Cancer en réanimation : peu importe le fond, pourvu que la forme soit bonne

12/05/2021
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Article ICM
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Trends in clinical profiles, organ support use and outcomes of patients with cancer requiring unplanned ICU admission: a multicenter cohort study.
Fernando G. Zampieri, Thiago G. Romano, Jorge I. F. Salluh, Leandro U. Taniguchi, Pedro V. Mendes, Antonio P. Nassar Jr, Roberto Costa, William N. Viana, Marcelo O. Maia, Mariza F. A. Lima, Sylas B. Cappi, Alexandre G. R. Carvalho, Fernando V. C. De Marco, Marcelo S. Santino, Eric Perecmanis, Fabio G. Miranda, Grazielle V. Ramos, Aline R. Silva, Paulo M. Hoff, Fernando A. Bozza, Marcio Soares
Intensive Care Med 2021; 47:170–179

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Question évaluée

Evaluer l’évolution et les déterminants pronostiques des patients d’onco-hématologie admis en réanimation au cours des dernières années.

Type d’étude

Etude de cohorte rétrospective multicentrique.

Population étudiée

Patients de plus de 16 ans diagnostiqués d’un cancer avant une première admission non programmée en réanimation (complication médicale aiguë ou soins post-opératoires après chirurgie urgente), dans 92 réanimations et unités de soins intensifs médico-chirurgicales de 34 hôpitaux au Brésil, sur une période de 9 ans (2011-2019).

Méthode

Etude observationnelle analytique rétrospective sur données prospectives. Le critère de jugement principal était la mortalité hospitalière. Les facteurs associés à la mortalité hospitalière étaient investigués en utilisant un modèle bayesien hiérarchique.

Résultats essentiels
  • 32096 patients d’onco-hématologie ont été étudiés représentant 8,7% de l’ensemble des admissions. Les patients avec un cancer représentaient 11.8% des admissions globales avec une augmentation du taux d’occupation relative au cours de l’étude, pour atteindre près de 30% des lits de réanimation.
  • Les principales caractéristiques à l’admission étaient les suivantes :
    • 65,4% des patients avec tumeur solide au stade loco-régional, 24,7% avec tumeur solide au stade métastatique et 9,9% avec une hémopathie.
    • Les quatre principaux sites primitifs néoplasiques étaient le sein (14,4%), la prostate (14%), le colon / rectum (11,2%) et le poumon (10,9%).
  • Les principales caractéristiques du séjour étaient les suivantes :
    • Les trois causes d’admission les plus fréquentes étaient le sepsis (31%), une cause cardiovasculaire (19%) ou neurologique (10,7%).
    • Il était observé au cours du temps une diminution de la mortalité ajustée en réanimation (11% en 2018-2019 vs. 18,8% en 2011-2012) et hospitalière (17,7% en 2018-2019 vs. 33% en 2011-2012). L’accumulation des défaillances était comme toujours très préjudiciable. Les progrès les plus significatifs étaient observés chez les patients ne nécessitant pas de suppléance d’organe et chez les patients monodéfaillants ventilés mécaniquement. En revanche, les patients avec un cancer du poumon ou au stade métastatique ou avec un PS 3-4 conservaient un pronostic globalement sombre au cours du temps.
Commentaires

Cette étude montre une amélioration du pronostic chez les patients d’oncohématologie à gravité inchangée à l’admission entre 2011 et 2019. Ces résultats sont en accord avec toutes les études observationnelles dans le domaine, récemment recensées dans une méta-analyse (1).

Si la taille de la cohorte permet une approche statistique robuste, elle possède ses limites intrinsèques en termes de résolution des données cliniques collectées. De fait, les habituels critères de classification oncologique sont limités, et limités à l’extension métastatique des tumeurs solides. Les délais entre le diagnostic et l’admission en réanimation ne sont pas rapportés, ni le statut de la maladie (au diagnostic (ou en première ligne de traitement) / rémission complète ou partielle / progression) au moment de l’admission en réanimation, pourtant un élément central dans la discussion collégiale du projet thérapeutique. L’absence de chimiothérapie récente chez les patients de la première moitié de l’étude (2011 - 2016) est extrêmement surprenante, et suggère un défaut de collection de cette donnée.

Le critère commun d’entrée dans l’étude est d’être porteur d’un cancer, aussi bien pour des complications spécifiques directes ou indirectes, que pour des complications génériques sans relation avec la maladie néoplasique sous-jacente. La fréquence des néoplasies mammaires et prostatiques dans cette cohorte de réanimation est certainement le reflet de leur fréquence dans la population générale, sans forcément de lien direct entre la complication aiguë et la maladie sous-jacente. En revanche, les admissions des patients avec cancer du poumon sont fréquemment en rapport avec des complications respiratoires aiguës. Les patients ayant des cancers inauguraux diagnostiqués en réanimation n’ont pas été inclus, alors qu’ils représentent une proportion significative de 6.7% un travail français récent (2).

Si l’ajustement reste grossier sur les caractéristiques de la maladie sous-jacente, la puissance statistique de l’étude permet d’appréhender solidement l’impact du Performance Status antérieur sur le pronostic à court terme. L’amélioration du pronostic oncologique observée dans des populations sélectionnées avec statut fonctionnel préservé est souvent mise en avant pour justifier une prise en charge invasive en réanimation. L’altération fonctionnelle profonde préalable à la complication aiguë doit certainement venir tempérer cet optimisme dans l’évaluation du bénéfice à long terme de la réanimation.

Points forts
  • Très large cohorte multicentrique.
  • Recueil systématique du statut fonctionnel avant la survenue de la complication aiguë.
Points faibles
  • Analyse rétrospective de données précédemment collectées, et à ce titre l’information délivrée est dépendante de l’exhaustivité et de la qualité des informations disponibles dans la base de données.
  • Cohorte hétérogène comprenant à la fois des patients d’hématologie et d’oncologie alors que ces  sous-groupes de patients ont des modalités d’admission et un pronostic différents (3).
  • Pas d’informations sur le nombre de patients ayant fait l’objet de limitations et arrêt des thérapeutiques actives, en interaction très probable avec le statut fonctionnel et le statut oncologique.
  • Pas d’explications formelles sur la diminution de la mortalité au cours du temps avec les données disponibles.
  • Pas d’évaluation du pronostic à long terme après la sortie de l’hôpital, ce qui constitue une limite majeure pour apprécier l’impact de la réanimation dans le parcours de soin de ces patients.
Implications et conclusions

Cette grande étude multicentrique confirme l’amélioration globale du pronostic des patients d’oncohématologie en réanimation. Mais la principale information pratique à retirer de ce travail est le poids pronostique majeur du Performance Status. Et finalement, pouvoir s’appuyer au quotidien sur ce critère clinique simple et pragmatique, c’est déjà beaucoup.    

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Clara Vigneron et le Pr Frédéric Pène, Médecine Intensive Réanimation, Hôpital Cochin, AP-HP. Centre & Université de Paris - Paris, France.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (clara.vigneron@aphp.fr ; frederic.pene@aphp.fr)à la CERC.

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Références 

  1. Darmon M, Bourmaud A, Georges Q, et al.: Changes in critically ill cancer patients’ short-term outcome over the last decades: results of systematic review with meta-analysis on individual data. Intensive Care Medicine 2019; 45:977–987
  2. on behalf of the GrrrOH: Groupe de recherche respiratoire en réanimation en Onco-Hématologie (Group for respiratory research in intensive care in Onco-Hematology, http://www.grrroh.com/), Vincent F, Soares M, et al.: In-hospital and day-120 survival of critically ill solid cancer patients after discharge of the intensive care units: results of a retrospective multicenter study—A Groupe de recherche respiratoire en réanimation en Onco–Hématologie (Grrr-OH) study. Annals of Intensive Care 2018; 8
  3. Ostermann M, Ferrando-Vivas P, Gore C, et al.: Characteristics and Outcome of Cancer Patients Admitted to the ICU in England, Wales, and Northern Ireland and National Trends Between 1997 and 2013. Critical Care Medicine 2017; 45:1668–1676
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON