Décision de fin de vie : écouter, encore écouter, toujours écouter…

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How doctors manage conflicts with families of critically ill patients during conversations about end-of-life decisions in neonatal, pediatric, and adult intensive care.
Spijkers AS, Akkermans A, Smets EMA, et al.
Intensive Care Med 2022;48:910-922.

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Questions évaluées

Les auteurs ont cherché à :

  1. identifier les principaux sujets de conflits entre l’équipe médico-soignante et la famille,
  2. explorer les facteurs qui compliquent ces conflits,
  3. étudier les stratégies utilisées par les médecins pour gérer ces conflits,
  4. identifier quelles stratégies apparaissent efficaces ou inefficaces dans la gestion des conflits,
  5. explorer les différences entre trois types de services de soins critiques (néonataux, pédiatriques et adultes).
Type d’étude

Étude exploratoire et qualitative

Population étudiée

Au total, les familles de 36 patients (soit 104 personnes) et 71 médecins ont participé dans 3 unités de soins critiques (néonatologie, pédiatrie et adulte) du CHU d’Amsterdam.

Méthode

Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche plus global portant sur la communication des décisions de fin de vie avec les familles de patients hospitalisés en soins critiques. Les familles étaient éligibles à l’étude à partir du moment où la question de la légitimité de la poursuite des traitements de suppléances d’organes se posait.

Les données proviennent des enregistrements audios des entretiens réalisés avec les proches (familles et amis proches) sur la période d’avril 2018 à décembre 2019. Les entretiens ont presque toujours été planifiés à l’avance et à l’initiative des médecins. Ces entretiens ont eu lieu autour d’une table dans les différentes unités de soins. Au moins une infirmière était présente lors de ces réunions. Une information et un consentement étaient demandés pour l’ensemble des participants à cette étude. Les enregistrements audios ont été transcrits mot à mot et ont été anonymisés. Ils ont ensuite été codés et analysés en utilisant une approche déductive.

Résultats essentiels

Des conflits sont apparus entre l’équipe et la famille dans 29% des conversations, ce qui concernait au total 56% des patients. 

  • Les conflits étaient liés aux sujets suivants : 1) les décisions liées aux traitements, 2) la temporalité des décisions et/ou les conversations sur les prises de décisions, 3) l’état de santé actuel des patients, 4) l’état de santé futur des patients, 5) la responsabilité décisionnelle, et 6) les souhaits (présumés) des patients. La plupart des conflits portaient sur une combinaison des sujets précédents. 
  • Les auteurs ont identifié 4 facteurs, liés au contexte ou à la famille, qui ont compliqué ou majoré les conflits : 1) lorsqu’il existait une incertitude relative au diagnostic ou au pronostic du patient 2) lorsque les familles exprimaient des émotions négatives telles que la peur, la culpabilité, la colère, la méfiance ou l’hostilité 3) lorsque les familles avaient des connaissances limitées en matière de santé 4) lorsqu’il existait un sentiment de responsabilité important vis à vis de la décision finale, notamment en réanimations néonatale et pédiatrique, probablement en raison du sentiment fort de responsabilité des parents envers leurs enfants. 
  • Les auteurs ont également identifié 4 stratégies pour gérer les conflits : Les stratégies axées sur le contenu des discussions (argumenter, reconnaître, clarifier, reformuler, répéter…), l’empathie (reconnaître les émotions, soutenir), la morale et le processus visant à changer de sujet et/ou à reporter la conversation ou la décision. 
  • De même, il a été identifié 2 schémas distincts à l’origine de la persévérance des conflits.
    • Dans le premier, les médecins n'ont pas reconnu les signaux des familles indiquant la présence d’un ou plusieurs facteurs de complications (incertitude diagnostique/pronostique et leur responsabilité dans la décision d’arrêter les traitements de suppléance).  
    • Dans le second, les médecins ont d’abord utilisé des stratégies axées sur le contenu après l’apparition de conflits, puis, lorsque les conflits persistaient, ils sont passés à une stratégie morale. 
Commentaires

Les services de soins critiques sont des services très particuliers, anxiogènes pour les familles en raison de la crainte de la mort du proche hospitalisé. C’est dans ce contexte qu’une approche centrée sur la famille afin de réduire le stress, l’anxiété et les conséquences de la réanimation pour les familles (Post-Intensive Care Syndrome) a déjà fait l’objet de recommandations (1). En pratique, des réunions régulières avec les médecins et un soutien continu apporté aux familles permettent d’améliorer la qualité de la communication tout en permettant une diminution de la durée de séjour des patients hospitalisés en réanimation (2,3), mais également une diminution de la souffrance des soignants (4). 

Dans la présente étude, les auteurs ont clairement identifié l’attitude des médecins qui ont persisté à expliquer et à essayer de clarifier leur point de vue sans inviter les familles à poser des questions ou à partager leurs idées, comme facteur ayant contribué à générer, compliquer et entretenir des conflits. A contrario, les stratégies empathiques pouvaient permettre aux familles de partager leurs émotions, leurs attentes, leurs souhaits et leurs croyances et, à plus long terme, améliorer leur vécu de la réanimation (5, 6). Il est également souligné le rôle minime des infirmières lors des entretiens sans que l’on ne puisse exclure qu’elles auraient pu contribuer à la résolution des conflits par d’autres moyens, notamment lors des soins en soutenant émotionnellement les familles au chevet des patients. Enfin, il est dommage que les auteurs n’aient pas profité de ce travail pour explorer l’impact de ces conflits sur les familles et sur les professionnels de santé. Dans une enquête de pratiques publiée très récemment, Giabicani M et coll. (7) ont montré que les conflits étaient essentiellement en lien avec une demande de poursuivre les soins d’une manière jugée déraisonnable par les médecins. Les conflits, quelle qu’en soit la nature, peuvent être source d’une perte du sens du soin et d’une diminution de la qualité de vie au travail susceptibles de conduire à un manque d’attractivité du métier, à de la souffrance au travail et in fine des arrêts de travail (8). 

Points forts
  • Regards croisés des conflits médecins-familles entre les réanimations pédiatriques et adulte. 
  • Identification de stratégies délétères de communication.
Points faibles
  • Pas de définition claire du terme « conflit ». 
  • Implication faible des paramédicaux dans les entretiens avec les familles. 
  • Pas d’étude de l’impact des conflits sur les professionnels. 
  • Pas de données quant à un suivi des familles.
Implications et conclusions

L’écoute, l’attention et l’empathie sont sans doute les maîtres-mots concernant l’attitude que doivent avoir les médecins lors des échanges avec les proches lorsqu’une réflexion est engagée concernant une décision de fin de vie, ce qui peut, sans doute, permettre d’éviter les conflits et ses conséquences.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Jean-Pierre Quenot, Service de Médecine-Intensive Réanimation au CHU Dijon-Bourgogne, et Jean-Philippe Rigaud, Service de Médecine-Intensive Réanimation au CH Dieppe.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt en lien avec ce travail

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteures (jean-pierre.quenot@chu-dijon.fr ; JRigaud@ch-dieppe.fr) et à la CERC.

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Références

  1. Davidson JE et al. Guidelines for family-centered care in the neonatal, pediatric, and adult ICU. Crit Care Med 2017;45 :103-128
  2. White DB et al. A randomized trial of a family-support intervention in Intensive Care Units. N Engl J Med 2018;378:2365-2375
  3. Quenot JP et al. Impact of an intensive communication strategy on end-of-life practices in the intensive care unit. Intensive Care Med 2012;38:145-152
  4. Quenot JP et al. Suffering among carers working in critical care ca be reduced by an intensive communication strategy on end-of-life practices. Intensive Care Med 2012;38:55-61
  5. October TW et al. Parent satisfaction with communication is associated with physician’s patient-centered communication patters during family conferences. Pediatr Crit Care Med 2016;17:490-497
  6. Lautrette A et al. A communication strategy and brochure for relative of patients dying in the ICU. N Engl J Med 2007;356 :468-478
  7. Giabicani M et al. Team-conflict over end-of-life decisions in ICU: A survey of French physicians’ beliefs. PlosONE 2023;18(4):e0284756
  8. Papazian L. High-level burnout in physicians and nurses working in adult ICUs: a systematic review and meta-analysis. Intensive Care Med 2023;49(4):387-400
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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI