La Desmopressine (DDAVP) est-elle utile, en urgence, pour contrer un traitement antiplaquettaire et limiter l’évolution d’un hématome intracrânien aigu ?

03/12/2020
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Article CCM
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Retrospective Assessment of Desmopressin Effectiveness and Safety in Patients With Antiplatelet-Associated Intracranial Hemorrhage.
Feldman EA, Meola G, Zyck S, Miller CD, Krishnamurthy S, Cwikla GM, Darko W, Jennings S, Sullivan R, Seabury R.
Crit Care Med. 2019 ; 47(12):1759-1765. doi: 10.1097/CCM.0000000000004021

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Question évaluée

Intérêt d’une dose unique (0.34±0.1mg/Kg) de Desmopressine ou DDAVP pour limiter en urgence l’évolution d’un hématome intracrânien (HIC) chez un patient non chirurgical sous traitement antiplaquettaire. Le DDAVP est un Octapeptide de synthèse mimant l’action de l’ADH (hormone antidiurétique) sur les récepteurs V2 (pas d’HTA).

Type d’étude

Étude rétrospective monocentrique. Les auteurs sont nord-américains (Syracuse, nord de l’état de New York).

Population étudiée

Patients traités avec au moins un agent antiplaquettaire présentant l’évidence scanograhique d’un HIC en cours d’évolution.

Méthode

Inclusion rétrospective des patients, aucune distinction suivant le traitement (aspirine ou inhibiteur P2Y12) :

  1. Sous traitement antiplaquettaire, hospitalisés pour HIC aigu au 1er scanner. Pas d’inclusion si traitement chirurgical, accident ischémique concomitant, fibrinolyse, autres traitements anticoagulants en cours. Dose unique intraveineuse variable.
  2. Nécessité d’un 2ème scanner dans les 24 heures, pour mesurer l’augmentation de l’hématome (vs le 1er). Pour chaque scanner, le volume de l’hématome est mesuré par la méthode de référence qui consiste à multiplier les 3 axes de l’hématome (AxBxC).
Objectif principal

Comparaison de la croissance du volume de l’hématome en fonction du traitement DDAVP versus pas de DDAVP. Une différence de volume de 3 mL (ou 3cm3) dans les 24 premières heures est choisie comme définition d’augmentation de l’hématome (donc choix binaire : Oui/Non).

Objectifs secondaires

effets potentiellement liés au traitement DDAVP (ADH) : apparition d’une hyponatrémie pendant les 3 premiers jours et événements thrombotiques pendant les 7 premiers jours.

Résultats essentiels

Au total, 124 patients inclus : 55 avec DDAVP et 69 sans.

Il existe une différence significative dans l’augmentation du volume des hématomes (11% avec DDAVP vs 36% sans DDAVP, p<0.002 ; OR [95% CI], 0.22 [0.08-0.57]) sans différence retrouvée d’hyponatrémie (0%) ou d’évènements thrombotiques (7.0% vs 1.4%, p=0.17 ; OR [95% CI], 5,33 [0.58-49.16]).

Commentaires

La croissance des hématomes intracrâniens est étroitement associée au devenir clinique et est, en conséquence, devenu une cible pour améliorer le pronostic des patients [1].

Les perturbations des fonctions plaquettaires augmentent la croissance de l’hématome [2]. Tenter de contrôler l’évolution de l’hématome en corrigeant les fonctions plaquettaires est donc légitime. Surtout quand, sous traitement antiplaquettaire et hors chirurgie, la perfusion de plaquettes n’apparaît plus comme un traitement recommandable [3].

La desmopressine (DDAVP), en libérant les facteurs Willebrand et VIII endothéliaux, restaure la coagulation primaire dans certaines formes de maladie de Willebrand. Il est donc logique de tester ce traitement dans des situations hémorragiques potentialisées par la prise d’antiagrégant plaquettaire [4]. Si les patients de chirurgie cardiaque ont apparu faiblement bénéficier du DDAVP (la qualité GRADE des preuves a été jugée faible) [5], dans d’autres situations cliniques, le peropératoire non neurochirurgical ou les hématomes intracérébraux traumatiques, ce traitement n’a pas démontré de réelle supériorité [6-7]

Même s’il existe une différence significative d’augmentation du volume des hématomes, cette étude d’observation ne peut pas permettre, à elle seule, de conclure de façon définitive au renforcement bénéfique par le DDAVP de la fonction plaquettaire des patients sous antiagrégant limitant ainsi le volume d’un hématome cérébral. Les aspects rétrospectif, monocentrique, faible en nombre de patients, avec des traitements antiagrégants différents, des doses de DDAVP variables et des transfusions plaquettaires inconstantes de cette étude limite fortement la portée des informations. Une étude randomisée est nécessaire. Cependant, cette étude permet de discuter des arguments et de faire le point sur cette option.

La première information est l’absence de complications liées aux effets du DDAVP (absence d’hyponatrémie retrouvée) ou au renforcement pro-coagulant (absence de différence  d’accidents thrombotiques). Le contrôle de la pression artérielle, avec notamment des hypotensions décrites après DDAVP, n’est pas évoqué [6].

Le deuxième argument réside dans la rapidité et la facilité de prescription. Dans ce type de situation, il ne s’agit pas seulement d’avoir un traitement efficace sur un trouble précis de la coagulation, il est crucial de s’organiser pour que le patient bénéficie de ce traitement le plus rapidement possible. Le délai entre le début des symptômes et le 1er scanner, et donc la mise en route des traitements, est reconnu comme un facteur significatif contrôlant croissance de l’hématome et pronostic [1]. Il est donc évident que le point important pour juger de l’intérêt d’un traitement est la capacité pour l’équipe d’accueil d’administrer celui-ci dans un délai propre à modifier la cinétique de l’hémorragie. Dans cette étude, le délai moyen d’administration est de 3h après le diagnostic (1er Scanner) donc 7 h après l’arrivée à l’hôpital. Cette équipe met 4h pour obtenir un scanner cérébral en urgence. Ce délai est perfectible mais tolérable pour juger de l’effet d’un traitement sur l’hématome. Un délai de réversion jusqu’à 8 heures après l’arrivée aux urgences a montré une efficacité, significative sur la mortalité dans les hémorragies cérébrales sous AVK [8]. Le délai d’obtention d’un scanner cérébral pour prouver l’hémorragie avant de traiter la coagulation est une étape incontournable. On comprend à quel point le délai d’accès au scanner est le point clé en cas de traitement efficace.

Un dernier point à noter concerne la transfusion plaquettaire, décrite comme susceptible d’aggraver le pronostic [3]. Dans l’article, la transfusion de plaquettes est plus fréquente dans le groupe traité avec DDAVP : 24 patients (47%) contre 19 (27%). Une analyse complémentaire trouve une augmentation significative du risque d’expansion de l’hématome après transfusion de plaquettes (OR, 3.63; 95% CI, 1.24-10.67), perturbant potentiellement l’analyse des résultats. Cette confusion entre intérêt du DDAVP et transfusion plaquettaire se retrouve dans un article qui randomise une dose précoce de desmopressine IV (0.4mg/Kg) pour réduire l’expansion d’un hématome intracérébral de patients sous traitements antiplaquettaires mais en y adjoignant, dans le groupe traité (n=72), la transfusion de 2 unités plaquettaires [9]. Le résultat ne démontre aucune différence entre groupe traité et témoin. Il n’y a donc pour le devenir, pas d’intérêt à associer DDAVP et transfusion plaquettaire ni à transfuser des plaquettes en l’absence de chirurgie. Déterminer l’intérêt d’une dose isolée de DDAVP reste à démontrer.

Points forts

Poser la question du DDAVP, peu utilisé en France mais souvent prescrit dans d’autres pays européen (Allemagne notamment).

La rapidité d’obtention en pratique et l’absence d’effets secondaires (hyponatrémie ou accidents thrombotique) sont des informations intéressantes.

Points faibles

Les aspects rétrospectif, mono-centrique, faible en nombre de patients (55 vs 69), avec des traitements antiagrégants différents, des doses de DDAVP variables et surtout des transfusions plaquettaires inconstantes et apparemment délétères limitent fortement la portée des informations de cette étude.

Implications et conclusions

D’autres études sont nécessaires pour confirmer ou infirmer l’intérêt du DDAVP pour reverser les effets des traitements antiplaquettaires. Il faut bien comprendre les enjeux du problème. La recherche d’un retour rapide à la normale de la coagulation pour limiter les effets de traitements anticoagulants utiles en chronique mais potentiellement dangereux en situation aigue est indispensable surtout devant la gravité des séquelles et l’importance épidémiologique de ces traitements : 8% de la population pour les antiplaquettaires et 1 à 2% pour les anticoagulants oraux.

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LIENS UTILES

  1. Al-Shahi Salman R, Frantzias J, Lee RJ, et al. VISTA-ICH Collaboration; ICH Growth Individual Patient Data Meta-analysis Collaborators. Absolute risk and predictors of the growth of acute spontaneous intracerebral haemorrhage: a systematic review and meta-analysis of individual patient data. Lancet Neurol. 2018 ; 17(10):885-894.
  2. Naidech AM, Jovanovic B, Liebling S, et al: Reduced platelet activity is associated with early clot growth and worse 3-month outcome after intracerebral hemorrhage. Stroke 2009; 40:2398–2401
  3. Baharoglu MI, Cordonnier C, Salman RA, et al; PATCH Investigators: Platelet transfusion versus standard care after acute stroke due to spontaneous cerebral haemorrhage associated with antiplatelet therapy (PATCH): A randomised, open-label, phase 3 trial. Lancet 2016; 387:2605–2613
  4. Naidech AM, Maas MB, Levasseur-Franklin KE, et al. Desmopressin improves platelet activity in acute intracerebral hemorrhage. Stroke. 2014 ; 45(8):2451-3.
  5. Desborough MJ, Oakland KA, Landoni G, et al. Desmopressin for treatment of platelet dysfunction and reversal of antiplatelet agents: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Thromb Haemost. 2017 ; 15(2):263-272.
  6. Desborough MJ, Oakland K, Brierley C, Bennett S, Doree C, Trivella M, Hopewell S, Stanworth SJ, Estcourt LJ. Desmopressin use for minimising perioperative blood transfusion. Version 2. Cochrane Database Syst Rev. 2017 ; 7(7):CD001884.
  7. Kim DY, O’Leary M, Nguyen A, et al. The effect of platelet and Desmopressin administration on early radiographic progression of traumatic intracranial hemorrhage. J Neurotrauma 2015 ; 32(22):1815-21
  8. Tazarourte K, Riou B, Tremey B, et al. EPAHK study group. Guideline-concordant administration of prothrombin complex concentrate and vitamin K is associated with decreased mortality in patients with severe bleeding under vitamin K antagonist treatment (EPAHK study). Crit Care. 2014 ; 18(2):R81.
  9. Mengel A, Stefanou MI, Hadaschik KA, et al.. Early Administration of Desmopressin and Platelet Transfusion for Reducing Hematoma Expansion in Patients With Acute Antiplatelet Therapy Associated Intracerebral Hemorrhage. Crit Care Med. 2020 ; 48(7):1009-1017.
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Bernard Vigué, MD, PhD, Département d’Anesthésie-Réanimation, CHU de Bicêtre, France.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
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T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX