Allogreffe et soins critiques : ils se disent oui !

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Outcomes in Critically Ill Allogeneic Hematopoietic Stem-Cell Transplantation

Antoine Lafarge, Thibault Dupont, Emmanuel Canet, Anne-Sophie Moreau, Muriel Picard, Djamel Mokart, Laura Platon, Julien Mayaux, Florent Wallet, Nahema Issa, Jean-Herlé Raphalen, Frédéric Pène, Anne Renault, Régis Peffault de la Tour, Christian Récher, Patrice Chevallier, Lara Zafrani, Michael Darmon, Naike Bigé, Elie Azoulay

Am J Respir Crit Care Med. 2024 doi: 10.1164/rccm.202401-0135OC

 

Texte
Question évaluée :

Quel est le pronostic des patients allogreffés de cellules souches hématopoïétiques (CSH) hospitalisés en réanimation et quels en sont les déterminants ?

Type d’étude :

Etude rétrospective multicentrique, conduite dans 14 services de réanimation français.

Population étudiée :

Patients adultes, ayant reçu une allogreffe de CSH et hospitalisés dans 14 services de réanimation affiliés au Groupe de Recherche en Réanimation Respiratoire du patient d’Onco-Hématologie (GRRR-OH) entre janvier 2015 et décembre 2020. Seul le premier séjour a été retenu.

Méthode :

Collecte des données :

Recueil des données démographiques et cliniques à partir du dossier médical des patients.

Le statut vital à long terme a été obtenu en interrogeant le registre de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economique (INSEE).

Le registre de la Société Française de Greffe de Moelle et de Thérapie Cellulaire a par ailleurs été consulté pour déterminer le nombre de procédures d’allogreffes réalisées dans les centres participants sur la période d’étude.

Définitions :

Les défaillances d’organes à l’admission en réanimation ont été définies en combinant les critères cliniques de l’EWS (Early Warning System) (besoin en oxygène, pression artérielle systolique, altération de l’état général) et les seuils biologiques du score SOFA (Sequential Organ Failure Assessment).  

Les manifestations liées à une réaction du greffon contre l’hôte (GVH) aiguë et leurs sévérités (grade 1 à 4), ont été définies selon les critères de la conférence de consensus internationale de 1994[1].

La GVH aigue a été classée a posteriori en deux groupes :

  • cortico-résistante (ou réfractaire) en cas d’aggravation au 3ème jour de traitement ou en l’absence de rémission à la 4ème semaine de corticothérapie
  • contrôlée, dans les cas contraires

Critères de jugement :

Le critère de jugement principal était la mortalité à 90 jours après l’admission en réanimation.

Les critères de jugement secondaires étaient les taux de mortalité en réanimation, à l’hôpital, à 1 an et à 3 ans.

L’étude s’est intéressée à la population globale et au sous-groupe des patients ayant reçu une ventilation mécanique invasive.

Résultats essentiels :

Caractéristiques des patients :

Sur la période, 5974 patients ont reçu une allogreffe de CSH, parmi eux 1164 (19,5%) ont été admis en réanimation (61,4% d’hommes avec un âge médian de 56,4 (42,7 – 63,6) ans).  Environ 1/3 des admissions survenaient au cours de la période très précoce (<30 jours) après l’allogreffe et 48,5% après 3 mois. La maladie était considérée en rémission complète chez 42,5% des patients et réfractaire dans 13% des cas. Dans 49,7% des cas une GVH aigue était rapportée, considérée comme réfractaire à la corticothérapie chez 20,8% des patients.

Dysfonctions d’organes

Les deux-tiers des patients (66%) présentaient au moins deux dysfonctions d’organe avec un SOFA médian à 6 (4 – 8) à l’admission. La principale cause d’admission était l’insuffisance respiratoire aiguë (69,1%). 37,6% des patients ont nécessité une ventilation mécanique invasive, 41,1% des vasopresseurs et 19% une épuration extra-rénale.

Critères de jugements :

Les taux de mortalité à J-90, à 1 an et à 3 ans étaient respectivement de 48,2%, 62,6% et 70,4%.

La mortalité en réanimation était de 25,9%. Il faut noter qu’une décision de limitation des thérapeutiques actives a été décidée chez 21,3% des patients (dans un délai de 6 (2-16) jours), rendant compte de 60% des décès en réanimation. 

Enfin, sur la période d’étude, il n’a pas été observé de diminution significative de ces taux de décès.

Facteurs de risques de mortalité à J-90 :

En analyse multivariée, la présence d’une GVH aigue réfractaire à la corticothérapie (OR 1,63 [IC 95% : 1,38 – 1,93]), un délai entre l’allogreffe et l’admission entre 30 et 90 jours (OR 1,68 [IC 95% : 1,17 – 2,40]), la nécessité de vasopresseurs (OR 1,9 [IC 95% : 1,42 – 2,55]), un âge supérieur à 56 ans (OR 2,0 [IC 95% : 1,53 – 2,60]) et la ventilation mécanique invasive (OR 3,1 [IC 95% : 2,29 – 4,18) étaient indépendamment associés à la mortalité.

En appliquant ces facteurs chez les patients ventilés, le risque de décès était de 39,2% en l’absence d’autres facteurs de risque (cette situation ne concernant que 11,6% des patients ventilés), avec un risque cumulatif qui augmentait rapidement : de 59,7% en présence d’un seul facteur de risque supplémentaire, à plus de 90% en cas de recours aux vasopresseurs et à l’épuration extra-rénale (quel que soit le statut d’une éventuelle GVH).

Commentaires :

Si la survie des patients d’onco-hématologie admis en réanimation s’est largement améliorée au cours des dernières décennies, le pronostic des patients ayant reçu une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques présente une trajectoire plus singulière, conduisant à un certain pessimisme de la part des réanimateurs quant à l’éligibilité de ces patients à une admission, en particulier si le recours à l’intubation s’avère nécessaire. 

Cette large étude multicentrique précise des éléments épidémiologiques importants [2-4]:

  • la population des patients allogreffés est très vulnérable : 20%  des patients sur cette période vont nécessiter une admission en réanimation
  • les patients sont souvent sévères et multi-défaillants
  • l’insuffisance respiratoire aiguë reste la première cause d’admission

Les auteurs retrouvent des facteurs de risque connus [3,4] indépendamment associés avec la mortalité dans cette population : âge, ventilation mécanique invasive, recours aux amines et GVH réfractaire.

Les auteurs apportent également un éclairage nouveau sur certains points :

  • la survie à court terme est particulièrement élevée, tranchant avec les chiffres historiques [5], puisque ¾ des patients sortent vivants de réanimation et 50% sont vivants à J90, soulignant que de nombreux patients tirent un bénéfice de la prise en charge en réanimation
  • la GVH aiguë n’est plus considérée comme monolithique [6]: le caractère cortico-sensible est un élément pronostique majeur, puisque les taux de survie sont similaire entre les patients avec GVH contrôlée par corticoïdes et ceux sans GVH
  • le délai entre l’admission et l’allogreffe est un facteur important à prendre en compte,  avec une mortalité accrue pour les patients allogreffés entre 1 et 3 mois avant leur admission, probablement du fait de l’immunodépression lourde
  • le caractère hétérogène du pronostic, avec une intrication complexe et cumulative des défaillances d’organes. Ainsi, en cas de ventilation invasive isolée, les taux de décès sont proches de ceux observés chez les autres immunodéprimés (35-40%) mais augmente jusqu’à près de 90% en cas de défaillance multiple.
  • La fréquence élevée des limitations des thérapeutiques actives
Points forts :

 

  • Plus grande cohorte multicentrique de patients allogreffés de CSH admis en réanimation.
  • Analyse des facteurs de risque de mortalité en individualisant les différents sous-groupes de GVH aigue et l’intrication des différents supports d’organe.
Points faibles :

 

  • Design rétrospectif de l’étude.
  • Prise en charge des patients dans des centres experts d’un seul pays, limitant la généralisation des résultats.
  • Pas de donnée concernant l’état général, les antécédents, la maladie sous-jacente ayant indiqué l’allogreffe et ses modalités, de même que les causes spécifiques d’admission (infections fongiques, toxicité de l’allogreffe…).
  • Il n’y a pas de donnée non plus concernant les patients allogreffés dont l’admission en réanimation a été jugée comme déraisonnable.

 

Implications et conclusions :

Cette étude montre que l’admission en réanimation d’un patient allogreffé doit toujours être considérée en intégrant les facteurs pronostiques connus dont la cortico-sensibilité de la GVH, afin de proposer le projet de soins le plus pertinent et éthique.


 

Références cités dans les commentaires

 

  1. Przepiorka D, Weisdorf D, Martin P, Klingemann HG, Beatty P, Hows J, et al. 1994 Consensus Conference on Acute GVHD Grading. Bone Marrow Transplant. 1995 Jun;15(6):825–8.
  2. Lueck C, Stadler M, Koenecke C, Hoeper MM, Dammann E, Schneider A, et al. Improved short- and long-term outcome of allogeneic stem cell recipients admitted to the intensive care unit: a retrospective longitudinal analysis of 942 patients. Intensive Care Med. 2018 Sep;44(9):1483–92.
  3. Lengliné E, Chevret S, Moreau AS, Pène F, Blot F, Bourhis JH, et al. Changes in intensive care for allogeneic hematopoietic stem cell transplant recipients. Bone Marrow Transplant. 2015 Jun;50(6):840–5.
  4. Orvain C, Beloncle F, Hamel JF, Thépot S, Mercier M, Kouatchet A, et al. Different Impact of the Number of Organ Failures and Graft-Versus-Host Disease on the Outcome of Allogeneic Stem Cell Transplantation Recipients Requiring Intensive Care. Transplantation. 2017 Feb;101(2):437–44.
  5. Pène F, Aubron C, Azoulay E, Blot F, Thiéry G, Raynard B, et al. Outcome of critically ill allogeneic hematopoietic stem-cell transplantation recipients: a reappraisal of indications for organ failure supports. J Clin Oncol 2006;24:643–649.
  6. Pichereau C, Lengliné E, Valade S, Michonneau D, Ghrenassia E, Lemiale V, et al. Trajectories of acute graft-versus-host disease and mortality in critically ill allogeneic hematopoietic stem cell recipients: the Allo-GRRR-OH score. Bone Marrow Transplant. 2020 Oct;55(10):1966–74.

 


CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Dr Grégoire Fourcade, Médecine intensive-Réanimation, CHU Grenoble-Alpes, France. Supervisé par Pr Guillaume Dumas, Médecine intensive-Réanimation, CHU Grenoble-Alpes, France.

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