Etre personne de confiance, ça ne s’improvise pas !

21/03/2019
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How do clinicians prepare family members for the role of surrogate decision-maker?
Cunningham TV, Scheunemann LP, Arnold RM, White D.
J Med Ethics. 2018 Jan;44(1):21-26

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Question évaluée

La littérature met en avant que de nombreuses décisions de fin de vie prises par les familles diffèrent de celles que le patient aurait pu prendre pour lui-même (1, 2, 3).  Face à ces résultats, Cunningham et al se demandent si les professionnels de santé des soins intensifs informent suffisamment les familles du  rôle de la personne de confiance.

Population étudiée

Soixante-treize entretiens familiaux en soins intensifs ont été enregistrés dans deux hôpitaux de Californie. Ces entretiens réunissaient médecins, infirmiers ou travailleurs sociaux avec la famille. L’objectif était de discuter de la limitation, l’arrêt des soins ou d’un diagnostic avec un pronostic péjoratif pour un patient en incapacité de donner ses volontés.

Méthode

Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits. Les auteurs ont développé et appliqué une grille de codage pour identifier si et comment les professionnels de santé mentionnaient à la personne de confiance les principes éthiques de Buchanan et Brock (4) pour prendre une décision pour une personne dans l’incapacité de donner ses volontés.

Une analyse qualitative a été réalisée selon deux principes de codage :

  • Déductif afin de décrire et d’évaluer la fréquence à la laquelle les professionnels de santé mentionnaient les 3 principes de Buchanan et Brock.
  1. Si existence de directives anticipées (écrites ou orales), elles doivent être suivies (norme de préférences déclarées).
  2. La personne de confiance doit choisir, comme le patient choisirait, si celui-ci était compétent et conscient (norme de jugement substitué).
  3. La personne de confiance doit choisir ce qui servira le mieux les intérêts ou la volonté du patient. Cette norme est appliquée dans les cas où la personne de confiance a très peu de connaissance sur les souhaits/valeurs du patient dans cette situation (norme d’intérêt supérieur).
  • Inductif afin de repérer comment les cliniciens expliquaient le rôle de personne de confiance.

Une analyse quantitative avait pour but de relever à quelle fréquence une information sur le rôle de la prise de décision avait été discutée avec la personne de confiance proportionnellement à tous les entretiens.

Résultats essentiels

Pour 47 entretiens soit 66%, le rôle de la personne de confiance n’a pas été mentionné. Lorsque les cliniciens discutaient du rôle de la personne de confiance avec la famille, trois types d’informations étaient données : information relative à une ou plusieurs recommandations selon Buchanan et Brock (23%); information pour prendre des décisions centrées sur le patient en tant que personne, sans préciser comment y parvenir (14%) ; et information pour prendre des décisions en fonction des valeurs de la famille (8%).

Commentaires

Dans les deux tiers des entretiens les professionnels de santé n’ont pas fourni d’informations sur le rôle de la personne de confiance. Lorsqu’ils le faisaient, ces informations étaient souvent incomplètes et parfois en contradiction avec les recommandations de  Buchanan et Brock.

Au regard de ces résultats, les auteurs proposent trois explications possibles :

  • Les professionnels de santé manquent d’une formation adéquate sur l’éthique de la décision de la personne de confiance.
  • Les professionnels de santé ont peur d’aborder ce sujet considéré comme sensible et conflictuel.
  • Enfin, les professionnels de santé sous-estiment la complexité du rôle de la personne de confiance (la tâche cognitive et la charge émotionnelle).

Les auteurs s’interrogent également sur la qualité de la décision de la personne de confiance. Il est important de mieux informer, accompagner, voire comme le souligne Cunningham et al, « d’éduquer » les familles sur le rôle de la personne de confiance en leur fournissant « des directives éthiques » pour organiser leur jugement. Cela peut aider les familles à s’appuyer sur un cadre qui leur permettra de mettre à distance la charge émotionnelle induite par la situation, réduire les biais liés aux projections vis à vis du patient et réduire le sentiment de responsabilité personnelle.

Points forts

La méthodologie qualitative est bien renseignée et le codage des entretiens a été réalisé par deux chercheurs de manière indépendante.  La mise en place d’une analyse qualitative des entretiens a permis de s’attacher à la manière dont les cliniciens informent les familles et de mettre en évidence leurs difficultés à aborder ce sujet.

Points faibles

Le principal biais méthodologique concerne le fait que l’enregistrement d’un seul entretien par famille ne permet pas d’exclure le fait que le rôle de la personne de confiance ait été explicité à un autre moment que celui de la recherche.

La partie analyse quantitative n’apporte que de faibles éléments de compréhension à l’étude. Les auteurs mettent en avant la faible fréquence d’informations données sur le rôle de la personne de confiance aux familles, mais n’ont aucun repère sur le nombre de recommandations nécessaires à apporter à la famille.

On peut regretter l’absence d’évaluation du vécu de l’entretien par la famille qui aurait permis de mieux évaluer le niveau d’information nécessaire à fournir.

En effet, l’expérience nous montre que la quantité d’information ou le suivi d’une check-list de recommandations n’est pas gage d’une meilleure compréhension ou d’un meilleur vécu par les familles (5). Il est important de pouvoir adapter son discours aux dimensions émotionnelles, comportementales et cognitives impliquées dans un entretien.

Implications et conclusions

L’admission d’un patient en réanimation doit s’accompagner de l’identification d’une personne de confiance, référent privilégié dans les échanges avec l’équipe médicale tant que le patient n’est pas en mesure de s’exprimer lui-même. La notification précise dans le dossier médical de l’identité de la personne de confiance, et de la teneur des échanges avec elle, est nécessaire.

Cette étude ouvre des perspectives de recherche tout à fait intéressantes sur la nécessité d’informer et d’accompagner les familles dans leur rôle de personne de confiance et de mesurer si cet accompagnement permet d’améliorer la prise de décision et de diminuer la détresse émotionnelle des familles dans une telle situation.

L’étude de Cunningham et al. permet également de pointer l’importance de mieux former et sensibiliser les professionnels de santé sur leur rôle d’information des familles quant à la manière de prendre une décision pour une personne dans l’incapacité de donner ses volontés.

Toutefois, il est nécessaire ici de s’interroger sur le vocable « surrogate decision-maker », depuis la loi du 22 avril 2005, la responsabilité de la décision de limitation ou d’arrêt des traitements et de son application incombe au médecin en charge du patient (6). La personne de confiance et la famille sont impliquées dans le processus de décision afin d’éclairer l’équipe médicale sur les souhaits et valeurs du patient. Ce point est essentiel car il contribue à diminuer pour les familles les affects de culpabilité, de détresse ou les conflits intrafamiliaux liés à la décision.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par Alexandra Laurent.

A. Laurent déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
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Liens utiles

  1. Shalowitz DI, Garrett-Mayer E, Wendler D. The accuracy of surrogate decision makers. Arch Intern Med 2006;166:493–7.
  2. Chambers-Evans J, Carnevale FA. Dawning of awareness: the experience of surrogate decision making at the end of life. J Clin Ethics 2005;16:28–45.
  3. Fagerlin A, Ditto PH, Danks JH, et al. Projection in surrogate decisions about lifesustaining medical treatments. Health Psychol 2001;20:166–75.
  4. Buchanan AE, Brock DW. Deciding for others: the ethics of surrogate decision making: Cambridge University Press, 1989
  5. Chahraoui K, Laurent A et col. (2015) Vulnérabilités psychiques et cliniques extrêmes en réanimation. Paris: Dunod.
  6. Limitation et arrêt des traitements en réanimation adulte. Actualisation des recommandations de la Société de réanimation de langue française. Réanimation 2010;19:679—98.
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
S. HRAIECH
G. JACQ
JF. LLIJTOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX