35 ans plus tard, les inégalités universitaires homme/femme n’ont pas pris une ride !

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Article NEJM
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Women Physicians and Promotion in Academic Medicine
Richter KP, Clark L, Wick JA, Cruvinel E, Durham D, Shaw P, Shih GH, Befort CA, Simari RD

N Engl J Med. 2020 Nov 26;383(22):2148-2157.

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Question évaluée

Evaluer la probabilité de nomination et promotion des femmes médecins à des postes universitaires (professeures assistantes, professeures associées, professeures, chaire d’université) par rapport à celle des hommes et décrire l’évolution de ces données au cours du temps.

Type d’étude

Etude observationnelle rétrospective

Population étudiée

Utilisation de la base de données de l’Association of American Medical Colleges, colligeant les informations de 559 098 lauréat.e.s de 134 facultés de médecine aux Etats-Unis, de l’année universitaire 1978-79 à l’année universitaire 2012-13. Pour chaque lauréat.e, la base fournit les informations relatives aux nominations à des postes de titulaire à la faculté (selon les rangs : professeur.e assistant.e, professeur.e associé.e, professeur.e, et titulaire d’une chaire d’Université), le genre et l’origine ethnique.

Méthode

Comparaison du nombre de femmes accédant effectivement à des postes universitaires par rapport au nombre attendu en fonction de la proportion de femmes lauréates en médecine, et comparaison de la cohorte 1998-2013 à une cohorte précédente publiée en 2000 (1) ayant évalué ce taux entre 1979 et 1997. Les analyses de survenue de promotion ont été réalisées par des courbes de Kaplan-Meier selon le genre et le rang de promotion universitaire, et entre la cohorte originale et la plus récente. Des analyses ajustées selon des modèles de Cox ont également été réalisées pour estimer la survenue d’une promotion en fonction du genre, de l’origine ethnique, du type de spécialité, de l’année de promotion (1979-97 versus 1998-2013) ; ainsi que des analyses de sensibilité en fonction du délai entre obtention du diplôme de médecin et la nomination.

Résultats essentiels

Les femmes représentaient 38,9% des 559 098 lauréats des facultés de médecine, et 40,8% des assistants; elles étaient plus fréquemment issues des minorités ethniques (33,3% vs 24,4% des hommes).

En analyse non ajustée: les femmes accédaient plus tôt et plus souvent au poste de professeure assistante (22% vs 20% des hommes), mais moins souvent ensuite au rang de professeure associée (22% vs 31%), de professeure (29% vs 40%), et de titulaire d’une chaire (2% vs 6%)  (différence absolue entre les promotions réelles et attendues des femmes respectivement de 8,7% (95% IC 8,3-9,2), 6,6% (95% IC 6,0-7,3), 14,4% (95% IC 12,9-15,8)) sur les 35 ans, et ceci dans quasiment toutes les spécialités.

En analyse de Kaplan-Meier, les hommes étaient promus plus souvent et plus rapidement que les femmes. Ceci restait vrai même en comparant la cohorte la plus récente de 1998-2013 à celle de 1979-1997.

En analyse ajustée, les femmes avaient 12% de plus de chance de devenir professeure assistante (HR 1,12, 95% IC 1,11-1,14), mais 24% de chances en moins de devenir ensuite professeure associée (HR 0,76, 95% IC 0,74-0,78), puis 23% de moins de devenir professeure (HR 0,77, 95% IC 0,74-0,81), et 54% de moins d’avoir une chaire (HR 0,46,  95% IC 0,39-0,54). Ceci persistait en comparant la cohorte la plus récente avec la plus ancienne, et s’aggravait même pour la promotion au rang de professeure.

Les analyses de sensibilité retrouvaient les mêmes résultats.

Commentaires

Alors que la parité est observée parmi les étudiants en médecine, la probabilité pour une femme médecin d’être nommée à un poste universitaire est inférieure à celle d’un homme.

Il n’y a pas d’étude similaire française mais les chiffres sont éloquents pour notre spécialité avec actuellement 8% de femmes parmi les professeurs de Médecine Intensive Réanimation. L’enquête récemment menée par le groupe FEMMIR de la SRLF auprès des réanimatrices a mis en évidence qu’un tiers des femmes ayant répondu considérait qu’être femme était un frein à leur promotion (2). Les causes de ces inégalités homme-femme sont multiples et incluent les biais inconscients pour lesquels les sciences et postes à responsabilité seraient préférentiellement attribués aux hommes (3). En résulte certains comportements tels que l’autocensure de la part des femmes, mais aussi moins d’allocation de financements de projets de recherche portés par des femmes à qualité scientifique égale (4). A ces freins s’ajoutent parfois un milieu académique perçu comme étant hostile par les femmes à cause de comportements sexistes et discriminants (5) et la grossesse, considérée par plus de deux tiers de femmes réanimatrices comme un frein à l’avancement professionnel (2). Parce qu’elle fait prendre conscience des inégalités homme-femme à la promotion universitaire, cette étude contribuera, on l’espère, à un changement de nos comportements.

Points forts

Il s’agit d’une très large cohorte incluant plus d’un demi-million de médecins. L’analyse statistique comprend plusieurs modèles qui ajustent pour différentes variables dont l’appartenance à une minorité ethnique, l’année d’obtention du diplôme de médecin et la spécialité. Les données manquantes ou non analysables sont peu nombreuses (<2%).

La variable temps est analysée selon une variable continue et ensuite dichotomisée en deux périodes (récente /ancienne). L’analyse de sensibilité inclut plusieurs modèles intégrant un délai plus long entre la fin des études et la nomination (3,5 ans versus 7 ans) dans un même niveau universitaire et en considérant chaque niveau universitaire séparément. La constance des résultats quel que soit le modèle rend l’étude robuste.

Le caractère longitudinal de l’étude est un véritable atout ; cela permet d’analyser les tendances au cours de temps.

L’analyse considère différentes positions universitaires permettant de dévoiler des différences plus fortes pour le rang universitaire le plus élevé.

L’étude s’appuie sur le concept d’intersectionnalité dont le principe est d’appréhender ensemble différentes variables de discrimination (ici le genre et la minorité ethnique).

Points faibles

Cette étude est descriptive et ne permet pas de générer d’hypothèses explicatives. Notamment elle ne permet pas d’identifier si, à prérequis égal, une femme a moins de chance qu’un homme d’être promue, s’il y a une association inverse entre carrière familiale et carrière professionnelle, si d’autres facteurs (compagnonnage par un mentor féminin, choix personnel, statut marital et profession du conjoint...) influent sur la promotion académique des femmes médecins.

Il s’agit uniquement de données nord-américaines et les statuts académiques étudiés n’ont pas toujours leurs équivalents directs dans les autres pays. Enfin, il n’y a pas donnée pour la réanimation.

Implications et conclusions

Cette étude suggère fortement que nous ne faisons pas mieux qu’il y a 35 ans en termes d’égalité homme-femme à la promotion académique en médecine. Elle permet une meilleure prise de conscience d’un problème persistant que l’on aurait parfois tendance à rattacher aux générations antérieures.

C’est un signal d’alarme supplémentaire pour travailler sur des mesures soutenant les femmes médecins dans des carrières académiques.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Florence Boissier, Médecine Intensive Réanimation, CHU de Poitiers et Cécile Aubron, Médecine Intensive Réanimation, CHU de Brest, pour le groupe FEMMIR (Femmes Médecins en Médecine Intensive Réanimation)

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (florence.boissier@chu-poitiers.fr ; cecile.aubron@chu-brest.fr)à la CERC.

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Références

  1. Nonnemaker L, Women physicians in academic medicine: new insights from cohort studies, N Engl J Med 2000 Feb 10;342(6):399-405.
  2. Hauw-Berlemont C et al, FEMMIR Group for the SRLF Trial Group, Perceived inequity, professional and personal fulfilment by women intensivists in France, Submitted
  3. Nosek BA et al, National differences in gender-science stereotypes predict national sex differences in science and math achievement, Proc Natl Acad Sci U S A, 2009 Jun 30;106(26):10593-7.
  4. Witteman HO et al, Are gender gaps due to evaluations of the applicant or the science? A natural experiment at a national funding agency. Lancet 2019 Feb 9;393(10171):531-540.
  5. Lewiss RE, et al. Is Academic Medicine Making Mid-Career Women Physicians Invisible? J Womens Health (Larchmt). 2020 Feb;29(2):187-192.
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON