Du silence … pour la fin de vie

22/09/2022
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Article JAMA
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Effect of prophylactic subcutaneous scopolamine butyl bromide on death rattle in patients at the end of life
The SILENCE randomized clinical trial. J van Esch H and co.
JAMA
, 2021; 326 (13): 1268-1276

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Question évaluée

La Scopolamine Butylbromide permet-elle de prévenir la survenue des râles agoniques chez les patients en fin de vie ?

Type d’etude

Etude multicentrique (6 centres aux Pays Bas), prospective, randomisée en double aveugle (contre placebo)

Population étudiée
Critères d’inclusion

Patients hospitalisé en Unité de Soins Palliatifs (USP) avec une espérance de vie de 3 jours et plus, pouvant recevoir une information au moment de l’admission et ainsi donner leur consentement. La randomisation se fait dès la reconnaissance de la phase pré mortem par le praticien : patient comateux, alité en continu, sans prise orale possible

Critères d’exclusion à la phase agonique

Patient trachéotomisé, traitement atropinique en cours, pneumopathie en cours, râle agonique avéré

Méthode

Inclusion d’avril 2017 à décembre 2019.

Intervention : administration en SC de la Scopolamine Butylbromide (20mg x 4/jour) ou placebo (soluté salé 1ml x 4/jour)

Evaluation : évaluation clinique toutes les 4 heures par une équipe pluridisciplinaire selon le modèle « Care program for dying ».

Le critère de jugement principal était la survenue d'un râle agonique de grade 2 ou supérieur tel que défini par l’échelle de Back (0 : pas de râles, 1 : râle audible si proche du patient, 2 : râle audible au pied du lit, 3 : râle audible à la porte de la chambre), mesurée à 2 reprises avec un intervalle de 4 heures. Les critères de jugement secondaires comprenaient le temps entre la reconnaissance de la phase de mort et le début d'un râle et les événements indésirables anticholinergiques.

L’intervention était poursuivie jusqu’au décès du patient. Si échec thérapeutique avec apparition de râle agonique de grade 2, arrêt du traitement expérimental et utilisation d’anti cholinergique en ouvert.

Le nombre de sujets nécessaire était de 180 patients afin de mettre en évidence une réduction cliniquement pertinente de 50% des râles, en considérant que 39% des patients présentent des râles en fin de vie, le tout avec une puissance de 80% et un risque alpha à 5%.

Résultats

Parmi 1097 patients screenés, 162 ont été randomisés, (âge médian 76 ans [IQR 66-84ans], 56% de femmes)

Critère de jugement principal

Réduction significative des râles dans le groupe scopolamine : 13% vs 27% soit une différence absolue de 14% avec un intervalle de confiance à 95% de 2% à 27%, p=0,02.

Critères de jugements secondaires

Le temps du mourir est significativement plus long dans le groupe scopolamine (42.8h vs 29.5h) p=0,04.

L’incidence cumulée sur 48 heures des râles est significativement diminuée dans le groupe scopolamine (8% vs 17%) p= 0,03.

Il n’est pas mis en évidence de différence significative sur la survenue d’effets indésirables anti cholinergiques :

agitation 28% vs 23%, sécheresse buccale (10% vs 15%, rétention aigue d’urine 23% vs 17%.

Commentaires

Le bruit produit par les mouvements oscillatoires des sécrétions dans l'oropharynx, l'hypopharynx et la trachée pendant l'inspiration et l'expiration chez des patients en phase terminale inconscients est décrit comme « le râle de la mort ». Les sécrétions sont produites par les glandes salivaires et la muqueuse bronchique. Les patients mourants sont généralement trop faibles pour expectorer ou avaler ces sécrétions. La prévalence de ce râle agonique varie considérablement de  12 %  à 92 % en fonction des études. Ils se manifestent surtout durant les dernières heures ou jours de vie, et annoncent un décès imminent. Le délai médian d'apparition est de 11 à 28 heures avant le décès. Si son impact sur les patients n’est pas clair, celui-ci peut entrainer une détresse chez les proches et les professionnels. Beaucoup de proches le ressentent comme un symptôme pénible, engendrant du stress pour eux-mêmes. La plupart des soignants sont gênés par le bruit et veulent surtout soulager la détresse des proches d’où la recherche d’une intervention.  Dans la littérature, des études ont été menées, souvent par des équipes de soins palliatifs pour diminuer ses secrétions et accompagner les proches autour de cette mort imminente. La prescription d’un traitement pour éviter l’apparition de ces râles « physiologiques de fin de vie » reste toujours discutée et les études sont discordantes. Cette étude de van Esch rapporte que l’utilisation de la scopolamine butylbromide contre placebo, administrée de manière préventive réduit l’apparition des râles.   

Points forts
  • Étude multicentrique, randomisée, double aveugle contre placebo.
  • Une prise en soin et une évaluation homogénéisée avec un modèle de surveillance prédéfini et des équipes formées.
  • Échelle pragmatique d’évaluation des râles au lit du patient.
  • Elle montre que la recherche, bien conduite, est possible dans le cadre de la fin de vie.
Points faibles
  • Seulement 10% des patients admis en USP ont pu être inclus du fait d’une mort imminente ou dans l’incapacité à recevoir une information.
  • Il n’est pas précisé dans l’étude si d’autres actions sont entreprises pour prévenir ces râles comme la diminution des apports hydriques, le positionnement du patient.
  • C’est une étude menée en USP avec des équipes sensibilisées à la prise en soin de la fin de vie, à la reconnaissance de la phase terminale avec des protocoles bien menés. L’application dans d’autres services, sans formation, peut être remise en cause.
  • Le peu de patients inclus peut avoir sous estimé la survenue d’effets indésirables aux anticholinergiques.
  • Par ailleurs, l’implication de la scopolamine dans la prolongation de la phase d’agonique ne peut pas être négligée.
Implications et conclusion

L’utilisation de la scopolamine, bien avant l’apparition des râles, apparait comme une prise en soin à privilégier lors de la mise en place des soins de confort chez ces patients. Cependant, l’exclusion des patients ayant une pneumopathie, une trachéotomie, deux situations relativement fréquentes en réanimation, peut faire discuter l’application dans nos services. De plus, la prescription médicamenteuse ne doit pas faire oublier les actions possibles auprès du patient et l’accompagnement de ses proches.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Anne Renault (PH) et Estelle Burban (interne), Service de Médecine Intensive et Réanimation, CHU Brest, France.

Les auteures déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (anne.renault@chu-brest.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. Systematic review and narrative summary: treatments for and risk factors associated with respiratory tract secretions (death rattle) in the dying adult.
    H Kolb.
    JAN 2018; 74 (7): 1446-1462
  2. Prevalence, Impact, and treatment of death rattle: A Systematic Review.£
    M E. Lokker.
    JPSM 2014; 47 (1):105-22
  3. Hyoscine butylbromide for the management of death rattle: Sooner rather than later.
    S. Mercadante.
    JPSM 2018; 56 (6): 902-7
  4. Death rattle is not associated with patient respiratory distress: is pharmacologic treatment indicated ?
    ML Campbell.
    J Pallia Med 2013; 16(10) 1255-1259
  5. Anticipation of distress after discontinuation of mechanical ventilation in the ICU at the end of life.
    EJ Kompanje.
    Intensive care Med 2008; 34 (9): 1593-9 
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI