
Effect of high versus standard protein provision on functional recovery in people with critical illness (PRECISe): an investigator-initiated, double-blinded, multicentre,parallel-group, randomised controlled trial in Belgium and the Netherlands.Julia L M Bels, Steven Thiessen, Rob J J van Gassel,et al Lancet 2024; 404: 659–6
Question évaluée :
La majoration des apports protéiques peut-elle protéger de la fonte musculaire et améliorer la qualité de vie à long terme du patient ventilé ?
Type d’étude :
essai controlé randomisé prospectif multicentrique
Population étudiée :
Patients adultes, admissions en réanimation non programmées, avec ventilation invasive précoce et d’une durée attendue d’au moins 3 jours. Cette étude s’est déroulée en Belgique et aux Pays-Bas.
Méthode :
Instauration dans les 48 h de l’admission d’une nutrition entérale standard (0.06 g protéines/ml) ou hyperprotéinée (0.1 g protéines /ml), à débit croissant, pour une durée maximum de 90 jours. Récolte des questionnaires (EuroQoL-5D-5L, critère de jugement principal évaluant la qualité de vie sur 5 composantes incluant la mobilité, l’autonomie, les actes de la vie quotidienne, la douleur et l’anxiété/dépression) à J30, J90 et J180. Les patients décédés se voyaient attribuer un score EuroQoL-5D-5L de 0 et le questionnaire EuroQol-5D-5L antérieur au séjour en réanimation était évalué par les proches.
Résultats essentiels :
4306 patients ont été screenés et seuls 935 (21,7%) ont été inclus entre novembre 2020 et avril 2023. 465 patients ont été randomisés dans le bras standard et 470 dans le bras « solution hyperprotéinée ». La durée médiane de nutrition suivant le protocole aloué était de 9 jours (4–19) dans le bras standard et 10 jours (5–21) dans le bras « solution hypreprotéinée ». La dose de protéine reçue était de 1,19g/kg/jour versus 1,87g/kg/jour respectivement dans les groupes standards et « solution hyperprotéinée » mais les apports caloriques étaient équivalents entre les deux groupes.
Le nombre de perdus de vue avant l’évaluation du CJP atteignait 7,5% des patients dans le bras standard et 10,9% dans le bras interventionnel.
Les valeurs du questionnaire EuroQoL-5D-5L étaient moins bons dans le groupe « solution hyperprotéinée » que dans le groupe standard aux 3 temps de mesure (différence moyenne de -0,5 [-0,10–0,01], P=0,031 à J180).
D’autres critères fonctionnels subjectifs et objectifs de fonctionnalité musculaire (distance parcourue lors d’un test de marche de 6 minutes, échelle de fragilité de Rockwood) étaient également inférieurs dans le groupe hyperprotéiné.
La probabilité de décès était de 0,38 dans le groupe standard (SE 0,02) versus 0,42 (0,02) dans le groupe intevention (Hazard ratio 1,14 [0,92–1,40], P=0,22). L’analyse post-hoc retrouve une durée pour sortir vivant de l’hôpital significativement plus longue dans le groupe intervention. L’incidence d’intolérance digestive était plus élevée dans le groupe « solution hyperprotéinée ».
Commentaires :
Question pertinente, partiellement résolue, avec jusqu’à présent un faible niveau d’évidence et des résultats discordants dans la littérature.
Points forts :
Etude pragmatique, critères de jugement plus pertinent que mortalité / longueur de séjour.
Augmentation progressive des apports en macronutriments.
Standards de qualité méthodologique (randomisation par bloc de taille variable, double aveugle).
Caractéristiques identiques à l’admission
Objectifs d’apports protéiques atteints durant le séjour en réanimation à J5 (70% des patients inclus).
Points faibles :
Nombre élevé de patients screenés non inclus et de perdus de vue avant l’évaluation du critère de jugment principal
Apports protéiques élevés comparés à des apports très élevés.
Plausibilité biologique douteuse entre l’intervention et l’effet observé.
Critère de jugement principal subjectif (qualité de vie perçue par le patient)
Données manquantes pour de nombreux critères de jugement secondaires (subjectifs et objectifs).
Inclusions non consécutives – 1116 patients éligibles non randomisés
Intervention stoppée après la sortie de réanimation.
Implications et conclusions :
Cette étude importante a le mérite d’avoir remis en question le dogme que des apports protéiques majorés chez le patient en situation critique limite la perte de fonction musculaire. Ce dogme étant basé sur des associations et des raisonnements élaborés à partir de données obtenues chez des patients chroniques, une étude randomisée prospective comparant deux niveaux d’apports était indispensable. Les guidelines disponibles au moment de la conception de cet essai étaient assez divergentes (atteinte progressive de 1.3 g/kg/j ou 1.2 à 2.0 g/kg/j de protéines), et essentiellement basées sur des études d’association.
Comment expliquer l’effet délétère d’apports protéiques très élevés (2.0 g/kg/j) suggéré par l’étude PRECISE? En l’absence d’une investigation mécanistique, la toxicité d’un excès de protéines doit être invoqué, d’autant plus que d’autres essais récents ont démontré une surmortalité de patients critiques qui ont développé une insuffisance rénale aiguë. Une analyse post hoc d’études interventionnelles chez l’adulte et l’enfant en situation critique a égalament confirmé un risque associé à des apports protéiques élevés. Les raisons précises doivent encore être élucidées par des études pré-cliniques.
Entretemps, l’étude PRECISE laisse en suspens au moins trois points importants pour la pratique quotidienne :
- des apports pauvres ou standard en protéines (0.6-0.8 g/kg/j) sont-ils préférables à des apports élevés (1.2-1.3 g/kg/j) ?
- quand le rapport risque/bénéfice d’apports protéiques majorés devient-il favorable ?
- quelle est la composition optimale en acides aminés ?
La réponse à ces questions est importante pour pouvoir guider le clinicien sans faire courir de risque inutile au patient. En pratique, devons-nous disposer de solutions hyperprotéinées et si oui, quand est-il opportun d’en prescrire, et laquelle ? La rigueur méthodologique de PRECISE devrait nous aider à la conception d’autres essais cliniques indispensables à une réponse evidence-based à cette question quotidienne.
Références cités dans les commentaires:
- Bels JLM, Thiessen S, van Gassel RJJ, Beishuizen A, De Bie Dekker A, Fraipont V, et al. Effect of high versus standard protein provision on functional recovery in people with critical illness (PRECISe): an investigator-initiated, double-blinded, multicentre, parallel-group, randomised controlled trial in Belgium and the Netherlands. Lancet. 2024 ;404:659-669.
- Preiser JC. High protein intake during the early phase of critical illness: yes or no? Crit Care . 2018;22:261
- Taylor BE, McClave SA, Martindale RG, Warren MW, Johnson DR, Braunschweig C,et al. Guidelines for the Provision and Assessment of Nutrition Support Therapy in the Adult Critically Ill Patient: Society of Critical Care Medicine (SCCM) and American Society for Parenteral and Enteral Nutrition (A.S.P.E.N.). Crit Care Med 2016 ;44:390-438
- Singer P, Blaser AR, Berger MM, Alhazzani W, Calder PC, Casaer MP, et al. ESPEN guideline on clinical nutrition in the intensive care unit.Clin Nutr. 2019;38:48-79
- Heyland DK, Patel J, Compher C, Rice TW, Bear DE, Lee ZY, et al.The effect of higher protein dosing in critically ill patients with high nutritional risk (EFFORT Protein): an international, multicentre, pragmatic, registry-based randomised trial.Lancet. 2023;401 :568-576
- Thiessen SE, Derde S, Derese I, Dufour T, Vega CA, Langouche L, et al. Role of Glucagon in Catabolism and Muscle Wasting of Critical Illness and Modulation by Nutrition. Am J Respir Crit Care Med. 2017;196:1131-1143
- Vanhorebeek I, Verbruggen S, Casaer MP, Gunst J, Wouters PJ, Hanot J, et al. Effect of early supplemental parenteral nutrition in the paediatric ICU: a preplanned observational study of post-randomisation treatments in the PEPaNIC trial. Lancet Respir Med. 2017;5:475-483.
- Arabi YM, Al-Dorzi HM, Mehta S, Tamim HM, Haddad SH, Jones G, et al. Association of protein intake with the outcomes of critically ill patients: a post hoc analysis of the PermiT trial.Am J Clin Nutr. 2018;108:988-996
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Article commenté par Jean-Charles Preiser, Hôpital Erasme, Hôpital Universitaire de Bruxelles, Belgique.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
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