Allons-nous nous réconcilier avec les β-bloquants pour la prise en charge du sepsis ?

26/05/2022
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Article CCM
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Association Between Premorbid Beta-Blocker Exposure and Sepsis Outcomes-The Beta-Blockers in European and Australian/American Septic Patients (BEAST) Study.
Tan K, Harazim M, Simpson A, Tan YC, Gunawan G, Robledo KP, Whitehead C, Tang B, Mclean A, Nalos M.
Crit Care Med. 2021 Sep 1;49(9):1493-1503. doi: 10.1097/CCM.0000000000005034. PMID: 33938711.

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Question évaluée

Évaluer l’effet d’une exposition préalable aux β-bloquants sur la mortalité et la dysfonction d’organe chez les patients en sepsis.

Type d’étude

Analyse rétrospective d’une cohorte observationnelle multicentrique internationale incluant des patients admis en réanimation d’Australie, de République tchèque et des USA.

Population étudiée

Patients consécutivement admis pour la première fois en réanimation pour sepsis entre janvier 2014 et décembre 2018.

Les patients ayant reçu plusieurs β-bloquants en même temps étaient exclus.

Méthode

Les auteurs ont fusionné les trois bases observationnelles en excluant les patients pour lesquelles l’information sur les traitements préalables n’étaient pas fournis.

Les critères de jugement principaux étaient les mortalités en réanimation et hospitalière.

Les critères de jugement secondaires étaient la fréquence des dysglycémies, de l’hyperlactatémie dans les premières 24 heures, d’un état de choc, de la ventilation mécanique, de l’épuration extra-rénale, le score SOFA à J1 et J3 et la durée de séjour en réanimation.

Une méthode statistique de régression logistique multivariée a été utilisée pour analyser l’association de l’exposition préalable au β-bloquant avec les critères principaux. Dans cette analyse multivariée, les variables inclues étaient l’âge, le poids, le genre, le type de réanimation, le score APACHE normalisé sur le Z-score (les bases utilisant des scores APACHE différents), l’utilisation d’un β-bloquant. Les auteurs ont ensuite réalisé des analyses de sensibilité dans différents sous-groupes (chaque cohorte et type de β-bloquant) testant les mêmes variables sur les deux critères principaux en régression logistique multivariée. Ils ont finalement réalisé un « matching » par score de propension toujours en utilisant les mêmes variables d’ajustement. Avec les cohortes non-matchées et matchées, des courbes de Kaplan Meier ont été tracées et les Hazard ratios calculés à partir de modèles multivariés de Cox.

Résultats essentiels

4086 patients ont été inclus dans l’étude dont 1556 (38,1%) ont eu une exposition préalable à un β-bloquant. La grande majorité d’entre eux était exposée à un β-bloquant cardiosélectif (74%). Ces patients avaient en moyenne 66 ans et étaient de sexe masculin dans 55% des cas. 12,3% des patients étaient en choc septique.

Dans le modèle non ajusté, l’exposition préalable aux β-bloquants n’était pas associée avec une variation de la mortalité en réanimation (OR 0,88 [0,73-1,05] ; p=0,145) ou de la mortalité hospitalière (OR 0,94 (0,80-1,09) ; p=0,42).

Néanmoins, après ajustement sur les variables précitées, l’exposition préalable aux β-bloquants devenait significativement associée à une baisse de la mortalité en réanimation (OR 0,8 (0,66-0,97) ; p=0,03) et hospitalière (OR 0,84 (0,71-0,99) ; p=0,03). En particulier, c’est l’exposition aux β-bloquants non cardiosélectifs qui étaient associés à une baisse de la mortalité.

Bien qu’aucune différence ne fût notée sur le SOFA à J1 d’hospitalisation en réanimation entre les deux groupes, l’analyse de ses composantes retrouvait des valeurs plus basses chez les patients exposés aux β-bloquants comparés aux patients non-exposés pour les composantes respiratoire, neurologique et rénale. Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes en termes de glycémie capillaire.

La survie n’était pas différente entre les deux groupes dans les populations non-matchées (14,0% versus 15,7%, p=0,191) mais devenait significativement meilleure dans la population exposée aux β-bloquants après « matching » sur le score de propension (14,0% versus 17,1%, p=0,018). Les modèles de Cox multivariés en population non-matchée et matchée sur le score de propension retrouvaient un risque instantané de décès lié à l’exposition aux β-bloquants abaissé par rapport à la population non-exposée, HR 0,84 (0,71-0,99) et 0,83 (0,69-0,99) respectivement.

Commentaires

Cette étude rétrospective internationale de grande envergure suggère que l’exposition préalable à un β-bloquant, et particulièrement les non cardiosélectifs, pourrait être associée à une diminution des mortalités en réanimation et hospitalière chez les patients présentant un sepsis dont 12,3% étaient en choc septique.

Ces résultats renforcent une littérature déjà conséquente qui converge sur un effet potentiellement bénéfique des β-bloquants pris au long cours avant admission en réanimation pour un sepsis ou un choc septique. Récemment, une étude américaine rétrospective incluant près de 7000 patients a également mis en évidence une réduction de la mortalité chez les patients en sepsis, préalablement exposés à un β-bloquant non-cardiosélectif (1).

Pour expliquer ces résultats, force est de reconnaitre que nous manquons encore de données physiopathologiques. L’hypothèse d’une meilleure cardio-protection par l’effet chronotrope négatif des β-bloquants, entraînant une diminution de la consommation en oxygène du myocarde est avancée par certains tout en reconnaissant que l’adaptation cardiovasculaire à la phase aiguë de l’état de choc nécessite forcément une activation initiale importante du système nerveux sympathique. En d’autres termes, le cœur à la phase aiguë d’un état de choc doit avoir la capacité d’augmenter son débit cardiaque. L’hypothèse métabolique d’une éventuelle meilleure régulation de la glycémie à la phase initiale du choc grâce à l’administration chronique de β-bloquant s’avère également non concluante étant donné que les glycémies sont comparables entre les groupes « exposition préalable au β-bloquant » et « absence d’exposition préalable au β-bloquant ».

Finalement, c’est une hypothèse immunologique qui est suggérée par les auteurs. En effet, la très grande majorité des cellules du système immunitaire sont porteuses des récepteurs β-adrénergiques. Les effets de la modulation de ces derniers restent encore totalement méconnus en particulier sur l’immunité adaptative. De façon globale, ces résultats, accumulés aux études précédentes tendent à conforter l’intérêt du concept de « décatécholaminisation » (2,3). Ce concept suggère que l’hyperactivation adrénergique à laquelle se rajoute des doses parfois majeures de catécholamines sont délétères (cardiotoxicité (4,5), immunosuppression (6,7)) Ainsi, l’utilisation d’agents vasopresseurs non-adrénergiques (vasopressine, levosimendan) avec peut-être un jour l’adjonction de β-bloquant pourrait limiter les effets délétères d’une exposition trop intense en durée et en dose aux catécholamines.

Points forts

Il s’agit d’une étude de grande envergure multicentrique incluant plus de 4000 patients.

Points faibles

Les auteurs rappellent les limites classiques d’une étude rétrospective. Néanmoins, dans ce travail, il faut surtout souligner que l’exposition préalable aux β-bloquants n’a pas été correctement caractérisée : la durée d’exposition et l’observance étaient inconnues. Il n’est pas fait mention de la gestion des données manquantes qui sont inhérentes à ce type d’étude.

Par ailleurs, les résultats non-ajustés ne retrouvaient pas d’association entre la mortalité et l’exposition aux β-bloquants ce qui reste toujours déconcertant. Les variables d’ajustement sont d’ailleurs peu nombreuses et les modalités de choix de ces dernières sont laconiques. Cela interroge sur la pertinence des modèles statistiques utilisés. Ainsi, la sévérité du patient est uniquement résumée par les scores APACHE qui ne sont pas identiques entre les bases de données. Pour assurer la comparaison entre les scores APACHE, les auteurs ont contourné cette difficulté en calculant le Z score, obtenu en considérant que les scores suivent une loi normale centrée réduite. Cela reste une approximation importante. Le résultat resterait-il identique si plus de variables confondantes avaient été inclues dans les modèles ? Concernant ces derniers, la très grande multiplicité des tests statistiques réalisés dans cette étude fait aussi prendre le risque d’une inflation du risque α qui ne semble pas pris en compte par une correction post-hoc.

Implications et conclusions

Cette étude de cohorte multicentrique rétrospective suggère une association entre l’exposition préalable aux β-bloquants (principalement les β-bloquants non-cardiosélectifs) et une diminution de la mortalité en réanimation et hospitalière, chez les patients hospitalisés pour sepsis.

La place des β-bloquants dans le sepsis reste un grand débat dans la littérature qui ne pourra être tranché que par des essais cliniques prospectifs bien conduits. En attendant, primum non nocere doit rester comme toujours notre ligne de conduite et la poursuite et ou l’introduction de ce type de molécule en particulier chez les patients instables n’est pas recommandée.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Simon Valentin et Antoine Kimmoun, Service de Médecine Intensive et Réanimation Brabois, CHRU de Nancy, France.

Simon Valentin déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.
Antoine Kimmoun déclare les liens suivants :

  • Rémunération pour des conférences, incluant des services techniques de secrétariat - Aguettant

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (s.valentin@chru-nancy.fr ; a.kimmoun@chru-nancy.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. Outpatient beta-blockers and survival from sepsis: Results from a national cohort of Medicare beneficiaries.
    Singer KE, Collins CE, Flahive JM, Wyman AS, Ayturk MD, Santry HP.
    Am J Surg. 2017 Oct;214(4):577–82.
  2. Decatecholaminisation during sepsis.
    Rudiger A, Singer M.
    Crit Care. 2016 Oct 4;20(1):309.
  3. Misdirected Sympathy: The Role of Sympatholysis in Sepsis and Septic Shock.
    Ferreira JA, Bissell BD.
    J Intensive Care Med. 2018 Feb;33(2):74–86.
  4. Inappropriate sympathetic activation at onset of septic shock: a spectral analysis approach.
    Annane D, Trabold F, Sharshar T, Jarrin I, Blanc AS, Raphael JC, et al.
    Am J Respir Crit Care Med. 1999 Aug;160(2):458–65.
  5. Correlation between cardiac oxidative stress and myocardial pathology due to acute and chronic norepinephrine administration in rats.
    Neri M, Cerretani D, Fiaschi AI, Laghi PF, Lazzerini PE, Maffione AB, et al.
    J Cell Mol Med. 2007 Feb;11(1):156–70.
  6. β1-Adrenergic Inhibition Improves Cardiac and Vascular Function in Experimental Septic Shock.
    Kimmoun A, Louis H, Al Kattani N, Delemazure J, Dessales N, Wei C, et al.
    Crit Care Med. 2015 Sep;43(9):e332-340.
  7. Norepinephrine Dysregulates the Immune Response and Compromises Host Defense during Sepsis.
    Stolk RF, van der Pasch E, Naumann F, Schouwstra J, Bressers S, van Herwaarden AE, et al.
    Am J Respir Crit Care Med. 2020 Sep 15;202(6):830–42.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ