Faut-il adopter le paiement à la performance en réanimation ?

17/05/2018
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reactu-performance en reanimation
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Effects of Physician-Targeted Pay-for-Performance on Use of Spontaneous Breathing Trials in Mechanically Ventilated Patients.
Ian J Barbash, Francis Pike, Scott R Gunn, Christopher W Seymour, Jeremy M Kahn.
Am J Respir Crit Care Med 2017;196(1):56-63

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Question évaluée

Est-ce qu’une incitation financière significative (2,5% du salaire annuel) personnalisée permet d’améliorer la qualité des soins, en l’occurrence la réalisation quotidienne d’épreuve de sevrage ventilatoire (ESV) chez des patients ventilés en unité de soins intensifs ?

Type d’étude

Comparaison avant (6 mois)/ après (2 ans) mise en place de l’incitation financière. Analyse à partir d’un registre de données de suivi portant sur la qualité des soins et comprenant le nombre de jours de ventilation, le nombre de jour ou le patient était éligible à une ESV, le nombre de jour où une ESV a été réalisée et les raisons de non-éligibilité éventuelle parmi une liste de critères.

Population étudiée

Patients hospitalisés dans une unité de réanimation au sein de 3 hôpitaux de l’université de Pittsburgh Pennsylvanie: hôpital A (132 lits de réanimation au sein de 8 unités spécialisées), hôpital B (une unité de réanimation polyvalente de 14 lits) et hôpital C (49 lits de réanimation au sein de 3 unités spécialisées).

Méthode

Mesure de l’observance de l’ESV quotidienne par calcul du rapport « nombre d’ESV réalisées/jours éligibles » et évaluation des critères de non éligibilité six mois avant, un, et deux ans après l’introduction d’un bonus financier lorsque le rapport atteint ou dépasse 90%. Critères de jugement secondaires : durée de ventilation, durée du séjour en unité de soins intensifs, mortalité avec ajustement et stratification par service et hôpital.

Résultats essentiels

7291 patients cumulant 75621 jours de ventilation répartis de façon très inégale au sein des 3 hôpitaux (4888 patients dans l’hôpital A, 311 patients dans l’hôpital B et 2101 dans l’hôpital C). Les caractéristiques des patients étaient comparables entre les 2 périodes. La proportion de patients ventilés était proche de 80% et la mortalité hospitalière de 20%. Il n’y avait pas de changement pour l’hôpital A dont le score initial était de 96,8%. Amélioration très significative pour l’hôpital B passant de 16,4% à 26,0% la 1ère année et à 93,7% la 2ème année. Amélioration significative pour l’hôpital C passant de 74,7% à 83,4% puis à 91,7%. Cette amélioration allait de pair avec une augmentation des taux d’exclusion (jours où l’ESV était considérée comme non faisable/ jours d’hospitalisation) dans les hôpitaux B et C et c’est l’augmentation de ce taux d’exclusion qui expliquait intégralement pour ce dernier hôpital l’augmentation du score en diminuant le dénominateur du rapport (nombre de jours ou l’ESV est faisable). La mortalité ajustée n’était pas modifiée au cours de la période d’étude. On notait une diminution modérée de la durée de ventilation et la durée de séjour dans l’hôpital C mais aucun changement dans l’hôpital B, seul à avoir réellement augmenté la réalisation déclarée d’ESV.

Commentaires

Cette étude négative aux dires même de ses auteurs, confirme la loi de Goodhart selon laquelle un critère intermédiaire (ou indicateur) qui est prédictif d’un évènement clinique pertinent lors d’études observationnelles a de fortes chances de perdre son caractère prédictif dès lors qu’il devient un critère d’évaluation, a fortiori s’il donne lieu à un intéressement financier. En effet les soignants se mettent alors « à soigner l’indice plutôt que le malade ». Ainsi cette étude ne remet pas en cause l’effet bénéfique de la réalisation quotidienne d’une épreuve de sevrage ventilatoire, chez les patients qui en ont les critères, sur la durée de ventilation mécanique. Elle confirme l’inadéquation du « pay for performance » (P4P) pour améliorer la qualité des soins (1,2,3,4,5,6). Elle soulève la question de comportements opportunistes, en l’occurrence la diminution observée du nombre de jours d’éligibilité pour augmenter le score en diminuant le dénominateur. Par ailleurs, il n’y a pas de données sur l’évolution d’autres marqueurs de qualité des soins qui, non rétribués, risquent de se dégrader (7). Cette étude devrait par contre susciter une réflexion sur l’articulation entre motivation intrinsèque (la satisfaction personnelle et partagée par l’équipe de bien faire) et motivation extrinsèque (ici la rétribution financière au risque de dévaloriser le comportement souhaité s’il est insuffisamment rétribué et de disqualifier les autres facteurs de qualité ne donnant pas lieu à un intéressement financier).

Points forts

Actualité de la question posée, nombre de patients, disparité des centres, pertinence des critères de jugement.

Points faibles

Absence de contrôle de la fiabilité des données de la database.

Implications et conclusions

Il paraît vain de chercher à accroître l‘efficience du P4P en le complexifiant (multiplication et modifications des indices, valorisation de la progression et pas seulement du résultat, accroissement des contrôles, augmentation des sommes versées ou introduction de pénalités). Il semblerait plus pertinent de comparer la politique du bonus financier au quatuor gagnant de la qualité (formation, travail en équipe, évaluations, rendu public des résultats). L’évaluation doit porter sur des indicateurs pertinents combinant procédures et résultats cliniques. Elle doit être diverse  et continue : autoévaluation, évaluation par les correspondants, évaluation comparative. Elle doit déboucher sur la mise en œuvre de procédures d’amélioration avant de donner lieu secondairement à un rendu public des résultats.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Pr André Grimaldi, Service de Diabétologie, CHU La Pitié-Salpêtrière Paris, France

L’auteur déclare les liens suivants: fondateur du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public (MDPH), honoraires du laboratoire MSD pour une conférence sur le P4P. Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (andre.grimaldi@aphp.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Ashish KJ et al. The long term effect of premier Pay for performance on patient outcomes. N Engl J Med 2012;366:1606-15.
  2. Kristensen SR et al. Long term effect of hospital pay for performance on mortality in England. N Engl J Med 2014;371:540-8.
  3. Roland M, Campbell S. Successes and failures of pay for performance in the United Kingdom. N Engl J Med 2014;370:1944-48.
  4. Lalloué B et al. Evaluation of the effects of the French pay-for-performance program-IFAQ pilot study. Int J Qual Health Care 2017;29:833-837. doi: 10.1093/intqhc/mzx1118.
  5. Milstein R, Schreyoeggn J. Pay for performance in the inpatient sector: a review of 34 P4P programs in 14 OECD countries Health Policy 2016;120:1125-40.
  6. Frakt AB, Jha AA. Face the facts: we need to change the way we do pay for performance. Ann Intern Med 2018;168:291-292.
  7. Campbell S, Reeves D, Kontopantelis E et al. Effects of pay for performance on the quality of primary care in England. N Engl J Med 2009;361:368-78.
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CERC

G. MULLER (Secrétaire)
N. AISSAOUI
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
D. GRIMALDI
S. HRAIECH
G. JACQ
JB. LASCARROU
P. MICHEL
G. PITON
A. YOUSSOUFA