (pauline.lamouchewilquin@chu-nantes.fr ; jeremie.lemarie@chu-nantes.fr) ou à la CERC.

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Références

  1. The effects of clonidine and dexmedetomidine on human neutrophil functions.
    Nishina K, Akamatsu H, Mikawa K, Shiga M, Maekawa N, Obara H, et al.
    Anesth Analg. févr 1999;88(2):452‑8.
  2. Effects of dexmedetomidine on adrenocortical function, and the cardiovascular, endocrine and inflammatory responses in post-operative patients needing sedation in the intensive care unit.
    Venn RM, Bryant A, Hall GM, Grounds RM.
    Br J Anaesth. mai 2001;86(5):650‑6.
  3. Caring for Critically Ill Patients with the ABCDEF Bundle: Results of the ICU Liberation Collaborative in Over 15,000 Adults.
    Pun BT, Balas MC, Barnes-Daly MA, Thompson JL, Aldrich JM, Barr J, et al.
    Crit Care Med. janv 2019;47(1):3‑14.
  4. Improving Hospital Survival and Reducing Brain Dysfunction at Seven California Community Hospitals: Implementing PAD Guidelines Via the ABCDEF Bundle in 6,064 Patients.
    Barnes-Daly MA, Phillips G, Ely EW.
    Crit Care Med. févr 2017;45(2):171‑8.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
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