Impact des modifications de l’osmolalité plasmatique sur l’œdème cérébral dans l’encéphalopathie hépatique : une étude physiopathologique en scanner X

21/02/2019
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Texte

Osmotic Shifts, Cerebral Edema, and Neurologic Deterioration in Severe Hepatic Encephalopathy.
Eric Michael Liotta; Anna L. Romanova; Bryan D. Lizza; Laura J. Rasmussen-Torvik; Minjee Kim; Brandon Francis; Rajbeer Singh Sangha; Timothy J. Carroll; Daniel Ganger; Daniela P. Ladner; Andrew M. Naidech; James J. Paparello; Shyam Prabhakaran; Farzaneh A. Sorond; Matthew B. Maas.
Critical Care Medicine, 2018 : 46(2) : 280-89.

Texte

Question évaluée

Déterminer, dans une population de patients présentant une insuffisance hépatique et une encéphalopathie hépatique (EH), l’effet des variations de l’osmolalité plasmatique sur le volume cérébral et les signes neurologiques.

Type d’étude

Etude rétrospective.

Population étudiée

Patients présentant une insuffisance hépatique, aiguë ou aiguë sur chronique, et une EH clinique sévère.

Méthode

Etude rétrospective sur registre réalisée entre juillet 2012 et juin 2017 à la Northwestern University à Chicago (IL) au sein d’une réanimation à orientation neurologique.

Les critères d’inclusion principaux étaient :

  • Insuffisance hépatique aiguë (acute liver failure, ALF) ou aiguë sur chronique (acute-on-chronic liver failure, ACLF).
  • EH clinique sévère définie comme un score de West-Haven à 3 (somnolence, altération de la conscience) ou 4 (coma).
  • Avoir bénéficié au minimum de 2 scanners cérébraux réalisés avec un intervalle de moins de 48h.

La prise en charge classique du centre comprenait un protocole d’administration de sérum salé hypertonique (SSH) en cas d’épuration extra-rénale (EER) afin d’éviter une chute de l’osmolalité de plus de 10 mOsm/kg pour les EH grade 4 et de plus de 20 pour les EH de grade 3.
Les scanners cérébraux étaient acquis sous forme de coupes successives de 5mm d’épaisseur et analysées par le logiciel Analyze Direct 11.0. La mesure du volume de liquide céphalorachidien (LCR) a été utilisée comme un marqueur indirect du volume cérébral total comme préalablement décrit par la même équipe et d’autres (1-4). Brièvement, plus le volume cérébral augmente et plus le volume de LCR diminue car celui-ci est chassé vers les espaces sous-arachnoidiens médullaires.
Des corrélations de Spearman ont été effectuées afin d’évaluer le lien entre une variation de l’osmolalité et la modification du volume de LCR ou du score de Glasgow. Une modélisation de la modification du volume de LCR par régression logistique pas-à-pas a été réalisée. Afin d’étudier l’ensemble des intervalles entre 2 scanners successifs bien que certains patients aient bénéficié de plus de 2 scanners, une technique particulière des équations d’estimation généralisées (generalized estimation equations, GEE) a été utilisée.

Résultats essentiels

Parmi 140 patients présentant une insuffisance hépatique et une EH clinique sévère, 40 patients (29%) (âge moyen de 48 ans [36-58], 65% de femmes, 55% d’ALF) ont été inclus. Les étiologies de l’insuffisance hépatique étaient : prise de paracétamol (30%), virus (18%), alcool (10%). Le score de Glasgow était de 9 [5-13] et 70% des patients avaient été intubés et ventilés. L’osmolalité plasmatique initiale était de 310 mOsm/Kg [296-321] et la natrémie était de 137 mEq/L [134-142]. 103 évaluations successives ont été réalisées. L’ammonémie était de 193 micromol/L [106-295]: 198 [102-315] chez les patients en ALF et 179 [108-269] chez les patients en ACLF.
Une réduction du volume de LCR (et un œdème cérébral) était présente chez 68% des patients initialement. Entre les 2 scanners, la variation d’osmolalité était de 9 mOsm/Kg [5-17]. Les modifications du volume de LCR était associées aux modifications de l’osmolalité plasmatique (p=4.10-7) et au score de Glasgow (p=4.10-8). Ainsi, une diminution de l’osmolalité plasmatique était corrélée à une diminution du volume de LCR (donc à une augmentation du volume cérébral par œdème) et à une diminution du Glasgow.
En analyse multivariée, les variations de l’osmolalité plasmatique était associées aux variations de volume de LCR (p=2.10-5) et les modifications du score de Glasgow aux variations de l’osmolalité plasmatique (p=1.10-5), aux modifications de l’ammoniémie (p=0.011) et au score de gravité initial (p=0.015). Les mêmes résultats étaient obtenus en considérant le RASS comme un score d’évaluation de l’état neurologique et des résultats comparables étaient retrouvés avec l’analyse GEE.

Vingt neufs patients (73%) avaient bénéficié d’une EER entre 2 scanners cérébraux ; 14 patients (48%) avaient bénéficié de perfusion de SSH et 15 (52%) n’en avaient pas bénéficié. Le groupe ayant bénéficié de perfusion de SSH pendant l’EER par rapport aux patients n’en ayant pas bénéficié, avaient des modifications moins importante du volume de LCR, du score de Glasgow, de l’osmolalité plasmatique et plus importante de la natrémie (p=0.012, p=0.008, p=0.002 et p=0.012 respectivement).

Commentaires

Cette étude a montré que les variations de volume du LCR étaient corrélées aux variations de l’osmolalité plasmatique et que celles-ci étaient corrélé à la modification de l’état neurologique qu’il soit évalué par le score de Glasgow ou le RASS. Les auteurs ont choisi de mélanger des patients avec une ALF (n=22) et une ACLF (n=18). Cela est critiquable comme nous l’avons souligné dans une lettre de réponse à cet article (5). En effet, bien que certaines anomalies physiopathologiques soient communes, e.g. le rôle majeur de l’inflammation systémique, d’autres sont très différentes et rendent l’interprétation des données comme un ensemble difficile (6). En effet, les conséquences physiopathologiques de l’hyperammoniémie ne sont pas équivalentes. En absence de métabolisme hépatique, seul les cellules musculaires et les astrocytes sont en mesure de dégrader l’ammoniaque en glutamine grâce à la glutamine synthétase. En raison de son pouvoir osmotique, l’accumulation de glutamine est responsable d’un œdème astrocytaire cytoxique en cas d’ALF. Dans le cas d’une ACLF, l’élévation plus progressive de l’ammoniémie aura permis à des mécanismes compensateurs de se mettre en place, i.e. extrusion en dehors de l’astrocytes d’osmoles actifs, taurine et myoinositol. Ceci explique pourquoi les insuffisances hépatiques chroniques sont rarement associées à un œdème cérébral cliniquement relevant contrairement à l’ALF. Ceci pourrait permettre d’expliquer les données détaillées dans les tableaux en annexes de l’article montrant que le volume de LCR était corrélé à l’ammoniémie dans l’ALF (p=0,009) mais pas dans l’ACLF (p=0,15). D’ailleurs, les conséquences neurologiques de l’augmentation du volume cérébral ne sont pas équivalentes entre les ALF et les ACLF dans la mesure où les insuffisances hépatiques chroniques sont régulièrement associées à une réduction globale du volume cérébral sur une atrophie cortico-sous-corticale (5,7). Ceci est d’ailleurs le cas dans cette étude dans laquelle, les patients ayant une ALF avaient un volume de LCR (85 [48,5-103,6]) inférieur, donc un volume cérébral supérieur, aux patients ayant une ACLF (118 [63,3-158,3]).
Bien que discutable et peu standardisée, la stratégie d’administration préventive de SSH en cas de recours à l’EER semblerait en mesure de diminuer l’importance des variations d’osmolalité et ainsi de prévenir la baisse du volume de LCR et l’aggravation neurologique.

Points forts
  • Cette étude démontre que le scanner cérébral reste un examen permettant de réaliser des études physiopathologiques dans le cadre des agressions cérébrales aiguës en réanimation.
  • Elle a l’intérêt de s’intéresser à une population de malades souvent peu étudiée.
Points faibles
  • Mélange de situations physiopathologiquement distinctes : ALF et ACLF.
  • Comparaisons multiples et choix des analyses discutables pour une étude de faible effectif avec seulement 40 patients.
  • Population non représentative de ce type de patients: proportion importante de femme (72%) dans la sous-population des ACLF, proportion importante de traitement par rifaximine (70%) alors que seuls 45% ont une ACLF.
  • Etude provenant d’un centre ayant un recrutement a priori faible concernant ce type de patients : 41 patients en 5 ans. Il est possible que la prise en charge ait pu varier pendant la période d’étude.
  • Les modalités d’administration du SSH sont mal décrites.
Implications et conclusions

Cette étude suggère que l’osmolalité plasmatique puisse être un paramètre important à surveiller chez les patients en ALF ou ACLF présentant une EH clinique sévère dans la mesure où elle semble bien corrélée à l’importance de l’œdème cérébral estimé par la baisse du volume de LCR. Une stratégie préventive par SSH pourrait être efficace dans certaines situations particulières (EER) afin de prévenir une aggravation neurologique et cela d’autant plus qu’il s’agit d’une ALF.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr Nicolas WEISS, Sorbonne Université, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière Charles Foix, Département de Neurologie, Unité de Réanimation Neurologique.

Le Dr Nicolas WEISS déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions l’auteur (nicolas.weiss@aphp.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Liotta EM, Romanova AL, Lizza BD, Rasmussen-Torvik LJ, Kim M, Francis B, et al. Osmotic Shifts, Cerebral Edema, and Neurologic Deterioration in Severe Hepatic Encephalopathy. Crit Care Med. 2018 Feb;46(2):280–9.
  2. Lescot T, Bonnet MP, Zouaoui A, Muller JC, Fetita C, Coriat P, Puybasset . A quantitative computed tomography assessment of brain weight, volume, and specific gravity in severe head trauma. Intensive Care Med. 2005 Aug;31(8):1042-50. Epub 2005 Jul 1.
  3. Lescot T, Degos V, Zouaoui A, Préteux F, Coriat P, Puybasset. Opposed effects of hypertonic saline on contusions and noncontused brain tissue in patients with severe traumatic brain injury. Crit Care Med. 2006 Dec;34(12):3029-33.
  4. Weiss N, Rosselli M, Mouri S, Galanaud D, Puybasset L, Agarwal B, et al. Modification in CSF specific gravity in acutely decompensated cirrhosis and acute on chronic liver failure independent of encephalopathy, evidences for an early blood-CSF barrier dysfunction in cirrhosis. Metab Brain Dis. 2016 Oct 11;
  5. Weiss N, Thabut D. CT Scan Is Still a Valuable Tool to Assess Hepatic Encephalopathy Pathophysiology in Both Acute and Chronic Liver Diseases. Crit Care Med. 2018 Jul;46(7):e728.
  6. Weiss N, Jalan R, Thabut D. Understanding hepatic encephalopathy. Intensive Care Med. 2018 Feb;44(2):231-234
  7. Weinstein G, Zelber-Sagi S, Preis SR, Beiser AS, DeCarli C, Speliotes EK, et al. Association of Nonalcoholic Fatty Liver Disease With Lower Brain Volume in Healthy Middle-Aged Adults in the Framingham Study. JAMA Neurol. 2018; 75(1):97-104
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
S. HRAIECH
G. JACQ
JF. LLIJTOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX