Drainage de la nécrose pancréatique infectée : il faut savoir attendre chez les patients stabilisés !

23/06/2022
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Article NEJM
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Immediate versus postponed intervention for infected necrotizing pancreatitis
L. Boxhoorn, S.van Dijk, J. van Grinsven, R. Verdonk, et al., for the Dutch Pancreatitis Study Group
NEJM 2021; 385: 1372-81

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Question évaluée

Le drainage dans les 24 heures de la nécrose pancréatique infectée améliore-t-il le pronostic des patients par rapport à un drainage retardé, dans l’attente que la nécrose pancréatique soit bien collectée au scanner ?

Type d’étude

Etude prospective, multicentrique, randomisée, avec hypothèse de supériorité du drainage précoce par rapport au drainage retardé.

Population étudiée

Patients adultes présentant une pancréatite aigüe nécrosante (basée sur la classification radiologique CTSI), avec suspicion ou confirmation d’infection de nécrose pancréatique (INP). Le diagnostic d’INP était basé sur l’un des éléments suivants : la présence de gaz dans la nécrose ou la positivité des cultures bactériologiques d’une ponction à l’aiguille fine ; la suspicion d’INP était basée sur la survenue d’un SIRS clinique ou biologique et/ou de l’apparition de défaillances d’organes après 14 jours du début de la pancréatite aigüe, et persistant pendant au moins 3 jours. Le principal critère d’exclusion était le début des symptômes de la pancréatite aigüe supérieur à 35 jours, afin d’exclure des patients ayant une nécrose déjà bien organisée.

Méthode

Les patients présentant une INP confirmée ou suspectée, admis dans 22 centres aux Pays-Bas, étaient évalués par un panel d’experts en vue d’une inclusion. En cas d’inclusion, ils étaient randomisés en deux groupes :

  • Drainage précoce de la nécrose dans les 24h de l’inclusion
  • Drainage retardé de la nécrose, dans l’attente d’obtenir une nécrose suffisamment collectée au scanner (L’encapsulation complète n’était pas obligatoire lorsque l’état du patient se détériorait).

La technique de drainage de la nécrose était laissée à l’appréciation des investigateurs, et pouvait impliquer soit un drainage percutané par voie radiologique, soit un drainage per-endoscopique. En cas de drainage insuffisant, un plus gros drain était mis en place dans les 72h. Si cette procédure était toujours insuffisante, une nécrosectomie était pratiquée par voie chirurgicale rétropéritonéale mini-invasive (si drainage initial percutané) ou par voie per-endoscopique (nécrosectomie trans-gastrique).

Dans les deux bras, les patients étaient traités par antibiothérapie à visée de l’INP, et recevaient un traitement de support des éventuelles défaillances d’organe.

Le critère de jugement principal était un score composite intégrant les complications sur une période de 6 mois après l’inclusion. Le score pouvant aller de 0 (aucune complication) à 100 (décès).

Les critères de jugement secondaires étaient la survie à 6 mois, la survenue d’une ou plusieurs défaillances d’organe, d’un saignement intra-abdominal, d’une perforation d’organes creux, le développement de fistules entéro-cutanées et/ou pancréatico-cutanées, d’une hernie au points d’incision cutané, d’une infection de paroi abdominale, d’une insuffisance pancréatique exocrine et endocrine, la durée d’hospitalisation, le nombre de drainage(s), le recours à la nécrosectomie et le coût total de l’hospitalisation.

Résultats essentiels

Entre 2015 et 2019, 932 patients avec pancréatite aigüe nécrosante ont été évalués en vue d’une inclusion. Parmi eux : 389 ont été exclus, considérant qu’ils n’avaient pas d’infection. Parmi les 543 patients suspects d’INP, 439 ont été exclus, essentiellement du fait d’une durée d’évolution supérieure à 35 jours, d’un drainage déjà réalisé, d’un refus de participer, ou d’un décès précoce. Finalement, 104 patients avec INP ont été randomisés : 55 dans le groupe drainage précoce, et 49 dans le groupe drainage tardif.

Les patients étaient comparables à l’inclusion entre les deux groupes. Environ un quart (27%) des patients étaient hospitalisés en soins intensifs/réanimation. Des défaillances d’organes étaient notées chez environ 20% des patients. L’INP était confirmée par la présence de gaz (dans environ 35% des cas), le prélèvement bactériologique (environ 15%), ou suspectée cliniquement (environ 50%).

Concernant le critère de jugement principal : il n’y avait pas de différence de score composite de complications entre les deux groupes (57 versus 58 points, groupes précoce et tardif respectivement).

Concernant les critères de jugement secondaires, il n’y avait pas de différence concernant la mortalité à 6 mois, la survenue de défaillances d’organe, les complications intra-abdominales, ni les durées d’hospitalisation (totale et en réanimation).

En revanche le nombre de procédures était plus élevé dans le bras précoce. Ainsi, une procédure de drainage était réalisée dans 100% versus 61% (différence significative), et la nécessité d’aller jusqu’à la nécrosectomie était retrouvée dans 51% versus 22% (différence significative). Le nombre total de procédures (endoscopique, radiologique, ou chirurgicale) était plus élevé dans le bras précoce (4.4 versus 2.6, différence non significative).

Commentaires

La nécrose pancréatique infectée peut être drainée par voie percutanée ou perendoscopique, même si cette dernière technique semble de plus en plus utilisée en première ligne. Il existe en effet moins de fistules entéro-cutanées avec le drainage perendoscopique. Concernant le timing du drainage de l’INP, des travaux rétrospectifs suggéraient qu’il fallait drainer la nécrose le plus tard possible. Ainsi, dans une cohorte rétrospective de 193 patients avec pancréatite aigüe nécrosante, un drainage dans les 4 premières semaines était associé à une durée d’hospitalisation plus longue, et même à une surmortalité (13% versus 4%), par rapport à un drainage retardé [1]. Dans une autre étude rétrospective récente chez 38 patients avec nécrose pancréatique, un drainage avant 4 semaines s’accompagnait d’une hospitalisation plus longue, sans différence sur la mortalité, par rapport à un drainage retardé [2].

Cette étude prospective, multicentrique, randomisée, vient ajouter des informations solides sur le sujet. Elle suggère que l’on peut se permettre d’attendre que l’INP soit bien collectée avant de la drainer, sans faire courir de risque au patient, voire que cette stratégie peut permettre parfois d’éviter une procédure de drainage. En effet, 39% des patients du groupe retardé n’ont pas eu besoin de drainage, l’évolution étant favorable sous traitement médical seul. De plus, cette stratégie semble avoir l’avantage de limiter le nombre de procédures requises. En effet, plus on attend que la nécrose soit organisée, plus le drainage initial est efficace, moins il est nécessaire de répéter les procédures, ni non plus d’upgrader la procédure jusqu’à la nécrosectomie.  

Points forts

Etude prospective, randomisée, multicentrique, incluant un nombre significatif de patients. Protocole bien détaillé, reflétant la vraie vie (procédure percutanée ou perendoscopique toutes les deux possibles). 

Points faibles

Sur plus de 500 patients avec INP confirmée ou suspectée, seuls 100 patients ont été inclus, ce qui traduit une sélection importante de la population.

Pour la moitié des patients, l’infection de la nécrose n’était pas certaine (pas de présence de gaz, ni de résultat bactériologique préalable), il s’agissait d’une suspicion clinique forte. Pour ces 50% de patients, nous n’avons pas le résultat définitif de la procédure de drainage (la nécrose était-t-elle bien infectée ?). Le fait qu’un tiers des patients du groupe retardé évolue bien sous antibiothérapie seule peut faire douter de la réalité de l’infection chez certains patients.

Il s’agissait d’une population essentiellement représentative de patients de « Gastroentérologie » : les ¾ étaient hospitalisés en secteur conventionnel, et 80% n’avaient pas de défaillance d’organe. Ainsi, la généralisation des résultats de cette étude à une population de patients hospitalisés en réanimation pour une pancréatite aiguë grave nécrosante, intubés et ventilés, en choc septique sur une infection de nécrose, n’est pas possible. Dans ce contexte, il semble raisonnable d’envisager un drainage précoce pour diminuer l’inoculum bactérien.

Implications et conclusions

Chez les patients présentant une INP confirmée ou suspectée, il semble raisonnable d’essayer d’attendre que la nécrose soit bien collectée au scanner pour la drainer. Le drainage de la nécrose pourra être réalisé par voie percutanée ou perendoscopique, en tenant compte de la localisation de la nécrose (gouttières pariétocoliques, plutôt voie percutanée ; localisation périgastrique ou rétroduodénale, plutôt voie perendoscopique), mais aussi de la disponibilité de la technique et de l’expertise des centres. Une telle stratégie d’attente permet de limiter le nombre total de procédures, de limiter la nécessité d’un recours à la nécrosectomie, voire d’éviter le drainage tout court. En revanche, chez les patients présentant un choc septique sur infection de nécrose pancréatique, avec instabilité hémodynamique, une procédure de drainage précoce semble licite pour diminuer l’inoculum bactérien et stabiliser le patient. En effet, l’étude présentée ici suggère qu’une stratégie de drainage précoce n’est pas délétère en termes de survie ou de complications.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Gaël Piton, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHRU de Besançon, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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Références

  1. Early (< 4 weeks) versus standard (≥ 4 weeks) endoscopically centered step up interventions for necrotizing pancreatitis.
    Trikudanathan et al.
    Am J Gastro 2018 ;113 :1550-8.
  2. Outcomes of early endoscopic intervention for pancreatic necrotic collections : a matched case-control study.
    Oblizajek et al.
    Gastrointest Endosc 2020 ;91 :1303-9.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ