Fin de vie en réanimation : pas tous égaux…

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Article Lancet
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Variations in end-of-life practices in intensive care units worldwide (Ethicus-2): a prospective observational study.
Alexander Avidan, Prof Charles L Sprung, Joerg C Schefold, Prof Bara Ricou, Prof Christiane S Hartog, Prof Joseph L Nates, et al.
Lancet Respir Med 2021;9:1101-10

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Question évaluée

Existe-t-il une disparité concernant les pratiques de fin de vie en réanimation à travers le monde ?

Type d’étude

Étude de cohorte, observationnelle, prospective, multicentrique et internationale

Population étudiée

Les patients admis consécutivement en réanimation durant une période de 6 mois entre le 1er septembre 2015 et le 30 septembre 2016 et qui sont décédés ou qui étaient limités (abstention ou retrait des traitements de suppléance et euthanasie) ont été inclus dans l’étude.

Méthode

Le critère de jugement principal était la pratique de fin de vie classée selon 4 catégories : abstention d’introduction d’un traitement de suppléance, retrait d’un traitement de suppléance, euthanasie et échec de la réanimation cardio-pulmonaire. Les patients atteints de mort cérébrale ont été inclus dans une catégorie de fin de vie prédéfinie distincte. Les données des patients ont été étudiées jusqu'au décès ou 2 mois après la première décision de limitation. Des comparaisons des pratiques ont été effectuées entre les pays participants.

Résultats essentiels

Au total, 12 850 patients (14,6% de l’ensemble des admissions) ont été inclus parmi 199 services de réanimation de 36 pays. L’abstention d’introduction d’un traitement de suppléance était la pratique la plus fréquemment retrouvée avant le décès pour l’ensemble des régions du monde (44,1%). Par contre, le retrait des traitements de suppléance (versus l’abstention) était majoritairement retrouvé en Europe du Nord (38% vs 53%) et de manière minoritaire en Amérique Latine (5,8% vs 61%) et en Afrique (13% vs 20%). L’euthanasie était rare dans toutes les régions (0,5%). Les décès suite à l’échec d’une réanimation cardio-pulmonaire étaient plus fréquents en Afrique (65%) et en Amérique Latine (28%) par rapport à l’Europe du Nord (3,7%) et à l’Australie-Nouvelle Zélande (4,7%). La mort cérébrale est survenue chez 650 patients (5,1 %).

Un peu moins de 30% des patients inclus ont survécu à l’hospitalisation après l’abstention d’un traitement de suppléance et 11,5% après un retrait des traitements de suppléance.

Les facteurs associés aux limitations (abstention ou retrait d’un traitement de suppléance et euthanasie) étaient le pays, l'âge des patients, les pathologies (aigues et chroniques) et la législation nationale en matière de fin de vie.

En France, 824 patients ont été inclus (soit 22,1% des admissions en réanimation) et 83% sont décédés. Les catégories de fin de vie en Europe Centrale sont respectivement : 47% pour l’abstention d’introduction d’un traitement de suppléance, 37% pour le retrait des traitements de suppléance, 0,6% pour l’euthanasie, 11% pour l’échec de la réanimation cardio-pulmonaire et 4% pour la mort encéphalique.

Commentaires

Il s’agit de la plus grande étude jamais réalisée concernant les pratiques de fin de vie impliquant un grand nombre de pays à travers le monde et notamment la France ce qui n’était pas le cas dans Ethicus-1.

Il faut rappeler ici que la décision de limiter le recours à un traitement de suppléance (abstention ou retrait) relève en grande partie de la responsabilité du médecin réanimateur (1). Les raisons les plus courantes justifiant cette décision sont l'âge du patient, son autonomie antérieure, les comorbidités, la qualité de vie future attendue, le diagnostic à l'admission, l’absence de réponse à un traitement maximal et une défaillance multiviscérale (2). Malgré ces raisons, la décision peut être influencée par de nombreux facteurs (3), tels que la disponibilité des ressources et le milieu environnant, l'utilisation de stratégies intensives de communication, la présence d’une équipe de soins multidisciplinaires, la culture institutionnelle, les différences culturelles entre les pays, les croyances religieuses des médecins, les consultations d'éthique et la disponibilité en lits de réanimation.

Ceci explique, même si cela n’est pas démontré dans Ethicus-2 que la limitation des traitements de suppléance était plus fréquente en Europe du Nord et en Australie/Nouvelle-Zélande plutôt qu'en Amérique latine et en Afrique. Pour atténuer ces différences, parfois très importantes entre les pays, Sprung CL et al. (4) ont proposé dans le cas d’un large consensus international  quelques pistes de réflexions pour améliorer les pratiques de fin de vie en réanimation : 1) soutenir l'utilisation de directives anticipées, 2) s’appuyer sur une personne référente susceptible de connaître les volontés du patient, si celui-ci n’est plus en état de s’exprimer 3) améliorer la communication entre les professionnels de santé, le patient et ses proches, 4) s’appuyer sur des décisions partagées, 5) anticiper, prévenir et soulager la souffrance afin d'optimiser la qualité de vie des patients en phase terminale.

Il pourrait être également proposé que, dans le parcours de soin du patient, soit discuté de façon anticipée la pertinence de la mise en œuvre d’un traitement de suppléance et donc d’une admission en réanimation (5). Le réanimateur pourrait dans cette situation donner un avis éclairé dans le cadre d’une réunion de concertation pluridisciplinaire en anticipant ainsi la dégradation aigue potentielle d’une situation clinique.

Points forts
  • Le nombre de patients inclus de manière prospective et consécutive à travers le monde
  • L’uniformisation de la définition de la fin de vie
Points faibles
  • Les données concernant les pratiques éthiques ont été collectées à postériori et n’ont donc pas permis de justifier des pratiques réalisées en fin de vie et notamment d’expliquer un taux élevé de survie après une décision de limitation des traitements de suppléance.
Implications et conclusions

La limitation (abstention ou retrait des traitements de suppléance) semble la pratique la plus courante dans le monde concernant la fin de vie avec une variabilité très importante selon les pays. Il reste encore à investiguer les causes de cette variabilité, qu’elles soient culturelles, religieuses ou juridiques avec comme objectif l’amélioration des pratiques de soins de fin de vie.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par

Jean-Pierre Quenot, Service de Médecine Intensive-Réanimation, CHU Dijon, France et Jean-Philippe Rigaud, Service de Médecine Intensive-Réanimation, CH Dieppe, France.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (jean-pierre.quenot@chu-dijon.fr ; JRigaud@ch-dieppe.fr) à la CERC.

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Références

  1. The Intensive care unit specialist: Report from the Task Force of World Federation of Societies of Intensive and Critical Care Medicine.
    Amin P, Fox-Robichaud A, Divatia JV, et al.
    J Crit Care.2016;35:223-8.
  2. Impact of an intensive communication strategy on end-of-life practices in the intensive care unit.
    Quenot JP, Rigaud JP, Prin S, Barbar S, Pavon A, Hamet M, Jacquiot N, Blettery B, Herve C, Charles PE et al.
    Intensive Care Med 2012, 38(1):145-152.
  3. What are the ethical aspects surrounding the collegial decisional process in limiting and withdrawing treatment in intensive care?
    Quenot JP, Ecarnot F, Meunier-Beillard N, Dargent A, Large A, Andreu P, et al.
    Ann Transl Med 2017;5(Suppl 4):S43
  4. Seeking worldwide professional consensus on the principles of end-of-life care for the critically ill. The Consensus for Worldwide End-of-Life Practice for Patients in Intensive Care Units (WELPICUS) study.
    Sprung CL, Truog RD, Curtis JR, et al.
    Am J Respir Crit Care Med.2014;190:855-66.
  5. The Intensive Care Physician: an External Consultant to Help Patients and Next of Kin with Decision-Making?
    Rigaud JP, Meunier-Beillard N, Aubry R, Dion M, Ecarnot F, Quenot JP.
    Réanimation 2016;25:367-71.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ