Contrôle ciblé thermique à 33°C après arrêt cardiaque : 3-1 à la 75ème minute !

10/11/2021
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Article NEJM
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Hypothermia versus Normothermia after Out-of-Hospital Cardiac Arrest
Josef Dankiewicz, Niklas Nielsen, et Al., TTM2 Trial Investigators
N Engl J Med, 2021 Jun 17;384(24):2283-2294, doi: 10.1056/NEJMoa2100591.

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Question évaluée

La réalisation d’un contrôle ciblé de la température à 33°C après arrêt cardiorespiratoire (ACR) extrahospitalier améliore-t-elle la survie toute cause confondue à 6 mois comparativement à une stratégie d’éviction de la fièvre (« avoiding fever ») ?

Type d’étude

Randomisée multicentrique internationale avec stratification sur le centre et la possible co-inclusion dans l’étude TAME (portant sur l’hypercapnie modérée en post-ACR NCT03114033).

Population étudiée

Patient inconscient et ne répondant pas à la commande verbale (composante motrice du score FOUR<4 correspondant à : aucune réponse motrice à la commande verbale) et présentant une reprise activité cardiaque spontanée (RACS) soutenue pendant plus de 20 minutes, avec une cause suspectée cardiaque à l’ACR (sans nécessité d’exploration invasive avant la randomisation),

Les principaux critères d’exclusion étaient le délai entre l’ACR et le screening supérieur à 180 minutes, et l’asystolie à la prise en charge sans témoin de l’ACR.

Méthode

Les patients étaient randomisés en 2 groupes :

  • Groupe hypothermie : Contrôle thermique ciblé  à 33°C pendant 28 heures après la randomisation avec réchauffement contrôlé (objectif 0.33°C/h),
  • Groupe « avoiding fever » : Surveillance de la température corporelle pendant 72 heures et activation d’un dispositif de contrôle thermique en cas de température supérieure à 37.8°C avec objectif réglé à 37.5°C ;

Dans les 2 groupes : objectif de normothermie (36.5 – 37.8°C) après les 40 premières heures et jusqu’à 72 heures de la randomisation

Dans les 2 groupes : sédation associant un hypnotique et un morphinique pendant toute la durée de la phase d’intervention (soit jusqu’à la 40e heure) avec un objectif de RASS à -4.

Résultats essentiels
Critère de jugement principal

Pas de différence de mortalité entre les groupes 33°C et « avoiding fever » (50% vs 48% ; OR : 1.04; intervalle de confiance à 95% [CI], 0.94 to 1.14; p= 0.37),

Critères de jugement secondaires

Pas de différence de pronostic neurologique défavorable (défini par un score de Rankin modifié (mRS) entre 4 et 6) entre les 2 groupes de randomisation (55% vs 55% ; OR : 1.00; 95% CI, 0.92 to 1.09). Pas de différence significative également dans les différentes analyses ajustées ou en fonction de la stratégie d’imputation (« best/worst » case scenarii).

Evènements indésirables prédéfinis

Pas différence significative entre les 2 groupes en dehors d’une majoration des troubles du rythme cardiaque ayant un retentissement hémodynamique en défaveur du groupe 33°C : 24% vs. 17% ; P<0.001.

Commentaires

A la lumière des résultats de l’étude TTM2 et pour mettre en rapport les résultats des études précédentes sur le contrôle thermique, 3 hypothèses sont possible (1) :

  • Le contrôle ciblé de la température à 33° est inutile après un arrêt cardiaque (ni bénéfique, ni délétère en termes de critères « durs » de jugement : mortalité ou pronostic neurologique).
  • Le contrôle thermique tel qu’il est pratiqué actuellement ne conduit pas à une amélioration du pronostic neurologique car les dispositifs avec rétrocontrôle sur la température disponibles ne sont pas assez efficaces ou nécessitent un délai trop important pour l’être, ou d’autres stratégies d’induction précoce sont délétères (2).
  • La réalisation systématique d’une procédure complexe à une population non sélectionnée ne conduit pas à une amélioration du pronostic neurologique ; i.e. il est nécessaire de cibler des patients ayant des lésions d’ischémie – reperfusion modérées (présentes mais pas au-delà de toute ressource thérapeutique). En terme de données confortant cette hypothèse, des travaux récents mais présentant des limites importantes (rétrospectif, unicentrique) sont disponibles (3,4). De plus, les résultats de l’étude HYPERION (5) confortent également cette hypothèse.

Néanmoins, avant de pouvoir définir cette population spécifique qui pourrait bénéficier d’une dose d’hypothermie importante (i.e. 33°C), il est important de rappeler que certains aspects de la prise en charge des patients en post-ACR ont probablement un impact important sur l’efficacité ou l’inefficacité du contrôle thermique. En effet, l’introduction de la sédation en post-RACS représente par exemple un biais de confusion sur l’évaluation précoce des lésions cérébrales qui sont la cible du contrôle thermique. De plus, les différentes campagnes des pouvoirs publics ont conduit à une amélioration de la prise en charge non spécialisée de l’ACR avec des délais d’initiation des premières manœuvres de réanimation plus courtes. Pour mémoire, une durée de no-flow supérieure à 5 minutes était un critère d’inclusion dans l’étude européenne de 2002 (6). A l’opposé, bien que basées sur des recommandations internationales récentes (7), les stratégies de neuro-pronostications sont très hétérogènes en fonction des pays et des services. Ainsi, une intervention améliorant de manière spécifique le pronostic neurologique doit intervenir dans un contexte ou la proportion de patients présentant un pronostic en zone « grise » (correspondant à un score à 3 sur l’échelle CPC ou 4 sur l’échelle mRS) doit être relativement élevée (Cf Tableau).

Points forts
  • Etude internationale multicentrique
  • Inclusion de la majorité des centres « experts » mondiaux
  • Equipe en charge de la conduite de l’étude ayant l’expérience de ce type d’essai (TTM1)
Points faibles
  • Inclusion d’une population spécifique (cause cardiaque quasi-exclusive, 40% d’ACR secondaire à un SCA ST+) modérément représentative des ACR admis quotidiennement (8)
  • Il est difficile dans cette étude d’analyser la sévérité des lésions neurologiques initiales. En effet, les résultats des explorations paracliniques, à visée pronostique, ne sont pas renseignés (EEG, NSE …)
Implications et conclusions

La gestion de la température chez le patient neurolésé est cruciale : dans le cadre d’un ACR de cause cardiaque, cette température peut être maintenue inférieure à 37.8°C pendant 72 heures après la survenue de l’ACR. Afin d’atteindre cet objectif, la moitié des patients va nécessiter l’activation d’un dispositif spécifique avec un rétrocontrôle sur la température.

La gestion de la température chez les patients victimes d’ACR de cause extra-cardiaque et/ou avec des lésions cérébrales étendues pourraient bénéficier du maintien d’une stratégie à 33°C pendant 24h. Néanmoins, il est actuellement difficile d’évaluer fidèlement la profondeur des lésions neurologiques.

En résumé, deux théories seront probablement évaluées dans le cadre de RCT dans les années à venir : aucun contrôle de la température vs « avoiding fever » et/ou contrôle thermique à 33°C chez des patients ayant pu être sélectionnés précocement mais de manière adéquate vs « avoiding fever ».

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Jean-Baptiste Lascarrou, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Nantes.

L'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (jeanbaptiste.lascarrou@chu-nantes.fr) à la CERC.

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Références

  1. Taccone FS, Lascarrou J-B, Skrifvars MB. Targeted temperature management and cardiac arrest after the TTM-2 study. Crit Care Lond Engl. 4 août 2021;25(1):275.
  2. Kim F, Nichol G, Maynard C, Hallstrom A, Kudenchuk PJ, Rea T, et al. Effect of prehospital induction of mild hypothermia on survival and neurological status among adults with cardiac arrest: a randomized clinical trial. Jama. 1 janv 2014;311(1):45‑52.
  3. Callaway CW, Coppler PJ, Faro J, Puyana JS, Solanki P, Dezfulian C, et al. Association of Initial Illness Severity and Outcomes After Cardiac Arrest With Targeted Temperature Management at 36 °C or 33 °C. JAMA Netw Open. 1 juill 2020;3(7):e208215.
  4. Okazaki T, Hifumi T, Kawakita K, Kuroda Y, the Japanese Association for Acute Medicine out-of-hospital cardiac arrest  registry. Targeted temperature management guided by the severity of hyperlactatemia for out-of-hospital cardiac arrest patients: a post hoc analysis of a nationwide, multicenter prospective registry. Ann Intensive Care. 19 nov 2019;9(1):127.
  5. Lascarrou J-B, Merdji H, Le Gouge A, Colin G, Grillet G, Girardie P, et al. Targeted Temperature Management for Cardiac Arrest with Nonshockable Rhythm. N Engl J Med. 12 déc 2019;381(24):2327‑37.
  6. Hypothermia after Cardiac Arrest Study Group. Mild therapeutic hypothermia to improve the neurologic outcome after cardiac arrest. N Engl J Med. 21 févr 2002;346(8):549‑56.
  7. Nolan JP, Sandroni C, Böttiger BW, Cariou A, Cronberg T, Friberg H, et al. European Resuscitation Council and European Society of Intensive Care Medicine guidelines 2021: post-resuscitation care. Intensive Care Med. 1 avr 2021;47(4):369‑421.
  8. Lascarrou JB, Dumas F, Bougouin W, Chocron R, Beganton F, Legriel S, et al. Temporal trends in the use of targeted temperature management after cardiac arrest and association with outcome: insights from the Paris Sudden Death Expertise Centre. Crit Care. 3 déc 2019;23(1):391.
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