Combien coûte l’hospitalisation en réanimation après 80 ans ?

08/02/2018
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Texte

Cost analysis of the very elderly admitted to intensive care units
Chin-Yee N, D’Egidio G, Thavorn K, Heyland D, Kyeremanteng K
Critical Care 2017 :21 ;109

Texte

Question évaluée

Quel est le coût d’une hospitalisation en réanimation d’un patient de plus de 80 ans ?

Type d’étude

Étude prospective observationnelle multicentrique canadienne.

Population étudiée

Patients âgés de plus de 80 ans hospitalisés en réanimation pendant au moins 24 heures en réanimation.

Méthode

La cohorte d’étude a été précédemment rapportée [1], [2] et incluait les patients âgés de 80 ans et plus admis dans 22 services de réanimation au Canada entre septembre 2009 et janvier 2013. Cette cohorte était dénommée « cohorte hospitalière ». Au sein de celle-ci, les patients de nationalité canadienne ayant donné leur consentement pour un suivi à 12 mois étaient inclus dans la « cohorte longitudinale ».

Le critère de jugement principal était le coût total de l’hospitalisation en réanimation. Ce coût total était obtenu en multipliant le nombre de jours d’hospitalisation en réanimation par un « forfait » moyen calculé sur les années 2012 et 2013. Dans ce coût moyen étaient compris (sans être individualisés) les coûts directs et indirects comme le coût des médicaments, des explorations biologiques.

L’association à ce coût total des facteurs démographiques (âge, sexe), du diagnostic principal, du score de comorbidités de Charlson, des scores de gravité, d’un score de fragilité (l’échelle de fragilité clinique de Rockwood) et de l’institutionnalisation préalable était recherchée par régression multivariée. Le modèle statistique utilisé était un modèle linéaire généralisé multivarié avec transformation logarithmique de la variable coût permettant de prendre en compte la non-normalité de la distribution des coûts (il s’agit du modèle « recommandé » dans ce type d’analyse).

Résultats essentiels

1671 patients furent inclus dans l’analyse, d’âge moyen 85 ans, présentant un score APACHE II à l’admission à 22 (SD= 8) et un SOFA à 5 (SD=3). La durée médiane de séjour en réanimation était de 4 (IQR 2-8) jours et d’hospitalisation de 17 (IQR 8-33) jours. La mortalité intrahospitalière était de 35%, et de 41% à 12 mois (sur les 610 patients suivis).

Le coût moyen de l’hospitalisation en réanimation pour tous les patients étaient de 31 679 $ canadiens (SD=65 867 $) soit 21 287 €. Ce coût était plus élevé chez les patients décédés à l’hôpital par rapport aux patients sortis vivants de l’hôpital (38 820 versus 27 833 $).

En régression multivariée, l’âge plus élevé, le score de Charlson élevé, l’institutionnalisation préalable à l’admission et les soins de confort (versus invasifs) étaient associés à un coût total plus faible alors que le score APACHE II et une défaillance respiratoire responsable de l’admission (versus défaillance hémodynamique) étaient associés à un coût total plus élevé.

Commentaires

Du point de vue sociétal (et non du point de vue individuel), il semble important et nécessaire de pouvoir fournir une estimation chiffrée de prises en charges diagnostiques et thérapeutiques. Ceci est d’autant plus vrai que la prise en charge en réanimation fait partie des prises en charges les plus coûteuses dans le domaine médical.

Selon ce travail, il semble que dans une population de patients âgés, le coût d’une hospitalisation en réanimation soit d’environ 30 000 $, plus élevé chez les patients décédés à l’hôpital. De plus, l’institutionnalisation précédant l’hospitalisation index était indépendamment associée à un coût total plus faible chez les patients sortis vivants de l’hôpital.

Ce travail met en valeur la nécessité d’une interprétation prudente des données médico-économiques pour deux raisons.

Premièrement, dans la littérature médico-économique, le coût d’une prise en charge (hospitalisation, traitement) est généralement très fortement (et positivement) associé à la durée d’hospitalisation et à la survie. En d’autres termes, les coûts relatifs à la procédure évaluée sont plus élevés chez les patients qui sont hospitalisés plus longtemps et de surcroît chez ceux qui survivent. Or, dans ce travail, le résultat inverse est observé. Ceci s’explique très probablement d’une part par une durée d’hospitalisation différente selon le statut vital à la sortie et d’autre part par l’absence de prise en compte des frais liés à l’hospitalisation consécutive à la sortie de réanimation, ce qui constitue une limite importante à l’interprétation des résultats. En analyse médico-économique, compte tenu de cette relation très forte (et logique) des coûts avec la durée de prise en charge, il est indispensable en théorie de collecter les données économiques sur une même durée pour l’ensemble des patients inclus dans l’analyse car la censure dans ce type d’étude est très complexe à modéliser.

Deuxièmement, les résultats d’une étude médico-économique ne peuvent s’interpréter qu’en sachant précisément quels coûts ont été inclus dans le calcul et la modélisation. Ici, un coût moyenné par jour d’hospitalisation a été appliqué à tous les patients et multiplié par la durée de séjour en réanimation. Ni les coûts inhérents à l’hospitalisation en réanimation (procédures, examens complémentaires) ni les coûts relatifs à l’hospitalisation conventionnelle et post-sortie d’hôpital n’ont été pris en compte, limitant la portée de tels résultats pour les décisionnaires en économie de santé. Ceci est d’autant plus surprenant que le système canadien est un modèle économique « additif », additionnant les coûts des différentes procédures et consultations contrairement au modèle français, « forfaitaire » d’un point de vue sociétal.

Points forts
  • Étude prospective multicentrique.
  • Nombre important de patients.
  • Très peu de données médico-économiques dans la littérature dans cette population d’intérêt.
Points faibles
  • Pas de descriptif détaillé des coûts.
  • Le suivi à un an, sans prise en compte des frais de santé après l’hospitalisation index, présente un intérêt limité, si ce n’est fournir l’information importante de la mortalité à long-terme dans ce sous-groupe de patients âgés.
  • Pas de prise en compte des frais liés à l’hospitalisation après l’hospitalisation en réanimation.
Implications et conclusions

Ce travail fournit des résultats intéressants mais difficilement interprétables et généralisables au système français compte-tenu des différences majeures entre les deux systèmes médico-économiques. Par ailleurs, il semble intéressant de prendre en compte les coûts totaux relatifs à la prise en charge de l’événement aigu, incluant l’hospitalisation en réanimation mais aussi l’ensemble des hospitalisations consécutives (service de médecine/chirurgie, rééducation et éventuellement soins de longue durée).

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr Guillaume GERI, Service de Réanimation Polyvalente, Hôpital Ambroise Paré.

L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt. Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (guillaume.geri@aphp.fr) et/ou à la CERC

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Liens utiles

  1. “Predicting Performance Status 1 Year After Critical Illness in Patients 80 Years or Older: Development of a Multivariable Clinical Prediction Model.”
    K. Heyland, H. T. Stelfox, A. Garland, D. Cook, P. Dodek, J. Kutsogiannis, X. Jiang, A. F. Turgeon, A. G. Day, Canadian Critical Care Trials Group and the Canadian Researchers at the End of Life Network
    Critical Care Medicine, vol. 44, no. 9, pp. 1718–1726, Sep. 2016.
  2. “Recovery after critical illness in patients aged 80 years or older: a multi-center prospective observational cohort study.”
    D. K. Heyland, A. Garland, S. M. Bagshaw, D. Cook, K. Rockwood, H. T. Stelfox, P. Dodek, R. A. Fowler, A. F. Turgeon, K. Burns, J. Muscedere, J. Kutsogiannis, M. Albert, S. Mehta, X. Jiang, and A. G. Day,
    Intensive Care Med, vol. 41, no. 11, pp. 1911–1920, Nov. 2015.
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CERC

G. MULLER (Secrétaire)
N. AISSAOUI
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S. HRAIECH
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JB. LASCARROU
P. MICHEL
G. PITON
A. YOUSSOUFA