Directives médicales anticipées de patients aux lourdes comorbidités et admission en Médecine intensive ?

15/04/2021
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Article JAMA
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Association of Physician Orders for Life-Sustaining Treatment With ICU Admission Among Patients Hospitalized Near the End of Life
Robert Lee et col.
JAMA. 2020;323(10):950-960. doi:10.1001/jama.2019.22523

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Question évaluée

Quelle association y a-t-il entre l’admission en soins intensifs de patients en fin de vie et leurs directives anticipées (DA) ?

Le terme Directive anticipée est impropre à traduire « POLST » qui n’ont pas d’équivalent en France. Déclinaison des Advance Care Planning, les POLST (Physician Orders for Life-Sustaining Treatment) sont à mi-chemin entre DA (rédigées par les malades) et fiches d’aide décisionnelle (élaborées par les soignants). Cette co-construction, destinée à améliorer la prise en charge en fin de vie aux Etats-Unis, encourage les soignants à parler avec les personnes porteuses de pathologies chroniques, puis à créer des directives médicales qui devront être honorées par les soignants lors d'une décompensation. Cette approche, développée en Oregon en 1991, existait en 2015 dans 46 États. Le document POLST, standardisé et maniable, retrace une conversation entre un soignant et une personne souffrant d'une maladie grave ou d'une fragilité. Il comporte plusieurs parties : la première correspond à la réanimation cardio-pulmonaire, la deuxième à l’intensité des soins désirés (soins de confort vs. soins complémentaires limités vs. aucune limitation), une autre partie porte sur la nutrition artificielle… Les auteurs formulent l’hypothèse selon laquelle l’âge avancé, certaines origines ethniques, le niveau d’éducation, ou encore la présence d’une comorbidité d’évolution particulièrement « prédictible » (cancer avancé, démence) diminueraient le risque de recevoir des soins de réanimation en inadéquation avec les directives consignées dans les POLST.

Type d’étude

Rétrospective de cohorte

Population étudiée

Les patients (suivis dans 2 hôpitaux universitaires de Seattle, état de Washington, dont un comporte un centre de traumatologie), décédés entre 2010 et 2017 inclus, présentant une ou des maladies chroniques ayant conduit à la rédaction, avec leur médecin, d’un document POLST, et hospitalisés dans les 6 mois précédant le décès. Neuf pathologies chroniques limitant l’espérance de vie étaient concernées: cancer de mauvais pronostic, maladie respiratoire chronique, maladie coronarienne, insuffisance cardiaque congestive, vasculopathie périphérique, insuffisance rénale, hépatopathie chronique sévère, diabète compliqué et démence.

Méthode

L’objectif principal était d’étudier l’association entre l’existence de directives et l’admission en réanimation, avec mise en place ou non (objectif secondaire) de thérapeutiques invasives (ventilation mécanique, amines, dialyse ou réanimation cardio-pulmonaire).

Les facteurs associés à une discordance entre directives POLST et admission en réanimation et/ou administration de traitements invasifs ont été étudiés. A noter que de nouvelles directives, spécifiques aux deux institutions, étaient rédigées à chaque nouvelle admission, tenant en principe compte des POLST antérieures à l’hospitalisation.

Résultats essentiels

Ont été étudiés 1818 patients décédés et ayant rédigé (en médiane 111 jours [IQR 28-396] avant l’hospitalisation correspondant au décès) des directives POLST : 401 (22%) souhaitaient des soins de confort, 761 (42%) des soins d’intensité limitée et 656 (36%) une prise en charge maximale. Parmi ces 3 groupes, respectivement 123/401 (31%), 349/761 (46%) et 406/656 (62%) ont finalement été admis en réanimation (au total, 48% de la population étudiée a été admise en réanimation).

Une étude spécifique des discordances entre directives POLST et adressage en réanimation montre que les directives de 121 (30%) patients du groupe soins de confort et 315 (41%) patients du groupe soins limités n’ont pas été respectées, soit 38% de discordance combinée (95%IC, 35-40), un taux stable sur les 8 ans d’étude. La mise en œuvre de thérapeutiques vraiment invasives ne concerne que 18% des cas. Il y avait moins de discordance pour les patients suivis pour cancer, pour démence ou plus âgés, et plus de discordance pour les patients hospitalisés pour traumatisme (comme une fracture de hanche). Aucune différence n’a été retrouvée en fonction de l’origine ethnique ou du niveau d’éducation.

Commentaires

Cette étude montre que les taux d'admission en réanimation des patients porteurs de lourdes comorbidités diffèrent selon leurs DA. Un résultat attendu et… heureux : ces directives, discutées et décidées avec un médecin, sont normalement adaptées à la situation de chacun.

Pour autant, des discordances majeures entre les directives et le niveau d’engagement thérapeutique persistent chez plus d’un tiers des patients souhaitant une limitation. La réduction des discordances POLST-réanimation chez les personnes atteintes de cancer de mauvais pronostic ou de démence (ainsi que l’âge, dans le groupe de patient souhaitant des soins limités) était attendue dès la formulation de l’hypothèse par les auteurs ; sans doute l’anticipation de la mort, ou d’une dégradation cognitive inévitable, est-elle plus élevée dans ces trois situations.

A l’inverse, si la blessure traumatique semble « favoriser l’obstination déraisonnable », c’est sans doute du fait de son caractère brutal, moins prévisible et supposé plus réversible que dans les cas mentionnés plus haut ; il est d’ailleurs difficile de réunir dans l’analyse, sur un même pied, des pathologies chroniques propres à l’anticipation (objet des POLST) et les motifs d’admission finale (pouvant n’avoir aucun lien avec la comorbidité, comme les traumatismes).

Ce dernier point renvoie à l’un des défis difficilement résolus par les directives anticipées : c’est un truisme de dire que l’on peut se projeter sur un événement similaire à un vécu connu, plus difficilement sur un événement aigu accidentel : les situations les plus congruentes sont celles avec prévisibilité forte (cancer, démence, âge élevé). En outre, les volontés du patient sont évolutives, changeantes, et doivent être réinterrogées à chaque hospitalisation. Notons enfin que la place du proche (surrogate) n’est sûrement pas la même aux E.U et en France.

Points forts

Effectif important dans une population variée (pas seulement des patients âgés institutionnalisés) ; stratégie, les POLST, rendue robuste par 30 ans de validation.

Points faibles

Seule la population suivie dans 2 hôpitaux de Seattle est étudiée : elle ne reflète pas l’ensemble de la population américaine même si le pourcentage de la population ayant rempli les POLST est comparable à celui de l’état de Washington (environ 13%).

Surtout, cette étude ne concerne que les patients hospitalisés dans les 6 mois précédant le décès ET disposant de POLST : sur environ 31 000 décès en 8 ans, 16 500 ont été non-inclus car non hospitalisés dans les 6 mois, 11 000 autres du fait de l’absence de POLST, 1400 enfin du fait de POLST postérieurs à l’entrée à l’hôpital : restent 1818... Quelques informations démographiques comparant la population sélectionnée avec 1) les décédés hors hôpital, 2) les personnes ne disposant pas de POLST, auraient été éclairantes. Nous n’avons pas d’information concernant les patients décédés à domicile, dont les directives de limitations ont fort bien pu être respectées, ni sur ceux, hospitalisés dans un autre hôpital, dont les directives ont pu être (ou pas) respectées. Cette étude ne s’intéressant qu’aux patients décédés nous ne  savons rien des patients ayant survécu à un traumatisme ou une décompensation d’organe, et le respect ou non de leurs DA. Sur une population plus générale (rappelons le dénominateur de 31 000 patients…), les taux de non-respect du souhait de limitation de 38% (réanimation) ou de 18% (thérapies lourdes) sont donc possiblement surestimés.

Implications et conclusions

Il existe un effort louable et indispensable vers l’anticipation pour les patients à risque d’aggravation du fait d’une pathologie chronique ; la création, puis la diffusion depuis 30 ans des documents POLST, combinaison de directives anticipées des personnes malades et d’anticipation décisionnelle des soignants, en témoignent. Même dans un pays comme les E.U., dans lequel le principe d’autonomie est prégnant, si les POLST limitent le risque d’une réanimation contraire aux volontés du malade, ils ne les suppriment jamais : [comme] la science, [la directive anticipée] est l’asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse, et ne touche jamais. (Victor Hugo)

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Annabelle Stoclin, Service de Réanimation médicale - MIR, Gustave Roussy Villejuif, France.

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Références

1 - https://polst.org/

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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON