EEG continu : le mieux est-il l’ennemi du bien ?

04/02/2021
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Article JAMA
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Continuous vs Routine Electroencephalogram in Critically Ill Adults With Altered Consciousness and No Recent Seizure:
A Multicenter Randomized Clinical Trial

Andrea O. Rossetti; Kaspar Schindler; Raoul Sutter; Stephan Rüegg; Frédéric Zubler; Jan Novy; Mauro Oddo; Loane Warpelin-Decrausaz; Vincent Alvarez
JAMA Neurol. 2020;77(10):1225-1232.

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Question évaluée

L’électroencéphalogramme (EEG) a prouvé son intérêt dans de nombreuses indications : le diagnostic et l’adaptation thérapeutique des crises non convulsivantes et/ou état de mal (1), la neuro-pronostication après un arrêt cardio-respiratoire (2), la détection d’un vasospasme à la suite d’une hémorragie sous-arachnoïdienne (3). Plusieurs études rétrospectives observationnelles ont démontré la supériorité de l’EEG continu (cEEG) dans la détection d’anomalies épileptiques et d’états de mal non convulsivants comparé à l’EEG intermittent (iEEG). Son utilisation a été préconisée par les recommandations internationales, notamment pour les patients présentant un trouble de la vigilance en réanimation (4–6). Cependant, aucune étude randomisée et prospective n’a étayé cette indication.

L’objectif de cette étude est d’évaluer l’utilisation de l’cEEG sur la mortalité et sur le pronostic neurologique comparé à l’iEEG dans la prise en charge des patients hospitalisés en réanimation présentant un trouble de la vigilance.

Type d’étude

Etude prospective, contrôlée, randomisée, multicentrique, menée sur 4 centres en Suisse.

Population étudiée

Les patients pour lesquels un EEG était demandé par les cliniciens référents (selon les pratiques propres à chaque service) étaient éligibles.

Les patients inclus devaient présenter les critères d’inclusion suivants : >18 ans et trouble de la vigilance (toute étiologie confondue) défini par un score de Glasgow ≤ 11 ou un FOUR score ≤ 12.

Les patients exclus étaient ceux avec un risque de procédure invasive dans les 48h, ayant présenté des crises dans les 36h ou un état de mal dans les 96h précédant la randomisation et ceux avec une mise en place de soins de confort.

Méthode

Les patients inclus étaient randomisés en 1:1 avec la mise en place dans les 4h d’un montage de 21-23 électrodes, associé à une vidéo-EEG ; ou 11 électrodes pour les patients neurochirurgicaux.

Pour le groupe cEEG, l’enregistrement durait 30 à 48h avec une interruption acceptée de moins de 2h pour les démarches diagnostiques. Le groupe iEEG bénéficiait de deux EEG d’une durée de 20 à 30 minutes durant 48h avec impossibilité de le répéter dans la même journée.

Le protocole était interrompu si le diagnostic de crises ou d’état de mal était posé afin de permettre une prise en charge selon les recommandations et de mettre en place un cEEG au besoin.

Le critère de jugement principal

La mortalité à 6 mois.

Les critères de jugement secondaires
  • Les thérapeutiques en cours (midazolam/propofol/antiépileptiques) au début de l’EEG
  • Diagnostiques : détection de crises ou d’état de mal ; détection de grapho-éléments inter-critiques potentiellement épileptiformes (incluant les patterns périodiques ou rythmiques)
  • Intervention médicale : modification des traitements antiépileptiques ou des sédations (instauration, interruption, majoration ou diminution) selon les résultats de l’EEG dans les 60h suivant le début de l’enregistrement ; recours à un EEG après la fin du protocole
  • Données d’hospitalisation : taux d’infections nosocomiales nécessitant une antibiothérapie ; durée de ventilation mécanique ; durée d’hospitalisation ; délai de la survenue du décès après la randomisation
  • Pronostic fonctionnel : score de Rankin, score Cerebral Performance Categories (CPC) à 6 mois

Le suivi comportait un entretien téléphonique avec les patients, l’entourage ou les médecins référents à 1 mois et 6 mois, en aveugle des groupes.

Résultats essentiels

Au total, 402 patients ont été randomisés, 182 patients dans le groupe iEEG et 182 dans le groupe cEEG ont été analysés pour le critère de jugement principal.

Les caractéristiques démographiques à l’inclusion ne différaient pas entre les 2 groupes, avec cependant une tendance non significative dans le groupe cEEG pour plus de comorbidités, plus d’encéphalopathies hypoxique-ischémique [groupe iEEG 53 (28.9%) vs 60 (32.4%) groupe cEEG] et plus de traumatismes crâniens [17 (9.3%) vs 32 (17.3%)]. Le groupe iEEG présentait de manière non significative plus d’infarctus cérébraux [18 (9.8%) vs 10 (5.4%)] et d’encéphalopathies métaboliques [14 (7.7%) vs 9 (4.9%)].

La mortalité à 6 mois ne différait pas entre les 2 groupes (RR 1.01 ; IC 95% [0.82 – 1.25]), même après ajustement sur les comorbidités et l’encéphalopathie hypoxique-ischémique (RR 1.02 ; IC 95% [0.83 – 1.26]). Il n’existait pas de différence également sur les analyses en sous-groupes (age, comorbidités, profondeur du trouble de conscience et étiologie du trouble de conscience). Le cEEG n’améliorait pas le pronostic fonctionnel, avec notamment un meilleur score de Rankin à 6 mois en faveur du groupe iEEG (RR 0.63 ; IC 95% [0.13 – 1 ;14] ; p= 0.01] et aucune différence sur le score CPC à 6 mois (RR 0.08 ; IC 95% [-0.18 – 0.33]).

Le groupe cEEG était associé à une détection plus fréquente d’anomalies inter critiques (69.2% vs 55.7% des patients, RR 1.24 ; IC 95% [1.06 – 1.46] ; p=0.009) et de crises/états de mal (15.7% vs. 4.4%, RR 3.59 ; IC 95% [1.86 – 7.64] ; p=0.001) ainsi qu’à des modifications plus fréquentes du taux de prescription d’antiépileptique (RR 1.84 ; IC 95% [1.12 – 3 ;00] ; p=0.01).

Il n’existait pas de différence concernant les autres critères de jugement secondaires et notamment concernant la modification des posologies des sédations, ni du délai de mise en place de limitation de thérapeutiques actives dans le sous-groupe d’encéphalopathies hypoxique-ischémiques.

Commentaires

Il s’agit du premier essai contrôlé, randomisé, multicentrique, comparant l’cEEG à l’iEEG chez les patients présentant un trouble de la vigilance en réanimation sans notion d’épilepsie et ces résultats vont à l’inverse des études précédentes. En effet, une étude rétrospective analysant plus de 40 000 patients sous ventilation mécanique avait démontré une diminution de la mortalité hospitalière avec l’cEEG comparé à l’iEEG (7). Une autre étude rétrospective recueillant les données de 7 millions de patients hospitalisés en réanimation avait également montré une diminution de mortalité dans le groupe cEEG comparé à l’absence ou à l’iEEG pour les patients présentant un trouble de la vigilance (8).

Plusieurs hypothèses sont avancées par les auteurs pour expliquer ces différences. Le recrutement des patients a été fait selon un trouble de la vigilance quantifié par 2 scores et à comorbidités égales, à la différence des études préalables. De plus, l’analyse du pronostic de la mortalité à long terme (6 mois), semble plus précise que celle évaluée à la sortie d’hospitalisation comme précédemment. Cependant, le recours répété à l’iEEG à moins de 48h d’intervalle ne reflète pas les pratiques cliniques habituelles de la majorité des services de réanimation, notamment dans les centres où l’accès à l’EEG y est difficile.   Malgré une meilleure détection d’anomalies épileptiformes, l’cEEG n’est pas nécessairement associée à un meilleur pronostic à 6 mois.  

Points forts

Première étude prospective, multicentrique, randomisée, avec critères d’inclusion objectifs, analyse ajustée sur les comorbidités et sur un score fonctionnel avant l’intervention pour une évaluation de la mortalité et du pronostic fonctionnel la plus objective possible.

Validité interne correcte.

Points faibles

L’un des points faibles de l’étude est l’absence de données concernant la durée de l’altération de l’état de vigilance avant inclusion qui est associée au risque de crise infraclinique (1). Les causes de décès à 6 mois ne sont pas non plus décrites. D’autre part, la population ciblée, excluant systématiquement des patients présentant des crises convulsives récentes et/ou lors de l’intervention, a pu potentiellement diminuer le rendement de l’cEEG.

Implications et conclusions

Malgré une meilleure détection d’anomalies critiques et inter critiques, cette étude n’a pas démontré que l’cEEG était associé à une diminution de mortalité ni à une amélioration du pronostic neurologique comparé à l’iEEGCes résultats invitent à réfléchir sur une potentielle surenchère thérapeutique pour chaque anomalie critique détectée avec un risque accru de survenue de complications iatrogènes. A la lumière de ces résultats, l’utilisation de l’iEEG de manière répétée semble représenter une alternative raisonnable à l’cEEG pour la prise en charge des patients présentant un trouble de la vigilance 

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Camille Legouy, Réanimation neurologique, GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences Sainte Anne, France.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

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RÉFÉRENCES

  1. Claassen J, Mayer SA, Kowalski RG, et al.: Detection of electrographic seizures with continuous EEG monitoring in critically ill patients. Neurology 2004; 62:1743–1748
  2. Rossetti AO: Clinical neurophysiology for neurological prognostication of comatose patients after cardiac arrest. Clin Neurophysiol Pract 2017; 2:76–80
  3. Rosenthal ES, Biswal S, Zafar SF, et al.: Continuous electroencephalography predicts delayed cerebral ischemia after subarachnoid hemorrhage: A prospective study of diagnostic accuracy. Ann Neurol 2018; 83:958–969
  4. Claassen J, Taccone FS, Horn P, et al.: Recommendations on the use of EEG monitoring in critically ill patients: consensus statement from the neurointensive care section of the ESICM. Intensive Care Med 2013; 39:1337–1351
  5. Herman ST, Abend NS, Bleck TP, et al.: Consensus statement on continuous EEG in critically ill adults and children, part I: indications. J Clin Neurophysiol Off Publ Am Electroencephalogr Soc 2015; 32:87–95
  6. André-Obadia N, Lamblin MD, Sauleau P: French recommendations on electroencephalography. Neurophysiol Clin Clin Neurophysiol 2015; 45:1–17
  7. Ney JP, van der Goes DN, Nuwer MR, et al.: Continuous and routine EEG in intensive care: utilization and outcomes, United States 2005-2009. Neurology 2013; 81:2002–2008
  8. Hill CE, Blank LJ, Thibault D, et al.: Continuous EEG is associated with favorable hospitalization outcomes for critically ill patients. Neurology 2019; 92:e9–e18
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX