Biomarqueurs cérébraux après arrêt cardiaque : les « neuro-troponines »

04/08/2022
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Article ICM
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Serum markers of brain injury can predict good neurological outcome after out-of-hospital cardiac arrest.
Moseby-Knappe, M., Mattsson-Carlgren, N., Stammet, P. et al.
Intensive Care Med 47, 984–994 (2021). https://doi.org/10.1007/s00134-021-06481-4

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Question évaluée

Intérêt des nouveaux biomarqueurs de lésions cérébrales dans l’évaluation du pronostic favorable après arrêt cardiaque (AC)

Type d’étude

Analyse rétrospective des données issues d’une étude multicentrique internationale européenne et australienne, randomisée et contrôlée, comparant deux niveaux de température corporelle (33°C vs 36°C; TTM1) à visée neuro-protectrice en post AC extra-hospitalier (2).

Population étudiée dans TTM
Critères d’inclusion
  • Patients de plus de 18 ans
  • Coma défini par un score de GCS<8 à l’admission
  • AC extra-hospitalier de cause cardiaque présumée
  • RACS depuis plus de 20 minutes
Critères d’exclusion
  • Intervalle entre RACS et inclusion >240 min
  • AC sans témoin avec asystolie comme rythme initial
  • AC de cause neurologique centrale
  • Hypothermie inférieur à 30°C à l’admission

Par ailleurs, exclusion de l’analyse biologique réalisée ici des patients décédés moins de 72 heures après l’AC.  

Méthode

Constitution d’une bio-banque par prélèvements de sérum à H24, H48 et H72 de l’AC, avec dosages de :

  • Neurone specific enolase (NSE) : biomarqueur de souffrance neuronale, seul biomarqueur préconisé dans les recommandations en vigueur pour l’évaluation du pronostic post AC
  • Neuro-filament light chain (NFL) : biomarqueur de lésions neuro-axonales
  • Tau protein : biomarqueur de lésions neuro-axonales, astrocytaires et oligodendrocytaires
  • Ubiquitine carboxyle-terminal hydroxylase L1 (UCH-L1) : biomarqueur de lésions du corps neuronal
  • Protein S100b (S100B) : biomarqueur de lésions astrocytaires
  • Glial fibrillary acidic protein (GFAP) : biomarqueur de lésions gliales

Les seuils faisant considérer le dosage comme normal étaient définis a priori, basés sur les résultats d’études antérieures : NSE<17ng/ml, S100B<0.105µg/l, NFL<55pg/ml, UCH-L1<327pg/ml, GFAP< 22pg/ml, tau<1.55pg/ml,

Pour chaque biomarqueur, une évaluation de la valeur pronostique d’un dosage normal à H24, H48 ou H72 et aux 3 temps était réalisée par calcul de la sensibilité, spécificité, valeur prédictive négative (VPN) et valeur prédictive positive (VPP).

Ces performances pronostiques étaient analysées d’une part dans la cohorte globale de patients vivants à J3 de l’AC, mais également dans la sous population de patients présentant un pronostic qui restait « indéterminé » après application de l’algorithme des recommandations de l’ERC/ESICM 2015 (3). Les autres outils utilisés dans l’étude étaient ceux utilisés dans les recommandations, à savoir l’abolition bilatérale des réflexes cornéens et photo-moteurs (RPM), la présence d’un état de mal myoclonique (myoclonies diffuses et continues durant plus de 30 minutes), les patterns électro-encéphalographiques EEG hautement malins et malins selon l’American Clinical Neurophysiology Society, des lésions post anoxiques à l’imagerie cérébrale et l’absence bilatérale de N20 lors de l’enregistrement des potentiels évoqués somesthésiques (PES).

Le critère de jugement principal était l’évolution neurologique selon l’échelle Cerebral Performance Category (CPC) à 6 mois, un score CPC 1 (handicap mineur) ou 2 (handicap modéré) étant considéré comme une évolution favorable, et un CPC3 (séquelles lourdes), 4 (état végétatif) ou 5 (décès) comme défavorable (4).

Résultats essentiels
  • 717 patients ayant bénéficié d’au moins un dosage de biomarqueur ont été inclus. Les patients étaient principalement des hommes (80.9%), âgés en médiane de 65 (56-73) ans ; le rythme initial était choquable dans 78% des cas, le low flow médian était de 25 (17-39) minutes, et 50% des patients présentaient une évolution favorable (CPC1-2) à 6 mois.
  • 645 patients étaient vivants à J3 de l’AC. Dans cette cohorte globale, un dosage normal de NFL à H24, H48 ou H72 prédisait correctement l’évolution favorable (VPN) dans 93.3 à 94.3% des cas, voire 95% en cas de dosages normaux à tous les temps. Un dosage normal de GFAP présentait également une VPN élevée de l’ordre de  94% alors que les VPN des protéines Tau (VPN=87%), UCH-L1 (VPN=83.4%), NSE (VPN=82.2%) et S100B (VPN=76%) étaient inférieurs.
  • 464 patients présentaient un coma persistant à J3 de l’AC. Parmi eux, 82 patients étaient d’emblée classés comme de « mauvais pronostic » selon l’algorithme des recommandations (3), et 382 patients présentaient un pronostic neurologique qui restait « indéterminé » après application de l’algorithme. Dans cette sous-population spécifique (n=382), les performances des biomarqueurs pour prédire l’évolution favorable ont également été évaluées. De la même façon que dans la cohorte globale, des dosages normaux de NFL et GFAP présentaient les meilleures performances (VPN à 91.5 et 91.1% respectivement). Les performances d’un dosage normal de protéines Tau (VPN= 82.6%), de NSE (VPN=78.8%), d’UCH-L1 (VPN= 76.7%) et de S100B (VPN =68.4%) étaient inférieures.
  • Corrélation avec les autres outils : 16 patients présentaient des indicateurs de mauvais pronostic (abolition de N20, un état de mal myoclonique ou un tracé EEG hautement malin) malgré des dosages normaux à H24, H48 et H72 d’au moins un des 6 biomarqueurs. Parmi eux, 11 patients étaient finalement CPC 3-4-5.
Commentaires

Les études qui concernent l’évaluation du pronostic neurologique en post AC se sont principalement attelées à la validation d’outils robustes qui permettent de prédire l’évolution défavorable (3). Une étude récente rapporte que l’utilisation de l’algorithme de neuro-pronostication des recommandations ERC/ESICM 2015 basée sur la présence de plusieurs critères de mauvais pronostic (parmi l’EEG, les PES, la NSE, l’état de mal myoclonique, l’abolition bilatérale du réflexe cornéen et du RPM, la présence de lésions à l’imagerie cérébrale) rend le pronostic « indéterminé » dans 68% des cas (5). De plus, environ 30% des patients qui évolueront finalement favorablement sont toujours comateux à plus de 48h de l’arrêt des sédations (6). Le développement d’outils permettant l’évaluation du pronostic favorable est donc un enjeu majeur, afin de ne pas mettre en place de limitations actives des thérapeutiques (LAT) chez des patients qui peuvent encore évoluer vers un bon niveau de récupération neurologique (7).

Dans cette analyse secondaire de l’étude TTM1(2), les auteurs rapportent que des dosages normaux de biomarqueurs de lésions neuronales et gliales à H24, H48 ou/et H72 de l’AC reflèteraient l’absence de lésions cérébrales sévères et permettraient donc de prédire une évolution favorable. Ces dosages pourraient permettre d’identifier précocement ces patients à fort potentiel d’amélioration, afin de limiter le risque de LAT. Les dosages de NFL et GFAP semblent être les plus prédictifs de l’évolution favorable dans la cohorte globale mais aussi dans la sous-population de patients au pronostic classé « indéterminé » selon les recommandations actuelles (3). De plus, les valeurs pronostiques de ces nouveaux biomarqueurs semblent être supérieure à celle de la NSE, pourtant actuellement seul biomarqueur recommandé. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le NFL, composant majeur du maintien de l’intégrité structurelle du neurone, est extrêmement sensible aux lésions neuronales secondaire à différent type d’agression cérébrale, la GFAP reflétant  pour sa part l’altération astrocytaire mais également l’activation microgliale (8). Ces résultats viennent corroborer les résultats préliminaires d’autres études sur l’intérêt de nouveaux biomarqueurs de lésions neuronales mais aussi gliales (9).

Malgré cela, les dosages étaient normaux et donc mis en défaut dans 11/382 cas (2,8%). Ces patients présentaient majoritairement des patterns EEG hautement malin ou une abolition N20 bilatérale, suggérant que certains patients puissent présenter des lésions post anoxiques électives de structures neuro-anatomiques « clés » (lésions bi-thalamiques par exemple) qui régissent la vigilance ou la conscience, sans atteinte diffuse anoxo-ischémique et donc sans anomalies quantitatives des dosages. A contrario, les dosages de NFL étaient supérieurs au seuil chez un tiers des patients finalement CPC 1-2. Par conséquent, ces biomarqueurs ne doivent probablement pas être utilisés pour décider d’une limitation, mais au contraire pour poursuivre les thérapeutiques de réanimation.

Points forts
  • Analyse secondaire d’un essai contrôlé, randomisé, multicentrique international
  • Large effectif
  • Originalité car l’étude porte sur l’évaluation du pronostic favorable et combine différents biomarqueurs cérébraux ;
  • Seuil de normalité des biomarqueurs défini a priori
  • Résultats des dosages non connus par le clinicien au moment de l’évaluation pronostique, limitant le risque de prophétie auto réalisée
  • Comparaison des biomarqueurs aux autres outils pronostics
Points faibles
  • Accessibilité des biomarqueurs en pratique courante
  • Choix des seuils faisant considérer les dosages normaux : en doublant la valeur seuil dans l’étude, la spécificité du test était meilleure au prix d’une diminution de la VPN et de la sensibilité.
  • Influence des autres causes d’agression cérébrales sur les dosages : encéphalopathie septique, traumatisme crânien, maladie neurologique dégénérative centrale
  • Sélection d’une population d’AC de bon pronostic (majoritairement des rythmes initiaux choquables) limitant la généralisation des résultats
  • Pas de cohorte de validation
Implications et conclusions

Des taux sériques bas des nouveaux biomarqueurs de lésions neuronales et gliales semblent prédire une évolution neurologique favorable des patients comateux en post AC, permettant ainsi de limiter le risque de prophétie auto réalisée. Les dosages de Neuro-filament light chain (NFL) et de Glial fibrillary acidic protein (GFAP) présentent les meilleures performances, l’accessibilité future à ces nouvelles techniques restant à évaluer.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Sarah Benghanem, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU Cochin, France.

L'auteure déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteure (Sarah.benghanem@aphp.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. Serum markers of brain injury can predict good neurological outcome after out-of-hospital cardiac arrest.
    Moseby-Knappe M et al.
    Intensive Care Medicine 2021 ; https://doi.org/10.1007/s00134-021-06481-4
  2. Targeted Temperature Management at 33°C versus 36°C after Cardiac Arrest.
    Nielsen N et al.
    NEJM 2013, DOI: 10.1056/NEJMoa1310519
  3. European Resuscitation Council and European Society of Intensive Care Medicine guidelines 2021: post-resuscitation care.
    Nolan PJ et al.
    ICM/Resuscitation 2021 ; https://doi.org/10.1007/s00134-021-06368-4
  4. Death after awakening from post-anoxic coma: the “Best CPC” project.
    Taccone FS et al.
    Critical Care 2019 ; https://doi.org/10.1186/s13054-019-2405-x
  5. Standardized EEG analysis to reduce the uncertainty of outcome prognostication after cardiac arrest.
    Bongiovanni F et al.
    Intensive Care Medicine 2020; https://doi.org/10.1007/s00134-019-05921-6
  6. Comparison of two sedation regimens during targeted temperature management after cardiac arrest.
    Paul M et al.
    Resuscitation 2018, https://doi.org/10.1016/j.resuscitation.2018.03.025
  7. Prediction of good neurological outcome in comatose survivors of cardiac arrest: a systematic review.
    Sandroni C et al.
    Intensive Care Medicine 2022, doi: 10.1007/s00134-022-06618-z.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI