Don d’organes : quelles sont les préoccupations des familles ? Quelles sont les réponses des médecins ?

01/05/2025
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Texte

Family concerns in organ donor conversations: a qualitative embedded multiple‑case study. Van Oosterhout et al., Critical Care (2024) 28:434

 

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Question évaluée :

Quelles sont les préoccupations exprimées par les familles lors d’un entretien autour du don d’organes et quelles sont les réponses des médecins ?

Type d’étude :

Etude observationnelle qualitative de cas multiples

Population étudiée :

Familles et médecins réanimateurs impliqués dans des entretiens portant sur le don d’organes dans 8 services de réanimation néerlandais.

Méthode :

Il s’agit d’une analyse d’observations directes ou d’enregistrements sonores des entretiens (n=29). De plus, un entretien à distance (au moins 6 semaines après le premier entretien) était proposé aux familles qui l’acceptaient (n=19). 

Résultats essentiels :

Les auteurs ont identifié 6 groupes de préoccupations exprimées par les familles : les émotions et questionnements relatifs à la perte du proche, le souhait du « bien mourir » pour leur proche (entouré, sans souffrance, respect de la dignité,…), les tensions et peurs soulevées par la question du don, la problématique de la gestion du temps (confirmation du diagnostic de mort cérébrale, bilan d’éligibilité, organisation du bloc opératoire récupération du corps), l’explication claire de la procédure et l’implication de la famille non présente dans ce processus. Lors de l’entretien effectué à distance, les préoccupations rapportées étaient des doutes relatifs aux décisions d'arrêt de traitement, de nouvelles questions concernant le don ou le décès, l’expression de regrets, des questions sur le rôle des proches dans le processus de don et de décès, ainsi que sur les aspects pratiques entourant le décès de leur proche, parfois la déception face aux résultats du don et des doutes concernant leur propre inscription comme potentiel donneur.

Concernant les interactions médecins-familles, les familles ont majoritairement exprimé un sentiment positif quant à l’attitude des médecins. Trois types de réponses des médecins aux préoccupations des familles ont été observées: des réponses anticipées (en fonction de l’expérience et de l’expertise du médecin), des réponses immédiates (concernant les aspects procéduraux et techniques) et des réponses différées dans le temps.   

Certaines préoccupations des familles n’étaient exprimées qu’une seule fois tandis que les plus chargées émotionnellement avaient tendance à réapparaître au cours des entretiens. Les réponses immédiates aux problématiques étaient les plus fréquemment utilisées par les médecins. Certaines préoccupations sans réponse immédiate (comme l’expression d’émotions relatives au décès ou le vécu des temps d’attentes engendrés par la procédure) pouvaient être prise en compte par une explication plus détaillée ou par la simple reconnaissance de la préoccupation par les médecins. Les auteurs ont observé que certaines préoccupations comme la peur engendrée par le processus de don ou la problématique de la famille non-présente étaient peu ou pas explorées par les médecins.      

Sur la base de leurs observations, les auteurs proposent un certain nombre de pistes pour améliorer la communication lors des entretiens autour du don d’organes. Ces propositions incluent : la prise en considération de préoccupations récurrentes, l’importance de l’écoute attentive, la délivrance de l’information appropriée ou la reconnaissance et la prise en considération de la préoccupation qui ne peut être résolue, la reconnaissance de signaux non verbaux, la structuration de l’entretien, l’utilisation de questions ouvertes pour vérifier si l’information délivrée est en ligne avec les préoccupations de la famille.           

Commentaires :

En France, le refus du don est la première cause d’échec d’une procédure de prélèvements d’organes. Il s’agit donc d’une priorité de recherche pour améliorer l’accès à la greffe d’organes solides. Cette étude apporte des éléments factuels intéressants sur les préoccupations exprimées par les familles au cours des entretiens relatifs au don. Le besoin de recevoir des informations précises sur le processus de don a été rapporté par d’autres travaux et est susceptible d’influencer la décision des familles (1,2). De même, avoir la certitude que le proche décédé sera traité avec dignité et respect est très fréquemment cité (3,4). Mieux comprendre la représentation mentale des familles et fournir une explication claire et factuelle sur le processus de don d'organes sont des étapes importantes pour aider à apaiser les peurs et les inquiétudes (5,6). Enfin, il a été montré qu’une formation spécifique des médecins aux entretiens autour du don augmentait le temps passé avec les familles, le nombre de sujets abordés et in fine l’adhésion des familles au processus de don (7,8).       

Points forts :
  • Le schéma de l’étude est prospectif multicentrique avec un entretien de suivi à distance.
  • Cette étude est réalisée dans un pays ayant une organisation des prélèvements et dons d’organes similaire à de nombreux pays européens dont la France.  
  • Première étude à explorer comment les préoccupations des familles émergent en temps réel lors du processus de don et de la conversation sur le don, ainsi que la manière dont les interactions entre les cliniciens et les familles à ce sujet se déroulent.
  • Sur la base de leurs observations, les auteurs ont proposé des pistes pour améliorer la qualité de la communication lors des entretiens autour du don d’organes.
Points faibles :
  • Le nombre limité de cas analysés entraîne un biais de sélection certain.
  • Il s’agit d’une étude qualitative avec les limites inhérentes à ce type de méthodologie (biais de report, d’interprétation, de collection des données...).
  • Certaines observations ont été faites uniquement à partir d’enregistrements sonores, donc la communication non verbale n’a pas pu être analysée.  
Implications et conclusions :

Cette étude décrit les différents types de préoccupations exprimées par les familles au cours des entretiens relatifs au don d’organes. Si le caractère qualitatif de l’étude ne permet pas d’en tirer des implications cliniques immédiates, les groupes de préoccupations identifiés sont susceptibles d’enrichir les programmes de formation des médecins pour mieux répondre aux attentes des familles. Le temps consacré aux entretiens, une attitude d’écoute attentive et la reconnaissance des préoccupations des familles sont des éléments cruciaux à prendre en considération.   


Références citées dans les commentaires:

  1. Sarti AJ, Sutherland S, Healey A et al (2018) A multicenter qualitative investigation of the experiences and perspectives of substitute decision makers who underwent organ donation decisions. Prog Transpl 28(4):343–348
  2. Michetti CP, Newcomb A, Thota V, Liu C (2018) Organ donation education in the ICU setting: a qualitative and quantitative analysis of family preferences. J Crit Care 48:135–139
  3. de Groot J, van Hoek M, Hoedemaekers C et al (2015) Decision making on organ donation: the dilemmas of relatives of potential brain dead donors. BMC Med Ethics 16:64. https ://doi.org/10.1186/s1291 0-015-0057-1
  4. Sque M, Walker W, Long-Sutehall T et al (2018) Bereaved donor families’ experiences of organ and tissue donation, and perceived influences on their decision making. J Crit Care 45:82–89
  5. Sque M, Galasinski D (2013) ‘Keeping her whole’: bereaved families’ accounts of declining a request for organ donation. Camb Q Healthc Ethics 22:55–63
  6. Shemie SD, Robertson A, Beitel J et al (2017) End-of-life conversations with families of potential donors: leading practices in offering the opportunity for organ donation. Transplantation 101:S17–S26
  7. Siminoff LA, Marshall HM, Dumenci L et al (2009) Communicating effectively about donation: an educational intervention to increase consent to donation. Prog Transpl 19:35–43
  8. Kentish‑Barnes N, Siminoff L. A., Walker W, et al (2019) A narrative review of family members’ experience of organ donation request after brain death in the critical care setting. Intensive Care Med 45:331–342

 CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article Commenté par le Pr Emmanuel Canet, service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Nantes, France

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