Haut les cœurs pour l’état de mal épileptique !

04/01/2024
Texte

Paul Chinardet, Floriane Gilles, Helene Cochet, Jonathan Chelly, Jean-Pierre Quenot, Gwenaelle Jacq, Pauline Soulier, Olivier Lesieur, Pascal Beuret, Mathilde Holleville, Cedric Bruel, Pierre Bailly, Bertrand Sauneuf, Caroline Sejourne, Arnaud Galbois, Candice Fontaine, François Perier, Nicolas Pichon, Marine Arrayago, Nicolas Mongardon, David Schnell, Jean-Baptiste Lascarrou, Raphaële Convers, Stephane Legriel

Electrocardiographic Changes at the Early Stage of Status Epilepticus: First Insights From the ICTAL Registry

Crit Care Med. 2023 Mar 1;51(3):388-400. doi: 10.1097/CCM.0000000000005768

Texte
Question évaluée

Evaluation des modifications précoces de l’électrocardiogramme (ECG) dans les suites d’un état de mal épileptique (EME) et leurs associations avec le pronostic à 90 jours.

Type d’étude 

Etude observationnelle rétrospective d’une cohorte multicentrique française prospective

Population étudiée

Patients admis dans une des 23 réanimations et inclus dans le registre ICTAL entre Février 2018 et Juin 2020.

Critères d’inclusion :

  • Être âgé de 18 ans ou plus
  • Admis pour un EME
  • Réalisation d’au moins un ECG après le début de l’EME

Critères d’exclusion :

  • EME post anoxique
  • Crise non épileptique
  • ECG électro-entrainé
  • ECG réalisé plus de 24h après le début de l’EME et plus de 12h après sa résolution
Méthode

Les données des patients inclus dans le registre ICTAL étaient analysées de manière rétrospective.

Le pronostic fonctionnel à 3 mois était évalué avec le Glasgow Outcome Scale (GOS). Une perte d’un point au moins par rapport au score estimé avant l’hospitalisation était défini comme mauvais pronostic fonctionnel.

Le 1er ECG réalisé était analysé de manière rétrospective par 2 cardiologues séniors en double-aveugle.

Les ECG analysés étaient ensuite classés en normal ou anormal. S’ils étaient classés en anormal, ils étaient subdivisés en anomalies mineures ou majeures selon la classification Novacode.

Les données concernant l’imagerie cérébrale et les EEG ont été collectées de manière rétrospective dans le dossier médical sans réinterprétation. Les données d’imagerie et de biologie cardiaque étaient aussi récoltées de manière rétrospective sans nouvelle analyse.

Résultats essentiels

Parmi les 180 patients inclus de manière prospective dans le registre ICTAL, 25 n’ont pas remplis les critères d’inclusion, laissant 155 patients pour l’analyse finale. La population était majoritairement masculine (69,7%). Les patients avaient les caractéristiques classiques d’une population d’état de mal épileptique en réanimation : Un EME réfractaire était diagnostiqué dans 32,9% des cas et 76,1% des patients étaient sous ventilation mécanique. 51% (79/155) avaient une comorbidité cardiaque antérieure.

L’ECG initial était considéré comme anormal dans 93,5% (145/155) des cas. De plus, dans 62,8% (91/145) l’anormalité était définie comme majeure. Les anomalies les plus fréquentes étaient : la tachycardie sinusale (44,1%), l’élévation ou la dépression du segment ST (16,6% et 17,9% respectivement) et la présence d’ondes T négatives (42,1%). L’ECG de contrôle réalisé chez seulement 38 patients montrait une persistance des anomalies chez 25 patients (65,8%). Cela était plus fréquent chez les patients avec un EME réfractaire (32% vs 23,1% ; p = 0.71). A noter, le type de médicament antiépileptique utilisé n’était pas associé à la présence d’anomalies ECG. A l’admission en réanimation, il y avait, par ailleurs, une association entre les anomalies ECG majeures et la détresse respiratoire, la fréquence cardiaque et le taux de lactate. Durant l’hospitalisation, les anomalies ECG n’avaient été relevées par les médecins en charge que dans 35,2% des cas, soit 45,1% des ECG classés avec des anomalies majeures. Une consultation ou un avis cardiologique n’avait été sollicité que dans 20,0% des cas.

La mortalité intra-hospitalière était de 17,4% (27/155) et la mortalité totale à 90 jours était de 21,3% (30/141). A 90 jours, le GOS était connu pour 139 patients et parmi eux 67 (48,2%) étaient retournés à leur score initial. L’analyse multivariée retrouvait 3 variables associés de manière significative à un mauvais pronostic fonctionnel à 3 mois : l’âge, la lésion cérébrale responsable de l’EME et une comorbidité préexistante mortelle. Une anomalie majeure sur l’ECG précoce n’était pas associée avec un mauvais pronostic fonctionnel à 3 mois.

Commentaires

Cette étude retrouve, dans une population classique d’états de mal épileptiques admis en réanimation, 93,5% d’anomalies à l’ECG dont 62,8% d’anomalies majeures. Cette prévalence est supérieure à celle des études de Boggs et al. (58,3%) (1) et de Hocker et al. (65,7%) (2). La variation du rythme cardiaque est fréquente et a été imputée à la décharge adrénergique présente lors de l’EME. Une tachycardie est en effet rapportée de manière fréquente (3), dépendante cependant du type de crise. La proportion de patient avec une anomalie du segment ST était également plus importante que celle décrites dans d’autres études comme Boggs et al. (élévation 3,3% et dépression 10,0%) (1) et Kurukumbi et al. (élévation 3,5% et dépression 10,0%) (4).

Cette étude ne montrait néanmoins pas d’association entre les anomalies ECG et le pronostic fonctionnel à 90 jours alors que l’étude de Hocker et al. (2) avait montré une mortalité significativement plus élevée chez les patients avec des anomalies cardiaques. Cependant, les preuves de cette association souffrent d'un manque de puissance et de l'absence d'une approche statistique analytique multivariable dans cette dernière étude. Cette possible association a été proposée en raison de la présence de complications systémiques à la phase aiguë de l’EME (5). Cependant, même si elle existait cette association semble moins importante que celles décrites pour les autres facteurs pronostiques habituels tels que l'âge, la durée de l’EME, le caractère réfractaire, la cause et l'intensité du coma initial (6,7).

Points forts

Il s’agit d’étude multicentrique certes rétrospective mais sur une cohorte dont les données ont été acquises de manière prospective. Elle s’intéresse à un sujet délicat dans le domaine de la réanimation du patient neurolésé, l’interaction cœur-cerveau. Si celle-ci a été bien étudiée dans les crises d’épilepsie et les hémorragies méningées, elle l’a moins été dans les états de mal épileptique. Cette étude démontre la fréquence très élevée des anomalies ECG dans cette pathologie même si elle ne peut en démontrer la relevance clinique.

Points faibles

L’inclusion concernait seulement les patients admis en réanimation et ne représente donc pas l’ensemble du spectre des états de mal épileptiques. Il aurait été intéressant d’avoir une comparaison à des ECG antérieurs à l’état de mal et cela d’autant plus qu’un certain nombre de patients avait des comorbidités cardiaques et donc avaient déjà probablement eu un ECG. Par ailleurs, la nature rétrospective de l’étude a empêché d’évaluer la relevance clinique de ces anomalies. En effet, moins de la moitié avaient été identifiées par le médecin en charge. On peut supposer qu’elles étaient donc considérées comme « attendues » ou « non graves ». Par ailleurs, la durée avant normalisation des ECG aurait été intéressante à avoir.

Un élément très intéressant aurait été d’avoir une corrélation entre ECG et anomalies EEG. Malheureusement les ECG et les EEG n’avaient pas été réalisés simultanément. Cela sera sans doute à réaliser sur une étude prospective.

Implications et conclusions

Dans cette étude, les anomalies ECG lors de l’EME étaient fréquentes et majoritairement classées comme graves. Elles étaient associées à la survenue d’une hypoxie clinique et biologique. Les anomalies ECG n’étaient néanmoins pas associées à un mauvais pronostic fonctionnel. La question de savoir si le dépistage de ces anomalies ECG lors des EME est utile à la prise en charge reste ouverte.

Texte

RÉFÉRENCES

  1. Boggs JG, Painter JA, DeLorenzo RJ: Analysis of electrocardiographic changes in status epilepticus. Epilepsy Res 1993; 14:87–94 26.
  2.  Hocker S, Prasad A, Rabinstein AA: Cardiac injury in refractory status epilepticus. Epilepsia 2013; 54:518–522
  3.  Opherk C, Coromilas J, Hirsch LJ: Heart rate and EKG changes in 102 seizures: Analysis of influencing factors. Epilepsy Res 2002; 52:117–127
  4. Kurukumbi M, Solieman N, Al-Hamad S, et al: Prognostication of electrocardiographic changes with status epilepticus in African American population. J Neurol Res 2014; 4:63–71
  5. Hawkes MA, Hocker SE: Systemic complications following status epilepticus. Curr Neurol Neurosci Rep 2018; 18:7
  6. Rossetti AO, Hurwitz S, Logroscino G, et al: Prognosis of status epilepticus: Role of aetiology, age, and consciousness impairment at presentation. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2006; 77:611–615 45.
  7. Sutter R, Kaplan PW, Ruegg S: Outcome predictors for status epilepticus--what really counts. Nat Rev Neurol 2013; 9:525–534
Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Dr Cédric Batot et le Pr Nicolas Weiss, Médecine intensive Réanimation à orientation neurologique, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP.Sorbonne Université, France. 

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (nicolas.weiss@aphp.frcedric.batot@aphp.fr) et à la CERC.

Texte

CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI