Etomidate versus kétamine pour l’intubation endotrachéale en urgence : essai clinique randomisé

06/10/2022
Auteur(s)
Image
Article ICM
Texte

 

Etomidate versus ketamine for emergency endotracheal intubation: a randomized clinical trial
Gerald Matchett, Irina Gasanova, Christina A. Riccio, Dawood Nasir, Mary C. Sunna, Brian J. Bravenec, Omaira Azizad, Brian Farrell, Abu Minhajuddin, Jesse W. Stewart, Lawrence W. Liang, Tifany Sun Moon, Pamela E. Fox, Callie G. Ebeling, Miakka N. Smith, Devin Trousdale and Babatunde O. Ogunnaike on behalf of the EvK Clinical Trial Collaborators
Intensive Care Med (2022) 48:78–91 doi :10.1007/s00134-021-06577-x

Texte
Question évaluée

L’induction par kétamine comparée à l’étomidate serait-elle associée à une meilleure survie à J7 lors de l’intubation endotrachéale en urgence ?

Type d’étude

L’étude EvK est un essai clinique randomisé contrôlé, en ouvert, monocentrique évaluant l’intubation en urgence par l’équipe mobile d’anesthésie d’un centre hospitalo-universitaire à Dallas aux Etats-Unis entre le 6 Juin 2016 et le 7 Septembre 2020.

Population étudiée

Les critères d’inclusion concernaient tous les patients âgés de 18 ans et plus ayant besoin d’une intubation endotrachéale en urgence.

Les critères d’exclusion comprenaient les enfants (< 18 ans), les femmes enceintes, les patients précédemment à l’essai, les patients nécessitant une intubation endotrachéale sans médicaments sédatifs, les patients présentant une allergie connue à l’étomidate ou à la kétamine, et toute personne ayant officiellement indiqué ne pas souhaiter participer à cet essai clinique. Toutes les zones de l’hôpital étaient des lieux d’inclusion potentiels.

Méthode

Des enveloppes scellées pré-randomisées permettaient la répartition au hasard (1:1) des patients pour recevoir de l’étomidate IV (0,2-0,3 mg/kg) ou de la kétamine IV (1-2 mg/kg) en induction avant l’intubation. Le critère de jugement principal de l’essai était la survie à J7. La survie à J28 était un critère de jugement secondaire. L’analyse était en intention de traiter.

Les courbes de survie de Kaplan-Meier ont été estimées et le test log-rank a été utilisé pour tester l’hypothèse liée à la survie à J7 et à J28 avec un seuil de signification de 0,05.

L’essai EvK a reçu l’autorisation des autorités règlementaires américaines pour être mené en tant qu’essai d’exception au consentement éclairé.

Résultats essentiels

Parmi les 801 patients randomisés, 400 étaient dans le groupe étomidate (GE) et 401 dans le groupe kétamine (GK). Quatre patients dans le GE et trois dans le GK ont reçu d’autres médicaments d’induction. Dix inclusions ont été exclues de toutes les analyses suite à un retrait post-inclusion (GE=4, GK=6), ainsi 396 analysés dans le GE et 395 dans le GK. Le sepsis était le diagnostic pré-randomisation le plus fréquent.

La survie à J7 était significativement plus faible dans le GE que dans le GK (77,3 % contre 85,1 %, différence=− 7,8, intervalle de confiance à 95 % (IC95%)=− 13 ; − 2,4, p log-rank=0,005).

La survie à J28 ne différait pas significativement entre les deux groupes (étomidate 64,1%, kétamine 66,8%, différence − 2,7 IC95% − 9,3 ; 3,9, p log-rang=0,294). La durée de ventilation mécanique, la durée du séjour en réanimation, le pourcentage et la durée d’administration de vasopresseurs n’étaient pas significativement différents entre les deux groupes. La pression artérielle et la fréquence cardiaque avant et après l’intubation ne différaient pas entre les deux groupes. Cependant, un pourcentage plus important de patients randomisés à la kétamine a reçu un remplissage vasculaire et des vasopresseurs en bolus par rapport aux patients randomisés à l’étomidate. Enfin, le taux de collapsus cardiovasculaire post-induction selon la définition de Vanderbilt [1] était plus élevé dans le GK que dans le GE.

L’analyse des scores SOFA de J1-4 n’a montré aucune différence cliniquement significative entre les deux groupes à aucun moment évalué. Aucune différence significative n’est observée non plus concernant le diagnostic clinique d’insuffisance surrénalienne.

Les doses des agents d’induction étaient conformes aux doses recommandées dans le protocole de l’essai. La plupart des patients ont reçu un curare. Il n’y avait pas de déséquilibres évidents entre les deux groupes par rapport au choix ou la dose de curare, le choix du laryngoscope, le nombre de tentatives d’intubation ou les complications techniques (non hémodynamiques).

Commentaires

Le point perturbant dans cette étude est le choix de la survie à J7. Il n’existe aucun précédent pour ce critère d’évaluation dans d’autres essais cliniques. Les auteurs justifient leur choix non conventionnel par une volonté de placer le critère d’évaluation principal relativement près de l’évènement à évaluer en se basant sur les résultats d’une étude non publiée menée en 2015 par l’équipe mobile d’anesthésie de cet hôpital dans le cadre d’une évaluation des pratiques professionnelles. Cependant, la pertinence de la survie à J7 par rapport à la survie à J28, critère souvent utilisé dans les essais cliniques, est incertaine.

Contrairement à beaucoup d’études, la plupart des patients dans cet essai ont été intubés pour « sepsis », une population plus susceptible de bénéficier de la stabilité hémodynamique inhérente à l’utilisation de l’étomidate, et plus à risque de ses effets négatifs potentiels suite à l’insuffisance surrénalienne. Le critère de jugement principal de la survie à J7 était plus élevé chez les patients dans le GK, alors qu’il n’y avait pas de différence significative dans la survie à J28. Trois possibilités d’explication ont été suggérées par les auteurs à cette observation : 1- la différence de survie précoce pourrait être un artéfact ; 2- la différence de survie pourrait être la conséquence de conditions ou de traitements inconnus ou non évalués qui pourraient expliquer cette différence significative à court terme mais pas à long terme sur la survie entre les deux groupes de l’essai ; 3- ou la différence de survie précoce pourrait être le signe d’une différence de survie à long terme faible mais durable, que cet essai clinique manquait de puissance pour détecter.

Enfin, la randomisation à la kétamine était associée à une administration plus fréquente de vasopresseurs post-induction et à une plus grande incidence de collapsus cardiovasculaire post-induction. Compte tenu de la quantité de données manquantes, ces différences sont d’une importance clinique incertaine. Il n’y a pas de consensus établi dans la littérature concernant la stabilité hémodynamique relative de l’étomidate par rapport à la kétamine. Ketased, le plus grand essai randomisé à ce jour sur l’étomidate par rapport à la kétamine chez des patients gravement malades, n’a pas montré une telle différence [2]. Inversement, de récentes études observationnelles multicentriques à grande échelle de la base de données du National Emergency Airway Registry ont rapporté une plus grande incidence d’hypotension post-induction pendant l’intubation en urgence avec la kétamine par rapport à l’étomidate et la nécessité d’administration de vasopresseurs post-induction plus importante chez les patients ayant reçu de la kétamine [3-4].

Points forts

L’équipe mobile d’anesthésie utilisait régulièrement un ensemble de techniques cliniques qui s’alignaient sur une approche validée en réanimation de l’intubation en urgence [5].

Points faibles

Plusieurs limites sont à noter. Premièrement, une approche pragmatique du recrutement a été utilisée dans cet essai. Les cliniciens ont été autorisés à exclure les patients lorsqu’ils croyaient qu’un agent d’induction spécifique était indiqué pour un patient spécifique. Cela a probablement pu biaiser le recrutement des patients en faveur des patients pour lesquels les cliniciens croyaient sincèrement que l’étomidate ou la kétamine seraient un bon choix. De plus, les membres de l’équipe mobile d’anesthésie ont été autorisés à ajuster les doses des agents d’induction pour chaque patient comme ils le jugeaient cliniquement approprié. Malgré ces procédés, les caractéristiques des patients inclus et les doses des agents d’induction étaient comparables entre les deux groupes et la plupart des patients a reçu l’agent d’induction indiqué par la randomisation.

Deuxièmement, la méthode de randomisation, par ouverture d’enveloppe et non informatisée expose potentiellement à des biais d’autant que les équipes de réanimation n’étaient pas en aveugle, l’essai était entièrement en ouvert. Ceci a pu avoir une incidence sur les résultats d’une ampleur incertaine, mais potentiellement importante.

Enfin, l’essai clinique EvK était un essai monocentrique, et la généralisabilité de ces résultats est difficile.

Implications et conclusions

Dans cet essai clinique, les patients randomisés à la kétamine avaient une meilleure survie à J7, mais pas à J28. Compte tenu de la convergence statistique des courbes de survie au-delà de J7, tout avantage hypothétique à long terme d’éviter l’étomidate doit être soigneusement pesé par rapport au risque d’instabilité hémodynamique qui pourrait être causée par la kétamine. De nouveaux essais cliniques sont nécessaires.

Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Patricia Jabre, SAMU de Paris, CHU Necker – Enfants Malades, Paris, France.

L'auteure déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (patricia.jabre@aphp.fr) et/ou à la CERC.

Texte

Références

  1. Effect of a fuid bolus on cardiovascular collapse among critically ill adults undergoing tracheal intubation (PrePARE): a randomised controlled trial.
    Janz DR, Casey JD, Semler MW, Russell DW, Dargin J, Vonderhaar DJ, Dischert KM, West JR, Stempek S, Wozniak J, Caputo N, Heideman BE, Zouk AN, Gulati S, Stigler WS, Bentov I, Jofe AM, Rice TW, PrePARE Investigators; Pragmatic Critical Care Research Group (2019)
    Lancet Respir Med 7(12):1039–1047. https://doi.org/10.1016/S2213-2600(19)30246-2
  2. Etomidate versus ketamine for rapid sequence intubation in acutely ill patients: a multicentre randomised controlled trial.
    Jabre P, Combes X, Lapostolle F, Dhaouadi M, Ricard-Hibon A, Vivien B, Bertrand L, Beltramini A, Gamand P, Albizzati S, Perdrizet D, Lebail G, Chollet-Xemard C, Maxime V, Brun-Buisson C, Lefrant JY, Bollaert PE, Megarbane B, Ricard JD, Anguel N, Vicaut E, Adnet F, KETASED Collaborative Study Group (2009)
    Lancet 374(9686):293–300. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(09) 60949-1.
  3. Ketamine versus etomidate and peri-intubation hypotension: a national emergency airway registry study.
    April MD, Arana A, Schauer SG, Davis WT, Oliver JJ, Fantegrossi A, Summers SM, Maddry JK, Walls RM, Brown CA, NEAR Investigators (2020)
    Acad Emerg Med 27(11):1106–1115. https://doi.org/10.1111/acem.14063
  4. Etomidate use is associated with less hypotension than ketamine for emergency department sepsis intubations: a NEAR Cohort Study.
    Mohr NM, Pape SG, Runde D, Kaji AH, Walls RM, Brown CA 3rd (2020)
    Acad Emerg Med 27(11):1140–1149. https://doi.org/10.1111/acem.14070 8.
  5. An intervention to decrease complications related to endotracheal intubation in the intensive care unit: a prospective, multiple-center study.
    Jaber S, Jung B, Corne P, Sebbane M, Muller L, Chanques G, Verzilli D, Jonquet O, Eledjam JJ, Lefrant JY (2010)
    Intensive Care Med 36(2):248–255. https://doi.org/10.1007/s00134-009-1717-8.
  6. A modifed Montpellier protocol for intubating intensive care unit patients is associated with an increase in frst-pass intubation success and fewer complications.
    Corl KA, Dado C, Agarwal A, Azab N, Amass T, Marks SJ, Levy MM, Merchant RC, Aliotta J (2018)
    J Crit Care 44:191–195. https://doi.org/10.1016/j.jcrc.2017.11.014.
Texte

CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI