Biomarqueurs sanguins pour la prédiction des troubles cognitifs et fonctionnels après la réanimation : est-ce déjà demain ?

28/04/2022
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Article AJRCCM
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Inflammation and Coagulation during Critical Illness and Long-Term Cognitive Impairment and Disability.
Brummel NE, Hughes CG, Thompson JL, Jackson JC, Pandharipande P, McNeil JB, Raman R, Orun OM, Ware LB, Bernard GR, Ely EW, Girard TD.
Am J Respir Crit Care Med. 2021 Mar 15;203(6):699-706.

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Question évaluée

Certains marqueurs de l'inflammation et de la coagulation sont-ils associés aux troubles cognitifs et au handicap à long terme chez les patients de réanimation ?

Type d’étude

Étude prospective multicentrique issue de 2 cohortes (BRAIN-ICU et MIND-ICU) et réalisée dans 5 hôpitaux américains entre 2007 et 2010.

Population étudiée

548 patients de plus de 18 ans traités en réanimation médicale ou chirurgicale pour insuffisance respiratoire aigue et/ou choc (datant de moins de 72h) : 30% étaient hospitalisés pour sepsis, 18% pour chirurgie, 17% pour insuffisance cardiaque et 16% pour insuffisance respiratoire. 53% des patients ont présenté un coma et 71% au moins un épisode de delirium pendant leur séjour en réanimation. 88% des patients ont été sous ventilation mécanique, avec une durée médiane de 2 jours (interquartile 1-6).

Méthode

Les marqueurs plasmatiques suivants ont été dosés à J1, J3 et J5 de l'inclusion : CRP (C-reactive protein), IFN-γ (interferon-gamma), IL-1β (interleukine 1-béta), IL-6, IL-8, IL-10, IL-12, MMP-9 (matrix metalloproteinase-9), TNF-α (tumor necrosis factor-alpha), sTNFR1 (soluble tumor necrosis factor receptor 1) et protéine C.

La fonction cognitive globale, les fonctions exécutives et les activités de la vie quotidienne à 3 et 12 mois après la sortie ont été évaluées à l'aide de la RBANS (Repeatable Battery for the Assessment of Neuropsychological Status), du test des tracés ou Trail Making Test Part B (Trails B), de l’échelle d'autonomie de Katz (ADL) et du questionnaire sur les activités fonctionnelles (QAF). Toutes les analyses ont été ajustées sur des facteurs confondant potentiels définis à priori (l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, le score de comorbidité de Charlson (26), le Short Informant Questionnaire on Cognitive Decline in the Elderly score (27), les doses quotidiennes moyennes de sédatifs et d’opiacés, ainsi que le score de risque d’infarctus cérébral de Framingham pour l’association avec les troubles cognitifs et le niveau de handicap à l’admission en réanimation pour l’association avec le handicap fonctionnel à long-terme).

Résultats essentiels

Après ajustement, aucun marqueur plasmatique n'était associé à la fonction cognitive à long terme. Seuls les taux moyens de CRP et MMP-9 à J1, J3 et J5 confondus étaient associés à un plus grand handicap dans les activités de la vie quotidienne à 3 et 12 mois. Cette association n’était d’ailleurs plus retrouvée si seuls les taux à J1 ou le pourcentage de changement par rapport à J1 étaient considérés.

Commentaires

Près des deux tiers des patients de réanimation présentent des troubles cognitifs ou une faiblesse musculaire à 12 mois, contribuant à une altération significative de la qualité de vie.1,2

Plusieurs études ont identifié des facteurs de risque cliniques associés à ces déficits persistants, mais peu ont évalué les mécanismes biologiques impliqués. Dans les études précliniques chez l’animal, les biomarqueurs de l’inflammation aigue sont associés à un déficit cognitif persistant3 et à une faiblesse musculaire.4 Chez les malades de réanimation, une inflammation systémique a été associée à une faiblesse musculaire pendant l’hospitalisation.5 Cependant, on sait encore peu de choses sur l'association entre cette réponse inflammatoire aiguë et les fonctions cognitives et déficits physiques à long terme.

Points forts
  • Cette étude se distingue par son échantillon de patients de grande taille avec une large représentation des pathologies de réanimation et par une mesure répétée des biomarqueurs au début de la maladie.
  • De plus, les biomarqueurs inflammatoires choisis donnent une vue plutôt complète des voies de l’inflammation impliquées dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) et le sepsis.
Points faibles
  • Si cette étude fournit des éléments solides excluant l'influence de l'inflammation aigue, observée dans les premiers jours, sur les troubles cognitifs ultérieurs, l’implication de l'activation du système de coagulation reste mal caractérisée. Notamment, aucun marqueur direct de l'activation de la coagulation n’a effectivement évalué. Au lieu de cela, ce sont les taux de protéine C, inhibiteur de la coagulation, qui ont été mesurés, ces taux circulants pouvant être diminués de manière non-spécifique dans les états pro-thrombotiques, en raison de leur consommation. Cependant, les taux de protéine C sont également diminués en cas d’insuffisance hépatocellulaire ou de début de carence en vitamine K, situations fréquemment rencontrées chez les patients de réanimation. Le dosage de marqueurs directs de l'activation de la coagulation, comme par exemple, les monomères de fibrine, les complexes thrombine-antithrombine, les fragments F1+2 de la prothrombine ou indirects comme les D-dimères aurait été plus spécifiques.
  • Les biomarqueurs de l’inflammation n'étaient que modérément élevés dans cette population par rapport à des études plus récentes effectuées chez des patients atteints de SDRA et de sepsis6. Il serait donc intéressant d’affiner davantage les critères d'éligibilité et d’inclure les patients susceptibles de présenter une réaction inflammatoire plus sévère.
  • Bien que plusieurs études aient documenté des taux élevés de marqueurs de l’inflammation à la sortie de réanimation, peu ont évalué ces biomarqueurs plus à distance. Dans une étude évaluant l'association entre les biomarqueurs de l’inflammation et la mobilité, la CRP élevée mesurée à 3 mois, mais pas à la sortie de réanimation, était associée à une diminution de la mobilité.7 Par conséquent, des études complémentaires sont nécessaires pour mieux évaluer l'histoire naturelle de l'inflammation pendant et après un séjour en réanimation et mieux comprendre le profil inflammatoire biologique des survivants.
  • Les biomarqueurs de l’inflammation périphérique pourraient ne pas refléter l'état inflammatoire au niveau du cerveau. Idéalement, l’étude de ces biomarqueurs dans le liquide céphalo-rachidien pourrait améliorer la compréhension de la physiopathologie des troubles cognitifs post-réanimation. Cependant, de telles recherches sont difficiles à mener en pratique clinique courante. D’autres marqueurs sériques capables de refléter une dysfonction de la barrière hémato-encéphalique (S100B), une souffrance gliale (GFAP ou glial fibrillary acidic protein) ou neuronale (NSE ou neuron-specific enolase), pourraient également fournir des informations supplémentaires sur la physiopathologie de ces troubles cognitifs à long terme.8
Implications et conclusions

De nombreux progrès ont été accomplis dans l’identification des facteurs de risque cliniques associés aux déficits cognitifs et physiques post-réanimation, mais les mécanismes physiopathologiques impliqués restent peu connus. Cette étude suggère que la réponse inflammatoire initiale, mesurée dans les premiers jours suivant l’admission en réanimation n’est pas associée aux séquelles neurologiques de la réanimation observées chez les survivants. De futures études observationnelles et interventionnelles incluant des populations de patients de réanimation plus finement caractérisées selon leur profil épidémiologique, le type de pathologie en cause (SDRA, sepsis ou patients cérébrolésé) et les thérapies utilisées (ventilation artificielle, ECMO …) et évaluant des biomarqueurs de manière longitudinale sont indispensables pour mieux comprendre les rôles potentiels respectifs de l’inflammation, des troubles de l’hémostase, et de l’atteinte de la barrière hémato-encéphalique dans la survenue des déficits cognitifs et des troubles neuromusculaires post-réanimation.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Dorothée FAILLE, Université Paris Cité, INSERM U1148, Hématologie biologique, CHU Bichat-Claude Bernard, Paris, France et Romain SONNEVILLE, Université Paris Cité, INSERM U1148, Médecine intensive réanimation, CHU Bichat-Claude Bernard, Paris.

Dorothée FAILLE déclare les liens suivants :

  • Rémunération pour la préparation de manuscrit : ELSEVIER - EMC
  • Frais de déplacement / d'hébergement / de réunion sans rapport avec les activités : VIATRIS

Romain SONNEVILLE déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (dorothee.faille@aphp.fr ; romain.sonneville@aphp.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. Natural History of Cognitive Impairment in Critical Illness Survivors. A Systematic Review.
    Honarmand K, Lalli RS, Priestap F, Chen JL, McIntyre CW, Owen AM, Slessarev M.
    Am J Respir Crit Care Med. 2020;202(2):193-201. doi:10.1164/rccm.201904-0816CI
  2. Physical complications in acute lung injury survivors: a two-year longitudinal prospective study.
    Fan E, Dowdy DW, Colantuoni E, Mendez-Tellez PA, Sevransky JE, Shanholtz C, Himmelfarb CRD, Desai SV, Ciesla N, Herridge MS, Pronovost PJ, Needham DM.
    Crit Care Med. 2014;42(4):849-859. doi:10.1097/CCM.0000000000000040
  3. Systemic inflammation and delirium: important co-factors in the progression of dementia.
    Cunningham C.
    Biochem Soc Trans. 2011;39(4):945-953. doi:10.1042/BST0390945
  4. Systemic inflammatory response syndrome increases immobility-induced neuromuscular weakness.
    Fink H, Helming M, Unterbuchner C, Lenz A, Neff F, Martyn JAJ, Blobner M.
    Crit Care Med. 2008;36(3):910-916. doi:10.1097/CCM.0B013E3181659669
  5. Increased Early Systemic Inflammation in ICU-Acquired Weakness; A Prospective Observational Cohort Study.
    Witteveen E, Wieske L, van der Poll T, van der Schaaf M, van Schaik IN, Schultz MJ, Verhamme C, Horn J, Molecular Diagnosis and Risk Stratification of Sepsis (MARS) Consortium.
    Crit Care Med. 2017;45(6):972-979. doi:10.1097/CCM.0000000000002408
  6. Cytokine elevation in severe and critical COVID-19: a rapid systematic review, meta-analysis, and comparison with other inflammatory syndromes.
    Leisman DE, Ronner L, Pinotti R, Taylor MD, Sinha P, Calfee CS, Hirayama AV, Mastroiani F, Turtle CJ, Harhay MO, Legrand M, Deutschman CS.
    Lancet Respir Med. 2020;8(12):1233-1244. doi:10.1016/S2213-2600(20)30404-5
  7. Systemic inflammation after critical illness: relationship with physical recovery and exploration of potential mechanisms.
    Griffith DM, Lewis S, Rossi AG, Rennie J, Salisbury L, Merriweather JL, Templeton K, Walsh TS, RECOVER Investigators.
    Thorax. 2016;71(9):820-829. doi:10.1136/thoraxjnl-2015-208114
  8. Blood Biomarkers for Detection of Brain Injury in COVID-19 Patients.
    DeKosky ST, Kochanek PM, Valadka AB, Clark RSB, Chou SHY, Au AK, Horvat C, Jha RM, Mannix R, Wisniewski SR, Wintermark M, Rowell SE, Welch RD, Lewis L, House S, Tanzi RE, Smith DR, Vittor AY, Denslow ND, Davis MD, Glushakova OY, Hayes RL.
    J Neurotrauma. 2021;38(1):1-43. doi:10.1089/neu.2020.7332
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ