Confort en réanimation : vaut-il mieux le « sur mesure » ou le « prêt-à-porter » ?

03/05/2018
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reactu-confort en reanimation
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A tailored multicomponent program to reduce discomfort in critically ill patients: a cluster-randomized controlled trial
P. Kalfon, K. Baumstarck, P. Estagnasie et al, on behalf of the IPREA Study group 
Intensive Care Medicine, (2017) 43:1829–1840

Texte

Question évaluée

Quelle est l’efficacité d’une stratégie « sur mesure » d’amélioration du confort des patients de réanimation, basée sur la communication systématique au service de l’évaluation réalisée auprès de ses patients ?

Type d’étude

Etude multicentrique, randomisée en cluster (niveau de randomisation : services de réanimation), contrôlée, en deux groupes parallèles, et en simple aveugle (patient).

Population étudiée

Adultes de réanimation, médicale et/ou chirurgicale. Seuls les patients ayant une durée de séjour de 3 jours ou plus, vivants à leur sortie de réanimation et sans trouble des fonctions supérieures pouvaient être inclus. Ne pouvaient être inclus les patients transférés dans une autre réanimation sous ventilation mécanique, ceux qui ne comprenaient pas le français, et les patients protégés.

Méthode

1/ Avant le début de l’étude, un groupe d’experts médicaux et paramédicaux ont édicté des recommandations pour prévenir les principaux inconforts.

2/ L’évaluation reposait sur le questionnaire Inconfort des Patients de REAnimation – IPREA rempli par chaque patient à la sortie de réanimation (critère de jugement principal). Ce questionnaire élaboré et validé par ce même groupe de recherche [1], quantifie l’importance de l’inconfort vécu en réanimation. Il évalue l’inconfort à 16 nuisances : le bruit, l’excès de lumière, l’inconfort du lit, le manque de sommeil, la soif, la faim, le froid, le chaud, les douleurs, l’inconfort lié aux tuyaux, le manque d’intimité, l’anxiété, l’isolement, la restriction des horaires de visite, l’absence de téléphone, et le manque d’information par l’équipe. Chacun de ces inconforts était coté  sur une échelle de 0 à 10.

3/ La stratégie à l’étude comporte un canevas d’interventions « sur mesure », menées dans chaque centre sous la houlette d’un duo médico-infirmier et appliqué par l’ensemble des soignants. Les grandes lignes en étaient : l’identification des inconforts prédominants, des barrières à leur amélioration, la constitution de groupes de travail multidisciplinaires, et l’adaptation locale des propositions édictées. Le résultat de l’évaluation des inconforts (i.e. du questionnaire IPREA) était communiqué à l’équipe dès la sortie du patient, avec des messages ciblant les trois inconforts principaux du patient. Tous les mois, un classement des inconforts ressentis, et un classement par rapport aux autres réanimations étaient communiqués au duo médico-infirmier ; dans chaque centre, des actions visant à diminuer les inconforts étaient élaborés au cours de réunions d’équipes mensuelles menées par les duos médico-infirmier, de façon indépendante du coordonnateur de l’étude.

Le design de l’étude, en 5 phases, est très clairement schématisé dans l’article (Figure 1).

En bref, les 34 réanimations ont été randomisées en deux bras. Une évaluation de l’inconfort basal est réalisée au cours d’une période d’un mois (P1). Puis la stratégie à l’étude était appliquée dans 17 réanimations (bras 1), alors que les 17 autres poursuivaient une prise en charge conventionnelle (bras 2), pendant 6 mois (P2, 5 mois et P3, 1 mois). Pendant P3 le questionnaire IPREA était administré à l’ensemble des patients quel que soit le bras de randomisation de l’unité. Puis, les stratégies étaient interverties après permutation des séquences, durant deux phases P4 de 5 mois et P5 de 1 mois. Durant P5, tous les patients inclus répondaient à IPREA.

Le critère de jugement principal était l’inconfort évalué par un score dérivé d’IPREA pendant P3 ; les critères de jugement secondaires étaient les scores d’inconfort pour chacune des 16 nuisances. Un ajustement était prévu sur différentes variables fixées a priori. La rémanence de l’effet de l’intervention était évaluée par la comparaison des scores obtenus entre P3 et P5, dans le bras 1; la stabilité des niveaux d’inconforts au cours de la stratégie conventionnelle était évaluée par la comparaison des scores obtenus entre P1 et P3, dans le bras 2.

Il fallait inclure 350 patients dans chaque bras pour mettre en évidence une diminution de l’inconfort de 25% grâce à la stratégie « sur mesure », avec un risque α de première espèce de 5% et une puissance de 80%, et un score d’inconfort moyen du groupe conventionnel de 22 (±14) (issu de [1]).

Résultats essentiels

Au cours des différentes phases de l’étude, 5219 patients ont été admis dans les réanimations participantes, et 2130 (41%) ont été inclus (dont 634 dans P1 et 758 dans P3). Les patients de la phase P3 étaient âgés de 63 (bras conventionnel) vs 65 ans (bras « sur mesure ») et avec un IGSII moyen de 37,7. Les patients chirurgicaux et polytraumatisés représentaient 55% des patients inclus dans P3.

La réduction observée de 7 points du score d’inconfort global en faveur de la stratégie « sur mesure » était significative (IC95% -9.89 à -4.11 ; p<0.001). Cette différence persistait après ajustement. La diminution était aussi significative pour 15 nuisances sur 16 lors de l’analyse brute, et 12 sur 16 après ajustement. La douleur était la principale nuisance non modifiée par l’intervention. Il est intéressant de noter que les 5 nuisances les plus sévères étaient la privation de sommeil, l’inconfort lié aux tuyaux, le bruit, la soif et l’anxiété.

L’effet de l’intervention persistait au-delà de la période expérimentale, avec des scores d’inconfort stables entre P3 et P5 ; les niveaux d’inconforts étaient stables au cours de la prise en charge conventionnelle (entre P1 et P3).

Commentaires

Cette étude de grande ampleur démontre l’efficacité d’une stratégie « sur mesure » d’évaluation des inconforts des patients de réanimation.

Le questionnaire IPREA s’intéresse aux différentes nuisances subies par les patients de réanimation. La plupart dépendent de l’environnement (bruit, manque d’intimité, restriction des visites…), et ce travail confirme qu’elles sont accessibles à des mesures correctrices, lorsque l’équipe y est sensibilisée. Parmi les nuisances « endogènes » la seule qui résistait à cette stratégie « sur mesure » était la douleur, alors que la faim, la soif, les sensations de chaud et de froid étaient correctement prises en charge. L’explication est peut-être la réticence de certains à l’escalade de traitements antalgiques, alors que des nuisances pour lesquelles les paramédicaux ont accès librement au traitement sont plus facilement gérées. De plus, il aurait été intéressant de savoir si certains centres avaient un protocole de prise en charge de la douleur, laissant une autonomie de gestion aux infirmièr(e)s.

L’intérêt de cette stratégie réside dans la personnalisation de la prise en charge à tous les niveaux d’une unité de réanimation, en impliquant fortement les soignants.

Points forts
  • La méthodologie, bien que complexe dans son design, est particulièrement solide et convaincante.
  • L’implémentation d’une stratégie « sur mesure » est un excellent moyen de mobiliser l’ensemble des équipes autour de la thématique du mieux-vivre en réanimation.
  • De plus, lorsque cette stratégie est appliquée pendant 6 mois, les habitudes qui y sont liées persistent pendant les 6 mois suivants.
  • Les critères de jugement utilisés ici sont des critères « importants pour le patient » [2]; bien que leur utilisation en réanimation soit promue de longue date [3], ils représentent encore une faible part des critères de jugements des essais randomisés dans notre discipline [4].
Points faibles
  • Les recommandations édictées par le groupe de travail, ainsi que les mesures appliquées dans les différents centres ne sont pas détaillées ; étaient elles si différentes d’un service à l’autre ? Ou bien l’implémentation d’un canevas « clé en main », sans passer par les phases d’élaboration locale de ces recommandations pourrait être aussi efficace ?
  • L’utilisation du questionnaire IPREA nécessite que le patient puisse y répondre. Il n’y avait que 5% des patients screenés qui n’ont pu être inclus en raison d’une altération de la conscience. Ce faible taux s’explique certainement par la proportion importante de patients chirurgicaux. Un tel questionnaire ne serait peut-être pas applicable de façon aussi extensive à d’autres populations de réanimation plus générales, à l’incidence du delirium plus importante.
Implications et conclusions

Ce travail de grande qualité montre qu’il est encore possible de réduire les inconforts de nos patients. Cette réduction ne se conçoit que si, dans chaque service, une analyse préalable est réalisée, et que l’ensemble des équipes se mobilise autour de personnes référentes engagées. Par ailleurs, cette étude illustre combien la collaboration entre médecins et paramédicaux est, là encore, indispensable dans notre profession.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr. Jonathan MESSIKA.

J. Messika déclare avoir bénéficié de remboursements de frais de congrès par la société Fisher&Paykel.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’un des auteurs (jonathan.messika@aphp.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Development and validation of a questionnaire for quantitative assessment of perceived discomforts in critically ill patients. Kalfon P, Mimoz O, Auquier P, Loundou A, Gauzit R, Lepape A, et al. Intensive Care Med. 2010;36:1751–8.
  2. Let the patient revolution begin. Richards T, Montori VM, Godlee F, Lapsley P, Paul D. BMJ. 2013;346:f2614–f2614.
  3. 2002 Brussels Roundtable Participants. Surviving intensive care: a report from the 2002 Brussels Roundtable. Angus DC, Carlet J. Intensive Care Med. 2003;29:368–77.
  4. Patient-important outcomes in randomized controlled trials in critically ill patients: a systematic review. Gaudry S, Messika J, Ricard J-D, Guillo S, Pasquet B, Dubief E, et al. Ann Intensive Care [Internet]. 2017 [cited 2017 Mar 8];7. Available from: http://annalsofintensivecare.springeropen.com/articles/10.1186/s13613-017-0243-z
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